Tiré du Courrier international.
Comme il fallait s’y attendre, la tension est à son comble depuis l’arrestation d’Ousmane Sonko le 3 mars [l’opposant au président Macky Sall a été inculpé pour viol et relâché sous contrôle judiciaire le 8 mars]. Il faudra souhaiter que la lucidité soit très rapidement retrouvée aussi bien par ces milliers de jeunes qui déferlent dans les rues et y mettent le feu que par le pouvoir, dont les erreurs récurrentes produisent aujourd’hui ces fâcheux [événements] qui menacent la stabilité de ce pays.
Le terreau étant bien fertile, l’embrasement n’en est que plus facile. À l’image de la mer dont on ne peut pas arrêter le mouvement par la seule action de ses bras, il est impossible de contenir ces jeunes, qui disent n’avoir rien à perdre. Lorsqu’on en arrive à cette extrémité existentielle, à l’image des désespérés des océans qui jouent leur vie sur la balance de la chance, notre humanité peut facilement basculer vers des schémas de violence, d’extrême violence.
Les images qui défilent sur la Toile et donc voyagent partout dans le monde ne sont pas belles. Elles renvoient au monde un visage hideux ; ce contre quoi on s’est battu toutes ces dernières années pour donner à la demoiselle Sénégal des semblants d’atours attrayants.
Crise économique sans précédent
Ce qui est encore plus inquiétant, c’est l’absence de contre-feux. Sa Majesté [le président Macky Sall] s’est évertuée ces dernières années à casser tout ce qui pourrait se présenter devant elle pour lui contester la couronne [deux autres rivaux ont déjà été écartés, lire ci-dessous].
La conséquence est dramatique, puisque le voilà face au peuple, qui, visiblement, a faim. Un an de Covid-19 et la mise en place de nombreuses mesures drastiques ont appauvri des ménages entiers et installé une crise économique sans précédent. On n’a même plus besoin de sonder la crise, qui est à fleur de ventre.
Certaines scènes de vandalisme, constatées surtout au niveau des centres commerciaux Auchan [plusieurs supermarchés de la marque française ont été saccagés en marge des manifestations début mars], sont plus la conséquence du désarroi des populations qui ont faim que l’expression d’une quelconque haine contre la France.
L’heure est grave. Car avec la situation qui prévaut en ce moment dans le pays, il est très difficile de savoir dans quel sens va aller le feu. On compte déjà [5 morts, au 8 mars], et des dizaines de blessés, aussi bien parmi les manifestants que parmi les forces de sécurité. Personne ne sait aujourd’hui comment cette crise va se dénoue
Contexte. Péril en la demeure
Cela faisait près de dix ans que le Sénégal, réputé si tranquille, n’avait connu pareilles scènes. Des manifestants révoltés, des rues parsemées de pierres, des magasins vandalisés. “Le chaos” : en un mot, plusieurs quotidiens résumaient l’état du pays le 3 mars. Ce jour “restera dans l’histoire du Sénégal”, écrivait Enquête.
L’arrestation d’Ousmane Sonko, un des plus populaires opposants au président Macky Sall, a plongé le pays dans la tourmente. L’homme a été inculpé pour avoir violé une masseuse.
Pour ses partisans, cette accusation n’est qu’une manœuvre politique de plus. Car ces dernières années deux autres rivaux majeurs du président, Karim Wade, le fils de l’ex-président Abdoulaye Wade, et Khalifa Sall, le maire de Dakar, ont été écartés à cause d’ennuis judiciaires.
Après plusieurs jours d’émeutes, les blindés ont été déployés dans les rues de la capitale. Et le 8 mars, Ousmane Sonko, malgré son inculpation, a été remis en liberté.
Le soir même, Macky Sall sortait de son silence et tentait d’apaiser le malaise des jeunes sénégalais, frappés par la crise économique et sociale. “Je vous ai compris”, titrait le journal gouvernemental Le Soleil. Cela suffira-t-il ? Juste avant que le président ne prenne la parole, Sonko appelait à de nouvelles marches et donnait rendez-vous en 2024, pour la prochaine présidentielle.
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