« En finir avec les promesses et passer aux actes ». Tel a été le message du président péruvien, Ollanta Humala, le 23 septembre dernier, lors du sommet sur le climat, organisé par les Nations unies à New-York. Le Pérou accueille jusqu’au 12 décembre la 20ème Conférence des Nations unies sur le changement climatique (COP 20), un an avant le rassemblement de Paris. Ségolène Royal et Laurent Fabius s’y envolent d’ailleurs ce 10 décembre pour y représenter la France.
Le président péruvien a souligné l’importance de l’événement pour le pays, tout comme sa responsabilité : « Aujourd’hui, c’est à mon tour de réunir l’alliance mondiale la plus importante de l’histoire pour la défense de notre avenir, l’avenir de nos enfants, de nos peuples, de la planète et pour la défense de la qualité de vie à laquelle nous aspirons toutes et tous » [1]. De belles intentions. Car dans les faits, le Pérou est loin, très loin, d’agir dans la bonne direction.
Depuis son élection en 2011, le président Humala et ses différents gouvernements n’ont jamais fait de la protection de l’environnement une priorité, au contraire. Alors que le Pérou est un des pays les plus vulnérables au changement climatique, le gouvernement ne cesse de mettre en place des mesures économiques destructrices. Il se dote également d’instruments juridiques lui permettant d’aller plus loin dans sa stratégie de répression, face aux mobilisations croissantes contre les projets d’exploitation minière, pétrolière, ou forestière, menés aux dépens des besoins de l’ensemble de la population.
Un « permis de tuer » face aux mobilisations sociales
Depuis janvier 2014, la police et l’armée ont reçu le feu vert pour mater les mobilisations par la force grâce la promulgation d’une loi spéciale. Aucun policier ni militaire ne pourra être jugé s’il blesse ou tue une personne. Ce qui renforce ainsi la culture de la violence d’État. Cette modification du code pénal a suscité l’inquiétude de l’opinion publique ainsi que de la Defensoria del Pueblo, l’institution étatique chargée de la protection et de la défense des droits humains). Au niveau international, l’Onu s’est prononcé pour son annulation [2] car les possibles conséquences sont dramatiques.
Dans un contexte où les conflits sociaux ne cessent de se multiplier, ce « permis de tuer » ouvre la porte à une répression policière et militaire sans recours. Les bavures et l’impunité des forces de l’ordre pourraient prendre une ampleur considérable puisque les conflits sociaux-environnementaux sont extrêmement nombreux dans le pays. Rien qu’au premier semestre 2014, 211 conflits ont été répertoriés par le 14ème rapport de l’Observatoire des conflits miniers au Pérou. Bien qu’en baisse par rapport aux années précédentes, ce nombre reste élevé. Et les craintes sont fortes quant à la réactivation de nombre d’entre eux, notamment en raison de la récente approbation de mesures économiques plus que polémiques.
Un sous-sol exploité à tout va
Le 3 juillet 2014, le Congrès a adopté le "Paquetazo", une série de décrets visant à relancer l’économie. Car la croissance s’est ralentie : elle n’est plus que de 4% en 2014, alors qu’elle atteignait les 8 à 9% dans les années 2000. Les extraordinaires réserves du sous-sol péruvien, exploitées à tout va, n’y font rien. Le Pérou, classé parmi les cinq premiers producteurs mondiaux d’argent, de cuivre, de zinc, d’étain, de plomb et d’or, subit l’actuelle baisse du prix des matières premières (lire notre interview http://www.bastamag.net/Les-pollutions-engendrees-par-l). Puisque les prix chutent, il faut accroître les volumes, supprimer les freins à la croissance. Et permettre aux multinationales, parfois d’origine française, d’exploiter encore un peu plus les ressources de l’Amazonie (lire notre enquête http://www.bastamag.net/Une-nouvelle-menace-pese-sur-l).
Ces récents décrets réduisent l’importance des études environnementales. Ils limitent les capacités d’action de l’organisme en charge d’appliquer les sanctions environnementales (l’OEFA, Organismo de evaluación y fiscalización ambiental) ; et ils retirent au ministère de l’Environnement la compétence de créer des zones naturelles protégées pour la transférer au conseil des ministres, dominé par le ministère de l’Énergie et des mines. Ces mesures ont été portées par l’ex-ministre de l’économie, remplacé le 14 septembre dernier par Alonso Segura, un ancien directeur exécutif du FMI pour la région sud-américaine. Tout est un symbole !
Ces mesures vont à l’encontre des promesses électorales de « grande transformation » d’Ollanta Humala. Son élection, en juillet 2011, était basée sur un programme de soutien et d’amélioration de la qualité de vie des paysans et des communautés les plus vulnérables, situées dans les régions andines et amazoniennes, largement abandonnées par les politiques publiques, et souvent opprimées. Pour une partie des Péruviens, l’élection d’Humala représentait le changement espéré, après vingt ans de conflit armé suivis de deux gouvernements de droite favorisant les ajustements structurels et les politiques néolibérales d’ouverture aux investissements étrangers. L’arrivée au pouvoir d’Ollanta Humala n’a rien changé. Un exemple parmi tant d’autres des renoncements du président péruvien : celui de défendre les intérêts des paysans touchés par l’extension de la mine aurifère de Conga, dans le nord du Pays (lire notre reportage http://www.bastamag.net/L-or-du-Perou-attire-de-nouveaux).
Vers l’exploitation des gaz de schiste ?
Pourtant, cette non-transformation était prévisible. A l’image d’autres pays latino-américains, où sont arrivés au pouvoir des gouvernements dits "progressistes", la priorité reste encore et toujours la croissance économique. Les désormais classiques accords de libre-échange continuent à être signés, avec les États-Unis et l’Union européenne. Leur principe : limiter les barrières douanières afin d’accentuer les échanges commerciaux avec le Pérou.
« À terme, les exportateurs de produits industriels ou de la pêche seront exonérés du paiement de tarifs douaniers et les marchés des produits agricoles seront considérablement ouverts, explique la Commission européenne (http://europa.eu/rapid/press-release_IP-13-173_fr.htm). À la fin de la période de transition, les exportateurs de ces secteurs auront ainsi économisé plus de 500 millions d’euros, rien qu’en droits de douane. » Si les échanges commerciaux s’accroissent, il y a fort à parier que la libéralisation de ces secteurs ne contribuera pas à réduire les inégalités sociales et économiques au Pérou. Mais les intérêts de l’Union européenne, eux, seront bien garantis [3].
Plus largement, le Pérou continue de soutenir sans réserve les projets destructeurs, via son Ministère de l’énergie et des mines [4]. En mars 2014, il demandait la suppression des études d’impact environnemental pour les exploitations d’hydrocarbures. Plus récemment encore, il a annoncé une future exploitation des gaz de schiste via la fracturation hydraulique.
La gauche et la société civile assimilées aux terroristes
A la domination néolibérale s’ajoute une culture de la répression. Dictatures et violences politiques ont façonné le pays. Entre 1980 et 2000, un conflit armé a opposé la dictature d’Alberto Fujimori aux guérillas maoïstes menées par le Sentier lumineux et le Mouvement Révolutionnaire Tupac Amarú. Ce conflit interne a causé la mort de 70 000 personnes et a traumatisé le pays, notamment la région Ayacucho, située au cœur des Andes, berceau du Sentier lumineux. La population, majoritairement paysanne y a été particulièrement touchée par la terreur instaurée tant par le groupe armé que par les escadrons militaires anti-subversion mis en place par l’État. Le Président péruvien, ancien militaire, est d’ailleurs accusé d’avoir lui-même participé à cette terreur [5].
Ce conflit a laissé des traces sur l’ensemble de la société civile péruvienne et sur sa capacité à se mobiliser pour faire valoir ses droits. Ce phénomène ne s’explique pas seulement par la peur des forces de l’ordre, mais aussi par la peur d’être assimilé aux terroristes membres des groupes armés se revendiquant d’extrême gauche. Ceux-ci sont désignés de manière péjorative par le terme "terrucos". "Terruco", néologisme péruvien issu du nom "terroriste", a d’abord été utilisé durant le conflit armé. "Terruco" désigne désormais les personnes suspectées de sympathiser avec les idéologies de ces groupes terroristes. Et cette catégorie ne cesse de s’élargir : le qualificatif s’étend aux gens se reconnaissant dans des idées et valeurs de gauches. Récemment, les défenseurs des droits humains et de l’environnement y ont été inclus (lire notre article).
Révolte contre les grands projets de l’État péruvien
Les défenseurs de l’environnement sont parfois sévèrement réprimés, notamment quand ils remettent en cause les conséquences d’un accord de libre-échange. C’est ce qui s’est passé en 2009, à Bagua, dans l’Amazonie du Nord du pays. Des communautés autochtones awajun-wampis se sont élevées contre une série de décrets législatifs émis par l’ex-président, dans le cadre du traité de libre-échange avec les États-Unis. Ces décrets autorisaient la privatisation de leurs terres pour l’exploitation à grande échelle du pétrole, du gaz et des ressources minières. Après plusieurs mois de blocage, un affrontement avec les forces de police a causé la morts de 33 personnes, 10 autochtones et 23 policiers.
Une issue tragique qui a largement attiré l’attention des médias nationaux et internationaux. Il en est de même pour le procès qui a débuté le 14 mai dernier. Parmi les 53 civils accusés, 23 sont des autochtones. Jusqu’à présent, le procureur a requis la perpétuité pour sept des civils accusés, mais aucune charge n’a été requise contre les 12 policiers, eux aussi impliqués dans les affrontements. Ce procès symbolise l’opposition entre les peuples autochtones andins et le littoral où vivent les élites héritées du système colonial, là où sont concentrés les pouvoirs.
Une société gangrénée par le racisme
Le Pérou est gangrené par le racisme. Un système de discrimination et d’exclusion y est institutionnalisé. La majorité autochtone et métissée, les "cholos" (terme péjoratif par lequel elle est désignée), représente environ 80% de la population. Elle est constamment discriminée et marginalisée par la minorité blanche de la côte, souvent de descendance espagnole. La fragmentation est basée sur la classe sociale et la différentiation ethnique ; l’une et l’autre se superposant. A Lima, ces discriminations se matérialisent dans la géographie de la ville : les populations blanches vivent dans les quartiers sécurisées, le long de la côte ; les populations autochtones et métissées peuplent les bidonvilles, dans des zones souvent arides.
Rien ne semble pouvoir mettre fin aux préjugés associés aux populations autochtones, considérées comme arriérées et pauvres, mais surtout incultes et ignorantes. Des préjugés qui transparaissent dans les discours politiques et médiatiques, ainsi que dans la façon dont elles sont prises en compte. Bien souvent, à la lutte pour la défense de leurs ressources, de leur mode de vie et de leur culture, s’ajoute la lutte contre la délégitimation de leurs revendications, pourtant cohérentes avec la protection des ressources et la promotion d’un modèle de vie soutenable.
Un pays particulièrement exposé au réchauffement
C’est dans ce contexte économique, environnemental et social que le Pérou accueille la COP 20. 2014 a ainsi été déclarée « Année de la promotion de l’industrie responsable et de l’engagement contre le changement climatique ». Une belle façade pour un gouvernement qui a choisi d’accélérer encore un peu plus l’exploitation de ses réserves naturelles. « Un message contradictoire est en train d’être transmis, déplore José de Echave, chercheur à l’ONG Cooperacción et ex vice-ministre de l’environnement de l’actuel gouvernement, car nous avions justement comme tâche, en tant que pays, celle de faire avancer l’agenda national en matière environnementale. »
Perte de la faune et de la flore amazonienne et andine, fin des cultures vivrières traditionnelles, mais surtout, réduction drastique des ressources en eau, affectant inévitablement les dynamiques socio-économiques du pays : le Pérou se situe au troisième rang des pays les plus vulnérables au changement climatique, selon le Tyndall Centre, institut de recherche britannique sur le changement climatique. La moitié des 30 millions de Péruviens vivent sur le littoral, menacé par la montée du niveau de la mer. Un Péruvien sur trois dépend des glaciers pour son approvisionnement en eau, glaciers qui ont perdu un tiers de leur volume. Sans oublier que 90% de la population vit dans des zones soumises à des risques de sécheresse [6]. Le ministère de l’Environnement reconnaît l’urgence de la situation. Mais les mesures ne suivent pas.
Une société civile qui se renforce
Face à l’inertie du gouvernement, la société civile se mobilise chaque fois davantage, comme par exemple à Puno, où les communautés aymaras sont parvenues à geler l’exploitation de la mine de cuivre Santa Ana, opérée par l’entreprise canadienne Bear Creek et qui a engagé une procédure d’arbitrage en août 2014. Ou encore à Espinar, où des manifestations ont éclaté en 2012, afin de condamner la multinationale suisse de l’or, Xstrata pour la contamination en métaux lourds des cours d’eau. Le maire d’Espinar s’était lui-même mobilisé et avait pour cela été condamné à deux ans de prison, accusation déclarée nulle le 21 novembre dernier.
Alors que le contexte socio-économique démontre à quel point les enjeux environnementaux et climatiques sont liés à l’égalité d’accès aux droits, le gouvernement continue d’associer la protection de l’environnement à un obstacle, voire à un danger : la COP 20 aura lieu au sein même du quartier général de l’armée péruvienne, le Pentagonito – le petit Pentagone –, haut lieu de tortures et de disparitions lors du conflit armé... Tout un symbole !
Viviana Varin [7]
Notes
[1] Extrait du discours du Président Humala lors du Sommet sur le Climat des Nation unies, New-York, 23 septembre 2014 (Traduction Viviana Varin).
[2] Communiqué (http://acnudh.org/2014/01/peru-acnudh-manifiesta-preocupacion-sobre-ley-que-regula-uso-de-armas-por-parte-de-fuerzas-armadas-y-de-seguridad/) du Haut Commissariat aux droits de l’Homme des Nations Unies, 16 janvier 2014.
[3] Lire le rapport d’Attac (https://france.attac.org/nos-publications/notes-et-rapports-37/articles/pourquoi-laccord-de-libre-echange-ue-colombieperou-ne-doit-pas-etre-ratifie).
[4] Il représente 20% du PIB.
[5] Lire l’article de Mediapart et l’article de Basta !.
[6] Lire aussi cet article (http://www.cncd.be/Le-Perou-en-campagne-nationale) du Centre national de coopération au développement en Belgique.
[7] Viviana Varin travaille pour le réseau de solidarité internationale Ritimo (http://www.ritimo.org).