La constituante est en effet un des points centraux, un des points les plus originaux, les plus riches, innovants, quant à la question de l’indépendance du programme de QS ; mais aussi un des plus discutés, interprétés, contestés, objets de litiges, de discussions passionnées, de débats houleux. En fait la conception qu’on en a actuellement à QS, correspond à un long processus de réflexion, entamé du temps de l’UFP (juin 2002), sanctionné par 2 votes au sein du parti (2009/2016) mais s’enracinant dans une histoire collective beaucoup plus longue qui remonte jusqu’aux Patriotes de 1837/38. Il est important donc d’essayer d’en comprendre toute la signification, et ainsi de saisir au passage peut-être les raisons de ces interprétations divergentes. Et pour ce faire, je vous propose de procéder en 3 temps, en partant du général et en allant au plus particulier.
1) Dans un premier temps, on cherchera donc à se rappeller ensemble quelles sont les bases d’une Assemblée constituante, à fixer donc quelques points de repère : qu’est-ce qu’une Assemblée constituante, à quoi sert-elle, quelle est sa fonction politique, juridique, etc., quand a t-on commencé à entendre parler d’elle, historiquement parlant, pourquoi redevient-elle à la mode aujourd’hui, quelles formes peut-elle prendre ?
2) Puis dans un deuxième temps, on s’attardera plutôt à l’Assemblée constituante telle que vue par QS : pourquoi une Assemblée constituante au Québec dans la perspective d’un parti comme QS, que peut-elle apporter de nouveau, en quoi rompt-elle avec l’approche péquiste traditionnelle, quels seraient ses avantages, sespoints forts, ses fragilités ?
3) Puis dans un troisième temps et en conclusion, on abordera plus précisément le débat qui a eu lieu au sein de QS et qui est en train de rebondir à l’occasion des discussions avec ON : une Assemblée constituante, avec ou sans mandat d’indépendance, quels en seraient les enjeux, les défis ? Que révèle ce débat ? Et que pensez du double vote tel que défendu parPaul Cliche et Jonathan Durand Folco.
I) Qu’est-ce qu’une Assemblée constituante ?
C’est une institution collégiale (qui peut aller de la formation d’un groupe d’experts en droit constitutionnel, à une assemblée des représentants du peuple élus au suffrage universel) qui a pour tâche de rédiger la constitution d’un pays, c’est-à-dire la loi des lois d’un pays, l’ensemble des lois fondamentales, des lois-mères qui constituent l’armature juridique de tel ou tel pays [1]. Il s’agit donc de rédiger non seulement le texte fondamental d’organisation des différents pouvoirs politiques (éxécutif, législatif, judiciaire, médiatique, etc.) qui structurent un pays donné (régime présidentiel, parlementaire, etc.), mais encore de nommer les institutions qui les incarnent (république parlementaire, république sociale, monarchie constitutionnelle, démocratie censitaire, etc.) et de rappeler les valeurs et les principes sur lesquels repose la vie commune (liberté, égalité, fraternité, importance des droits collectifs versus droits individuels, etc.). L’assemblée constituante n’a donc pas qu’une portée strictement juridique, par sa dimension « fondatrice » elle touche peu ou prou à toutes les dimensions de la vie en société, y compris économique.
L’assemblée constituante joue donc un rôle d’orientation ou plutôt de ré-orientation générale d’une société donnée aspirant à obéir à des principes d’ordre démocratique. (on décide ensemble des lois auxquelles on obéit). Parce que, là où il y a constitution, il y a toujours l’idée que le droit et la paix civile doivent primer sur la force et la guerre et que la loi est une règle universelle qui s’applique à tous les citoyens de manière semblable, évitant ainsi les abus de pouvoir, permettant la vie en société. Il y a aussi l’idée que ce qui est important dans une société c’est l’existence de droits inaliénables qui doivent pouvoir nous protéger de l’arbitraire du pouvoir absolu ou tyrannique. C’est pour cela d’ailleurs que l’on entend parler de constituante dans l’histoire surtout à partir des révolutions française (1789) et américaine (1776), et que l’on assiste aujourd’hui à un retour en force de cette problématique depuis la chute des pays dits socialistes qui eux, avaient mis l’accent plutôt sur des transformations directement économiques et politiques (l’infrastructure socio-économique), jugées plus « réelles » que celles juridiques considérées comme par trop « formelles » (la superstructure juridicopolitique). Quoiqu’il en soit, l’appel à une assemblée constituante marque plus souvent qu’autrement, une volonté de rupture, de changement de cap, de refondation. Une refondation qui peut d’ailleurs être interprétée comme l’inscription dans l’univers juridique, de nouveaux rapports de force entre les différentes composantes ou classes de la société.
Pour illustrer ces grandes idées on pourrait prendre l’exemple du Venezuela contemporain que j’ai eu la chance de suivre d’un peu plus près ces dernières années. La constituante dont Chavez a fait la promotion lors de la campagne présidentielle de 1998 et dont il est sorti gagnant (avec 56% des voix), visait à incarner les très fortes aspirations au changement social de larges secteurs de la population vénézuélienne exaspérés par les effets de l’application dratique de mesures néolibérales et de la crise des institutions de la 4ième république qui s’en est suivie (voir sous Andres Carlos Perez, le Caracazo de février 1989). Il s’agissait pour lui, rien de moins que de jeter les bases d’une cinquième république (qui romprait donc avec les injustices et les patronages clientélistes (la corruption) propres à la 4ième république fondée quant à elle en 1958). L’idée de constituante emportait donc avec elle une dimension révolutionnaire, radicale (au sens de prendre les choses à la racine), transformatrice tout à fait séduisante. Et c’est tambour battant qu’il va la propulser sur le devant de la scène, car c’est la première mesure qu’il prendra après son élection : un décret visant à appeler le peuple à se prononcer par un référendum sur la convocation d’une assemblée constituante, le 25 avril 99 : « convoquez-vous une Assemblée-constituante avec la proposition de transformer l’État et de créer un nouvel ordre juridique qui permette le fonctionnement d’une démocratie sociale et participative ? » ; êtes-vous d’accord avec les bases proposées par l’exécutif national pour la convocation (..) ? 92% à 86 % de votes en faveur, mais avec 62% d’abstention. Le 3 août : il y a donc élection des constituants avec une large majorité pour le « Pôle patriotique » qui emporte 122 sièges sur les 128 que comptait l’assemblée constituante. Ses travaux dureront jusqu’au 17 novembre 99 (Chavez en ayant d’autorité réduit le temps de moitié), et seront confirmés par un second référendum qui se tiendra le 15 décembre 1999 (avec 71% de oui, mais 51% d’abstention), en rappelant cependant que c’était la première fois que la constitution du pays était soumise à un vote populaire direct (et en juillet 2 000 : élections générales selon la nouvelle constitution).
Dans les faits, malgré les énormes avancées vis-à-vis de la constitution précédente de 1961 et par rapport à la question initiale, les résultats ont plutôt été mitigés, de l’ordre du compromis, et cela malgré l’écrasante majorité du « Pôle patriotique » d’obédience chaviste : la reconduction d’une démocratie représentative (avec régime présidentiel fort) au sein de laquelle ont été installés quelques notables aménagements participatifs (référendum révocatoire touchant au poste de président, ajout de 2 pouvoirs complémentaires dotés d’une relative indépendance : « le pouvoir électoral » et « le pouvoir citoyen » ainsi que la reconnaissance des peuples indigènes et le fait qu’au sein d’une économie mixte, il est reconnu le rôle interventionniste de l’État (à la fois comme propriétaire et régulateur). Mais restait aussi toute la question de l’application et de la mise en forme de lois précises, de toutes ces nouvelles et grandes orientations : objets dans les années subséquentes de batailles politiques permanentes. Conclusions provisoires : a donné lieu à un élan, a provoqué un changement de cap, mais est loin d’avoir tout réglé. Voir aussi d’autres exemples : la constituante pour la 6ième république de la France insoumise [2] (5ième 1958/1946 4ième), de l’Équateur et de la Bolivie [3]. Voir aussi les assises nationales des États généraux du Canada français en 1969 [4]iv, et le Parti québécois des années 70 [5]
II) La constituante selon QS
Même si l’idée était déjà dans l’air au Québec [6]vi, l’idée de la constituante telle qu’elle a pris corps à QS, a été au point de départ, élaborée au sein de l’UFP. Elle visait à répondre aux insuffisances et échecs de la stratégie péquiste des années (80-90) quant à l’accession à l’indépendance ainsi qu’aux aspirations de démocratie participative de plus en plus vives à partir des années 2000 dans les milieux de la gauche : proposer un moyen nouveau et original pour affirmer la souveraineté en acte de tout un peuple ; et le faire en pensant qu’ainsi on se donnerait plus d’armes ou d’outils pour réaliser effectivement l’indépendance du Québec. Les avantages appréhendés : exercice donnant plus de temps pour mieux convaincre et mieux contrer les puissantes campagnes contraires du fédéralisme et des lobbies médiatiques ; exercice permettant l’implication citoyenne, renforçant la mobilisation sociale de larges secteurs de la population, ayant la vertu de faire apercevoir à tout un chacun –à travers l’élaboration d’une constitution commune— ce que pourrait vouloir dire vivre dans un pays indépendant, manière de créer ainsi un rapport de force plus favorable à la rupture indépendantiste. Pour l’UFP [7], il ne s’agissait donc pas de dissocier l’exercice collectif d’élaboration d’une constitution, de la marche à l’indépendance. Il s’agissait d’une seule et même chose, l’un favorisant l’autre et vice-versa. On y évoquait d’ailleurs la figure explicite d’une république, la république du Québec et on se revendiquait au passage de l’héritage des Patriotes (manière de ré-activer leurs aspirations passées) [8]. Avec l’arrivée d’Option citoyenne (moins sensible à cette question) et la naissance de QS, la question de l’indépendance ou de la souveraineté a eu tendance, pendant un premier temps à être traitée sur un mode très général, en faisant l’impasse sur la constituante (on était tout à la fois un parti féministe, altermondialiste, écologiste, souverainiste, soucieux de la question sociale, etc.). Et ce n’est qu’en 2009 lors d’un congrès ad hoc que l’on accouche du gros de la position actuelle de QS, position réaffirmée en 2016 en congrès [9]
Ce qui est notable c’est plusieurs accents originaux sont mis en évidence : a) le projet social (c’est d’abord au nom de ce projet social (de justice et d’égalité et de démocratie participative, puis de la préservation de la nation québécoise) que l’indépendance est jugée nécessaire, car autrement le projet serait irréalisable ; b) la dimension citoyenne de la nation définie comme communauté politique (on y appartient parce qu’on partage sur un territoire donné une même vie commune, plus que parce qu’on appartient à un passé) ; c) la dimension plurielle et diversifiée de la nation aux plans ethnique et culturel avec une langue commune le français ; d) une démarche de souveraineté populaire et participative, avec un grand souci d’autonomie, de représentativité de la société civile (hommes/femmes, régions, secteurs professionnels, présence possible autochtone, environ 500 constituants (différents des députés de l’Assemblée nationale), travail sur 18 mois) ; e) Mais à travers l’élection d’une assemblée constituante ouverte ou plutôt indéterminée à laquelle le gouvernement de QS donnerait le mandat de faire « une constitution du Québec », sans spécifier si celle-ci serait ou non indépendantiste, tout en admettant par ailleurs que Québec solidaire défendra son option sur la question nationale québécoise
On voit donc où git l’originalité (angélique !?) de cette position : ne pas vouloir —au nom des principes de la démocratie et de la souveraineté d’un peuple (et de l’autonomie souveraine d’une assemblée constituante)—, orienter depuis le gouvernement les débats de l’assemblée constituante. On voit aussi où elle peut faire problème, car (1) fait totalement abstraction de la puissance et de la présence destabilisante (non démocratique) des instances fédérales (correspondant à un dispositif de domination coloniale) ; (2) compare illusoirement l’Assemblée constituante à un forum convivial, à une aimable conversation collective aux vertus pédagogiques (permettant le ralliement des indécis), alors qu’elle se muera inévitablement en champ de bataille politique, et ne pourra aucunement être « une arêne neutre » où toutes les idées auront une chance égale d’être reconnue à leur juste valeur.
Conclusion : une position en devenir, le débat ouvert par ON et la proposition de Durand Folco et Cliche ? Débat avec la salle : d’accord, pas d’accord ?
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