Président Obama : « …Je voudrais que nous nous rappelions la gravité de ces problèmes, de ce qui est en jeu pour Israël, les Etats-Unis et le reste du monde. Il y a déjà trop de propos irréfléchis sur (une possible) guerre. Ils n’ont fait, jusqu’à maintenant, que jouer en faveur du gouvernement iranien ; le prix du pétrole a augmenté et c’est sa principale source de financement pour son programme nucléaire. De grâce, pour la sécurité d’Israël et celle des Etats-Unis, ce n’est pas le temps de faire de l’esbroufe. C’est le moment de laisser nos pressions renforcées faire leur effet et de consolider la large coalition internationale que nous avons mis en place ».
Amy Goodman : pendant ce temps, un groupe de protestataires appelé Occupy AIPAC a manifesté aux portes de la conférence en chantant : « No war on Iran » ! Un des manifestants, Ty Barry, a raconté qu’il était venu depuis Los Angeles (…)
Ty Barry : Le président des Etats-Unis, s’adresse au plus puissant lobby du monde … qui a poussé pour la guerre contre l’Irak et ils essayent de pousser maintenant pour une guerre contre l’Iran. Nous disons : « Libérez la Palestine » ! Nous disons : « Négociez pour la paix en Palestine pour la paix avec l’Iran » ! Il faut arrêter. Il faut en finir avec l’énergie nucléaire, les armes nucléaires au Proche Orient. Ça inclut Israël.
(…)
A.G. L’AIPAC se réunit chaque année, mais cette année prend un sens particulier à cause des élections dans notre pays et de la tension entre l’Iran et Israël.
Au cours de leur rencontre (du 5 mars) on s’attend à ce que le premier ministre israélien, M. Netanyaou continue de faire pression sur le président Obama pour qu’il adopte une politique plus énergique contre l’Iran. Il veut que le président précise dans quelles circonstances il déciderait que les Etats-Unis devraient attaquer eux-mêmes ce pays. Les représentants israéliens demandent aussi que l’Iran cesse tout enrichissement d’uranium avant que la communauté internationale reprenne les négociations avec son gouvernement. La Maison blanche a déjà refusé ces pré-conditions et s’en tient à sa politique de sanctions économiques en gardant l’option militaire comme intervention de dernier recours.
Nous allons maintenant débattre de ces diverses positions avec M. Jonathan Tobin, rédacteur en chef du magazine Commentary (…) et par M. Rashid Khalidi, professeur au Edward Saïd’s Arab Studies du département d’histoire de l’université Columbia NY.
Bienvenue à tous les deux. Commençons par vous M. Tobin. Que pensez-vous de ce discours du président devant l’AIPAC ? Il y manque quelque chose ?
Jonathan Tobin : Il faut tirer deux éléments de ce discours. 1- il faut le placer dans la perspective de la quatrième année de son mandat ; trois ans plus une de sa présidence. 2- Ce qui était remarquablement absent dans ce discours hier, c’est l’essentiel de ce qui a caractérisé sa politique envers Israël au cours des trois années précédentes, à savoir : les pressions, la dispute à propos de Jérusalem, les colonies, les frontières de 1967, qui a été la grosse affaire de l’an dernier. Tout ça a disparu. Ça a été mis de côté à cause de l’incapacité des Palestiniens à venir, d’une certaine façon, en aide au président ou à s’accrocher à ce qu’il avançait. Donc cela a été évacué et il s’est rapproché d’Israël sur les questions en jeu. Et je dois ajouter, qu’autant il parle de diplomatie il dit aussi que les Etats-Unis ne tolèreront pas un Iran nucléaire, qu’il rejette la politique d’endiguement, contrairement à ce que disent ceux et celles qui s’objectent à la confrontation et qui soutiennent qu’il est possible de vivre avec un Iran nucléaire. Obama insiste pour dire qu’il ne le fera pas, qu’il ne vivra pas avec ça.
Ce qu’il n’a pas dit non plus, c’est jusqu’où l’Iran ne doit pas aller : dans l’enrichissement de l’uranium, dans l’avancement de son programme nucléaire. Et si jamais il franchissait ces bornes que feraient les Etats-Unis ? Il parle encore et toujours des sanctions et de la diplomatie. Je pense que ceux et celles qui craignent les conséquences d’un Iran nucléaire, ce qui inclut la majeure partie du monde arabe, plusieurs des gouvernements arabes du Proche Orient et pas seulement Israël, ont un peu peur que le président se repose trop sur la diplomatie et les sanctions. Peu sont convaincus de l’efficacité d’une telle politique parce que les Iraniens semblent déterminés à aller de l’avant peu importe ce que les Etats-Unis disent, peu importent les difficultés économiques que cela représente pour eux. Aussi, même si le président a dit hier soir que la Russie et la Chine ont adopté cette politique, ça n’est pas vraiment le cas, il semble bien que la Chine soit prête à acheter du pétrole iranien, même en cas d’embargo américain et européen. Ce que les ayatollahs ont aussi entendu dans ce discours c’est qu’ils peuvent continuer leurs menaces et balayer vers l’avant.
En cela, comme l’écrit Les Gelb dans Foreign Relations, il se peut bien qu’ils aient le même calendrier que M. Obama qui ne veut pas de confrontation avec l’Iran en ce moment, sûrement pas d’ici novembre. Il ne veut pas se retrouver en guerre en année électorale ou avoir à se retirer d’Iran au cours de cette période ; il est très inquiet du vote pro-israélien, du vote juif.
A.G. Professeur Khalidi, que répondez-vous au discours de M. Obama et à ce que vient de dire J. Tobin ?
Rashid Khalidi : Ce discours était une tentative de livrer de la substance à l’auditoire sur tout sauf sur l’Iran. Il est convaincu, comme toute personne sensée, tout membre rationnel du gouvernement américain, qu’une guerre contre l’Iran serait catastrophique pour les Etats-Unis, que ça ne servirait en rien les buts poursuivis par ceux et celles qui plaident pour la guerre, et que c’est complètement inutile compte tenu du fait qu’il n’y a pas de preuves que l’Iran aie un programme militaire nucléaire. Il n’y a pas que les Américains qui soutiennent ce point de vue, c’est toute la communauté du renseignement y compris semble-t-il celle d’Israël. Donc le président a voulu prendre de la distance à ce sujet même s’il n’a pas retraité complètement.
Comme le dit M. Tobin, il a effectivement passé sous silence ses différents avec M. Nétanyahu, bien présents au cours des deux premières années de sa présidence. Il voulait mettre l’accent sur les multiples façons que les Etats-Unis ont utilisé pour s’aligner sur les gouvernements israéliens et en faire la liste.
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Il en a démontré la substance et a parlé de ce qu’il a fait lui-même : les Etats-Unis continuent de s’opposer à la campagne de boycott « désinvestissement et sanctions » et à d’autres formes de soutien aux Palestiniens.
Je pense qu’il n’y a pas que le problème iranien qui soit déterminant ici. Ce problème crée une véritable hystérie dans les médias, chez certains groupes de penseurs, et dans une partie du gouvernement israélien, pas dans sa partie sensée. Il existe une forte partie des militaires israéliens, généraux en service actif et retraités, certains gradés, retraités et en service actif dans les renseignements de ce pays qui pensent exactement comme toute la communauté du renseignement et militaire américaine : 1- qu’il est très, très dangereux d’attaquer l’Iran, 2- que c’est complètement inutile. Malgré cela, l’hystérie continue et il m’apparait que les Républicains y participent de façon irresponsable, certainEs d’entre eux-elles tentent de la mousser comme cela c’est passé lors de cette conférence à ce qu’il me semble.
Malheureusement, il me semble aussi que le président, au lieu de dénoncer ce discours et ce qui nous y a conduits, en a adopté certains éléments. Par exemple, il parle de la souffrance du peuple israélien. C’est évident qu’il a souffert. Mais il ne fait aucune mention des souffrances du peuple palestinien. Aucune mention, non plus du fait qu’il est face à un gouvernement israélien qui a absolument refusé de bouger d’un seul pouce sur la question des colonies. Malgré ses efforts qui suivaient ceux des présidents Carter, Reagan et Bush-père. Et ainsi de suite….Il a reculé sur tout cela après sa deuxième année de présidence. Peut-être qu’il a raison de se concentrer sur la question de l’Iran mais malheureusement, du même coup il a évacué les Palestiniens et ainsi, il me semble, toute sérieuse possibilité de travailler à la paix au moins d’ici les prochaines élections.
A.G. Qu’en dites-vous M. Tobin ?
J.T. J’aurais quelques observations : 1- à propos de la grande diversité d’opinions en Israël ; je pense aussi qu’il y en a évidemment une. Israël est une démocratie très vivante et cette démocratie s’étend jusque dans le milieu militaire. Toutefois je pense qu’il n’est pas tout-à-fait exact de dire qu’il y a un débat majeur à propos de la menace iranienne. Il y a par contre, un débat sur comment Israël et l’Occident pourraient empêcher l’Iran de se procurer l’arme nucléaire. L’adversaire le plus acharné du premier ministre Nétanyahu et du ministre de la défense E. Barak quand à une possible attaque contre l’Iran, est l’ancien chef du Mossad, M. Meir Dagan. Il ne nie pas que l’Iran soit dangereux ni que son programme nucléaire soit mortel, soit une menace existentielle, il soutient que la meilleure façon d’y faire face est de procéder par des interventions secrètes non par une attaque aérienne.
Je pense qu’il n’est pas exact de dire que le président a ignoré les Palestiniens. Ce sont eux qui l’ont ignoré depuis le début de son administration. Chaque fois qu’il a eu une confrontation avec M. Nétanyahu , qu’il a fait pression sur Israël, les Palestiniens n’ont pas saisi l’occasion. Lorsque, finalement M. Nétanyahu s’est rendu aux arguments de M. Obama et a décrété un gel de la colonisation, les Palestiniens n’ont même pas négocié avec lui. Ils n’ont plus négocié depuis qu’ils ont rejeté l’offre de M. Ehud Olmert de créer un État palestinien avec presque toute la Cisjordanie, Gaza et une partie de Jérusalem. Donc, dire que le président n’a rien fait pour les Palestiniens…..il a fait quelque chose. Il a été remercié avec des rebuffades.
Quant à l’idée qu’il serait insensé de s’inquiéter de l’Iran….je pense qu’il existe un large consensus dans la région….
A.G. Laissez-moi demander une réaction à ces propos au professeur Khalidi qui est un Américain d’origine palestinienne.
(…)
R.K. Il y a deux éléments. Je pense qu’il est parfaitement sensé de s’inquiéter à propos de l’Iran. Je pense qu’il est insensé de penser qu’une guerre contre ce pays ne créerait pas le problème qu’elle serait sensée résoudre. Attaquer l’Iran garantit que le pays va se doter d’armes nucléaires. Il y a de fortes possibilités qu’on puisse empêcher cela, ou encore que l’Iran n’ait aucun intention de se doter de telles armes ou encore qu’il n’en ait pas la capacité dans un futur proche. On déclare que la question est de savoir s’il faut attaquer l’Iran ou non ; pas si ce serait une mauvaise chose qu’un autre pays de la région possède une telle arme à part Israël. Oui ce serait une mauvaise chose. En fait, ce serait une mauvaise chose parce qu’Israël possédant déjà une telle arme on y ouvrirait ainsi une véritable course à l’armement nucléaire. Le président a tranquillement dit (il aurait dû le dire plus fort), que la non prolifération nucléaire dans la région était dans l’intérêt des Israéliens, des Arabes, des Iraniens et des Etats-Unis. Avec son immense armement nucléaire, Israël est l’éléphant dans la pièce dont on ne parle pas. Et c’est l’Iran qu’on désigne comme le vilain.
On doit dire que les Iraniens en font beaucoup pour cultiver cette réputation. C’est un régime qui a dit et fait des monstruosités. Mais ils ne sont pas le danger existentiel que l’on décrit pour Israël. Les Israéliens les plus sensés savent cela, dont la plupart des dirigeants de la sécurité dans le pays. On manipule et joue sur la peur ici et en Israël à ce propos. Le président l’a dit et les responsables du renseignement américains et israéliens estiment que les Iraniens n’ont pas la capacité de développer une telle arme ni ne sont à la veille de l’avoir . C’est l’opinion actuelle des services de renseignements et de la majorité des militaires israéliens. Oui il y a tout un battement à ce propos dans les journaux israéliens mais, cela ne veut pas dire que les responsables de la sécurité l’entérinent. Je pense que, jusqu’à un certain point, nous sommes face à la manipulation de la peur.
A.G. Alors, est-ce que ,comme le dit M. Tobin, les Palestiniens ont laissé tomber le président Obama ?
R.K. C’est à une longue litanie qu’il faut répondre ici. Disons, que les Palestiniens sont divisés ; il y a de profondes divisions parmi eux. Le président n’a pas aidé à la résolution de ce problème. Israël a essayé de diaboliser le Hamas, une des composantes du mouvement national palestinien, avec un certain succès. Ils ont également réussi aux Etats-Unis. Sans qu’ils soient arrivés à leur unité, capables de décider de ce qu’ils veulent à propos de la suite à donner à leur lutte nationale, y compris via des négociations, le Hamas a quand même déclaré qu’il était d’accord à ce que l’Autorité palestinienne négocie en faveur de la solution des deux États séparés. Je ne suis pas particulièrement enthousiaste par rapport à ce qui peut ressortir d’une coalition entre les deux principales factions palestiniennes, mais penser qu’on peut négocier avec une faction en laissant l’autre de côté est une fausse idée. Les gens n’aiment pas les positions du Hamas ? Qu’on les laisse accéder au pouvoir, qu’on accepte en négociation ce qu’ils ont dit qu’ils feraient, puisque c’est le compromis dans lequel les Palestiniens s’engagent ; qu’on le leur permette. Le président n’a absolument rien dit à ce sujet dans son discours ; c’est jeter un peu plus de force dans le camp israélien. Vous ne pouvez faire la paix avec les Palestiniens si vous travaillez consciencieusement et sérieusement à les diviser. Les Palestiniens doivent s’unir pour pouvoir décider comment faire face aux problèmes qu’ils ont à résoudre. C’est une pré-condition. Et, malheureusement le président a passé cela sous silence.
A.G. … J’examine en ce moment un rapport que viens tout juste d’expédier M. Juan Cole qui dit : « Des rapports préliminaires dans le cadre de la 9ième élection parlementaire en Iran depuis 1979, année de la révolution, montrent que M. Ahmadinejad, le leader populiste est en train d’essuyer une baisse significative des votes exprimés ». Il parle d’une remontée importante du leader suprême, M. Ali Khamenei ; il est en progression en Iran. Il y a dix jours il a déclaré : « La nation iranienne n’a jamais recherché et ne recherchera jamais à posséder d’arme nucléaire. Il n’y a aucun doute que les décideurs de ce pays qui sont nos opposants, savent que l’Iran n’est pas engagé dans une course aux armes nucléaires parce que la République islamique, logiquement, religieusement et théoriquement considère que la possession de telles armes est un péché grave et croit que leur prolifération est insensée, destructive et dangereuse ». (…)
Jonathan Tobin, qu’en dites-vous compte-tenu que ces élections législatives de vendredi dernier ont marqué le recul de M. Ahmadinejad et la progression du leader suprême Khamenei ?
J.T. Je pense qu’il faut comprendre qu’autant que M. Ahmadinejad a été l’enfant terrible du pays, le leader suprême a toujours été tel et a toujours été plus en contrôle que M. Ahmadinejad. Les rivalités de factions iraniennes sont intéressantes pour ceux et celles d’entre nous qui suivent de prêt ce qui s’y passe mais ça ne change pas grand-chose quand aux modifications politiques à introduire. Le leader suprême peut avoir déclaré que la course aux armes nucléaires est un péché, mais le gouvernement a poursuivi et poursuit toujours son programme nucléaire. Ils ont enrichi l’uranium à un point où c’est suspect, si suspect, que ça permet à l’Agence de l’Énergie atomique de grandement s’en inquiéter et de parler de possibles travaux en vue de la fabrication d’armement.
L’idée qu’il ne s’agirait que d’une fabulation tient à mon sens d’une falsification des rapports de renseignements. Je veux dire que c’est vrai qu’ils n’ont pas d’arme atomique en ce moment. La question est de savoir si nous sommes à un tour de vis de ce point ou non. Et cela crée une grande frayeur. Il ne s’agit pas d’un gouvernement qui n’a dit que des bêtises à l’occasion, il proclame avec force des politiques visant à détruire Israël, à le rayer de la carte. Les risques sont pour la totalité de la région ; le laisser s’équiper de l’arme nucléaire c’est mettre toute la région en danger. La peur ne va pas jusqu’à comparer la situation à celle de la Corée du Nord. La Corée du Nord a joué avec cette réalité pendant dix ans de négociations (avec les Etats-Unis, la Chine et la Corée du Sud), et tout-à-coup le monde a été mis devant l’évidence : ils avaient la bombe et il n’y avait plus rien à faire. Et penser que seules les sanctions vont venir à bout du problème, tient plus de l’espoir que d’une véritable politique. Je pense que beaucoup de membres du gouvernement américain sont de cet avis mais refusent de se rendre aux conclusions logiques qui devraient en découler pour déterminer leurs actions. Vous savez, personne en Israël ne veut la guerre, ils en souffriraient trop. Mais la question est de savoir si ce serait pire que de laisser le monde vivre avec un Iran nucléaire. Pour revenir à ce que dit le professeur à propos de l’arsenal nucléaire israélien, il n’est pas vraiment l’élément caché de la situation parce qu’Israël a démontré depuis 40 ans qu’il n’était pas une menace pour le reste de la région alors qu’il est le seul pays menacé de disparition par plusieurs de ses voisins.
R.K. Plusieurs ?
J.T. Je pense que son programme de dissuasion est raisonnable et le gouvernement américain pense de même.
A.G. Laissez-moi demander au professeur Khalidi de réagir à cela. Je voudrais aussi élargir à la question de savoir ce que cela représenterait si les Etats-Unis ou Israël attaquaient l’Iran.
R.K. Commençons avec deux choses : 1- La communauté du renseignement américain, qui était grandement politisée du temps du président Bush, a essayé de retourner à des travaux sérieux et est arrivée à la conclusion que l’Iran avait mis fin à son programme de production d’armes nucléaires. On peut toujours spéculer sur la grandeur de la menace que cela pourrait représenter, mais la communauté du renseignement nous dit que ça ne va pas arriver et ceux d’Israël semblent eux aussi être arrivés aux mêmes conclusions : ce programme est à l’arrêt. Ils n’ont plus, d’après cette communauté, de programme d’armement nucléaire ; ils ont arrêté et n’ont pas repris. C’est la première chose.
2- Que donnerait une guerre contre l’Iran ? Cela garantirait qu’aucun responsable iranien dans le présent comme dans le futur, ne voudrait voir son pays sans arme nucléaire après une attaque de provocation, que ce soit par les Etats-Unis ou Israël. Donc, cela mènerait inévitablement au résultat que les gens qui plaident pour une attaque dite préventive contre l’Iran veulent empêcher, à savoir empêcher l’Iran de devenir une puissance nucléaire.
3- Il faudrait aussi parler des éventuels dommages que ferait une telle guerre en Israël. On ne peut douter qu’une telle guerre y ferait de sérieux dommages. Il y en aurait aussi dans toute la région ; voilà pourquoi l’armée américaine est tellement contre. On ne peut y combattre facilement et ce serait un tel désastre que les guerres d’Irak et d’Afghanistan auraient l’air d’un souper mondain. Les militaires savent cela. Ils savent ce qui va arriver en Afghanistan. Ils savent ce qui va arriver en Irak. Ils savent ce qui va arriver en matière de terrorisme. Ils savent ce qui va arriver dans les États du Golfe. Ils savent ce qui va arriver du prix du pétrole. Une guerre contre l’Iran serait une catastrophe pour le Proche Orient. Comparativement, les guerres d’Irak et d’Afghanistan paraîtraient de bien petites affaires.
A.G. Qu’est-ce que cela veut dire ? Je voudrais qu’on parle maintenant de la Syrie et de l’Iran, des liens entre ces deux pays, de ce qui se passe en Syrie en ce moment. Que pensez-vous qui doit être fait maintenant ? Je m’adresse d’abord à vous J. Tobin. Selon les dernières informations, des milliers de SyrienNEs ont été tuéEs. Des centaines de soldats syriens sont entrés dans la ville de Deraa où les manifestations anti gouvernementales ont commencé l’an dernier. La Croix rouge et le Croissant rouge syrien cherchent toujours à obtenir des autorités les permis nécessaires pour entrer dans le quartier de Baba Amr à Homs (qui était toujours en état de siège à ce moment là). Que pensez-vous de ce qui arrive là ?
J.T. Je pense que l’optimisme démontré par le président Obama et tout ce qui se dit ici à propos d’une chute imminente de Bahar Al Assad est de l’ordre de l’optimisme déplacé. L’histoire nous montre que les tyrans tombent quand leur soif de sang s’est éteinte, pas quand ils sont toujours friands de tueries pour se maintenir au pouvoir. Assad ne semble pas avoir encore perdu sa soif de sang. Il semble déterminé à se maintenir au pouvoir. Peut-être que les défections dans les rangs de son service de renseignement et dans l’armée vont l’affaiblir, mais je pense qu’il est décidé à aller jusqu’au bout, à faire tout ce qui est nécessaire pour se rendre là. Et il a l’appui de l’Iran, son allié.
Je voudrais revenir à un des arguments du professeur Khalidi, à savoir qu’une guerre contre l’Iran l’amènerait invariablement, un de ces jours à se procurer la bombe atomique. Je ne le crois pas et ce n’est pas nécessairement irrémédiable. Je pense que comme la destruction des installations en Irak et en Syrie en 2007 l’a démontré, le coût de leur reconstruction est tel que ce serait inenvisageable pour ce pays. La seule façon d’y arriver passerait par la levée des sanctions ce qui est peu probable si leur politique ne change pas. Donc je pense que c’est un faux argument. Ce que certains examinent c’est une attaque contre les installations nucléaires pas une invasion.
R. K. Vous ne pouvez pas détruire tous les équipements. Vous ne pouvez pas détruire l’expertise. Il s’agit d’un pays de 80 millions d’habitants. Un pays où la base industrielle et les capacités sont bien plus grandes que celles de la Syrie ou de l’Irak. Et il n’y a aucune preuve tangible que ces pays (la Syrie et l’Irak), aient eût de véritables programmes d’armement nucléaire. Ce qui y a été détruit, ce sont de petits réacteurs, si pour ce qui est de la Syrie, il s’agissait vraiment d’un réacteur. Les Iraniens ont une impressionnante connaissance du nucléaire. Si ce pays est attaqué, sans qu’il ait provoqué qui que ce soit, je suis convaincu que les chances sont fortes qu’il développera des armes nucléaires. Ils pensent qu’ils n’ont pas d’autre choix.
Pour en revenir à la Syrie, ce qui était votre question de départ ; je pense que la situation évolue vers une impasse dans le sang, vers une sanglante guerre civile. Il est clair qu’une majorité de la population rejette le régime en place. Mais il est aussi clair, et c’est ce que certainEs ne veulent pas voir parce que c’est trop douloureux, qu’il y a une base qui l’appuie et pas seulement chez les Alaouites, pas seulement dans les minorités. Une grande partie de la classe d’affaires l’a appuyé pendant longtemps. Cet appui est en train de s’effriter mais sa base est bien plus large et forte que cela. Malheureusement, cela va lui permettre de poursuivre sa politique actuelle et beaucoup sont prêtEs à l’accepter.
Je crois qu’une attaque contre la Syrie, que ce soit par les Etats-Unis ou d’autres, serait éminemment irresponsable. C’est terrible de voir le régime bombarder des villes comme Hama, Homs, Rastan ou Deraa. Je vivais au Liban quand ils ont attaqué Hama en 1982 ; c’était atroce.
A.G. Quand Afez Al Assad y a tué 10,000 personnes…
R.K. Oui et probablement encore plus ; nous ne le saurons jamais. Ils ont détruit une grande partie de la ville. (…) Aujourd’hui ils ne sont pas arrivés à ce niveau mais ça peut arriver. Et ce qu’ils ont fait à une plus petite échelle, est atroce. Quoi qu’il en soit, ce pays est bien équipé en défense aérienne. C’est un pays où l’armée n’est pas encore en morceaux. Une attaque contre ce pays serait difficile, et très douloureuse mais renforcerait probablement les appuis au régime. Ce n’est pas la Lybie. Ce n’est pas un pays de désert sans autre obstacle et sans défense propre. Et ce ne sont pas que les États-Unis qui n’ont même pas suggéré une intervention militaire directe, la Turquie ne l’a pas fait non plus comme d’autres pays qui appuient pourtant l’opposition. Cela signifie qu’il y aura une tragédie humaine parce que ce régime va continuer à tuer pour se maintenir au pouvoir. Je ne vois pas de division telle dans l’armée qui pourraient faire une véritable différence. C’est très dur de voir l’opposition…
A.G. Beaucoup de soldats quittent les rangs…
R.K. Des soldats, pas des commandants. Il n’y a pas eu de défection d’unités complètes jusqu’ici. Et malheureusement, il y a suffisamment d’unités sous le contrôle serré de commandants Alaouites pour que la tuerie se continue encore un bon moment.
A.G. Qu’en est-il du rôle de la Ligue arabe ?
R.K. Disons deux choses. La plupart des régimes arabes sont maintenant du côté de l’opposition. Malheureusement il s’est développé un front conjoint de l’Arabie Saoudite et du Qatar qui a vraiment fait d’énormes pressions contre le régime syrien. On a pu le voir sur Al Jazeera (…) sur Al Arabia. Ils ont pris une position très forte et, je pense que jusqu’à un certain point c’était irresponsable. La Ligue arabe n’a rien fait de concret ni pour soutenir le soulèvement ni pour faire pression sur le régime. Je ne pense pas que beaucoup aient fait plus. C’est une situation tragique. Et je ne crois pas qu’elle va se résoudre sous peu. Je suis d’accord avec M. Tobin sur ce point. Quoiqu’en disent le président et bien d’autres, ce régime ne va pas tomber de sitôt, malheureusement.
A.G. Je vous remercie Ms Tobin et Khalidi.
N.D.T. Rashid Khalidi est l’auteur de plusieurs livres dont : Sowing Crisis : American Dominance and Iron Cage : The Story of the Palestinian Struggle for Statehood.
Jonathan Tobin est le rédacteur en chef du magazine Commentary. C.f. son article intutilé : What’s is missing from Obama AIPAC Speech ? Red Lines on Iran an Palestinians. Il est aussi chroniqueur au Jerusalem Post et dans d’autres parutions.