Édition du 17 décembre 2024

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Asie/Proche-Orient

Après le printemps arabe, l'été israélien ?

« Un miracle », dit également Daoud Khoury, avocat palestinien, qui, depuis trois jours, a fermé son cabinet de Jérusalem pour passer son temps avec les manifestants de Tel Aviv : « Je suis venu voir la révolution ! On entend enfin les mots de "riches" et de "pauvres" qu’on n’entendait plus dans ce pays. Et on peut parler de tout… C’est ma place Tahrir ».

En deux semaines, les timides premières tentes installées à Tel Aviv pour montrer que les gens ne peuvent plus se loger décemment, ont proliféré. Ils étaient 100.000 à manifester hier pour la « justice sociale ».

« Un miracle ! » C’est vrai qu’on est en Terre Sainte, mais il est rare d’entendre des dizaines de milliers de manifestants parler de « miracle ». Dans une foule laïque où l’on n’aperçoit aucune kippa ou chapeau noir à l’horizon.

C’est donc un miracle ? Samedi soir, ils sont sortis joyeux des tentes où ils campent depuis quinze jours sur le boulevard chic de Tel Aviv, le boulevard Rothschild, où poussent les gratte-ciels design des banques et s’ouvre chaque semaine un nouveau restaurant branché dans un immeuble Bauhaus rénové. Là aussi où, au numéro 16, David Ben Gourion a signé en 1948 la déclaration de naissance de l’État d’Israël.
La tente, tout un symbole

En deux semaines, les timides premières tentes installées sous les arbres au milieu du boulevard pour montrer que les gens ne peuvent plus se loger décemment à Tel Aviv —plus de 50% d’augmentation des loyers en 5 ans en Israël quand les salaires n’augmentaient que de 17% — ont proliféré. On les voyait gagner petit à petit le kilomètre entier du boulevard attirant des milliers de visiteurs et passants à toute heure du jour et de la nuit, venus de Tel Aviv et d’ailleurs. La tente, tout un symbole, chaque Israélien en a une à la maison, une institution dans ce pays où les jeunes commencent par camper dans la nature et finissent par camper dans les bases militaires.

Les protestataires des tentes — jeunes gens modernes qui travaillent sur leur Ipad et surfent sur Facebook sous une vraie toile — en pleine forme après leurs deux semaines de fête, de musique, de débats infinis où le boulevard Rothschild rappelait les nuits de mai 68 quand des inconnus pouvaient se parler pendant des heures, ont quitté le boulevard Rothschild pour marcher jusqu’à l’esplanade de l’Opéra et du Musée d’art moderne de Tel Aviv, autres symboles des bobos de la ville.

Rejoints par les motards qui protestent contre la hausse du prix de l’essence, les parents qui manifestent depuis plusieurs jours avec leurs enfants dans les poussettes pour demander les moyens de les élever et les éduquer, les médecins en grève, des habitants des villes arabes de Galilée où la construction de logements s’est arrêtée, une foule avec des drapeaux israéliens, sans étiquette politique, sans parti, sans leaders, estimée à près de 100.000 dans les rues de Tel Aviv.

A la même heure, une foule identique marche à Jérusalem (10.000 manifestants, un record pour une manifestation non religieuse), Haifa, Beer Sheva, Nazareth, en tout une douzaine de villes.

Une nouvelle génération qui se découvre avec stupeur et marche pour « la justice sociale ». L’égalité, la démocratie. Qui a fait son service militaire, des études, a un boulot et n’arrive pas à vivre bien dans un pays moderne. « Les gens travaillent et ils n’ont plus assez d’argent pour avoir une vie normale », explique un couple de cadres supérieurs à ses trois enfants, venus ensemble à la manifestation depuis Herzlyah, le Neuilly de Tel Aviv. Classe moyenne, ou majorité silencieuse, dénoncée par la droite comme « les jouisseurs hédonistes de Tel Aviv », cette « bulle » sans valeurs et sans morale. En opposition aux soi-disant vraies valeurs nationalistes et religieuses de cette droite au pouvoir qui investit lourdement dans la construction de maisons dans les colonies en territoires occupés et subventionne les ultra-orthodoxes religieux.

« C’est l’État de Tel Aviv qui gagne contre l’État des colons », se réjouit l’écrivain arabe israélien Sayed Kashua, d’habitude très sceptique sur ses concitoyens israéliens. « Enfin on trouve plus sympa l’État de Tel Aviv. »

« La nuit où j’ai été fier d’être israélien »

Et un autre virulent critique de la société israélienne, le journaliste Gideon Levy célèbre pour ses reportages très durs sur l’occupation en Palestine, publie dimanche dans Haaretz un article au titre plus que surprenant de sa part : « La nuit où j’ai été fier d’être israélien » expliquant que « ceux qui se moquaient du mini Woodstock sur Rothschild doivent maintenant reconnaître que c’est le détonateur d’un mouvement, le plus important mouvement de protestation de l’histoire israélienne. »

De gauche le mouvement ? Pas seulement. Des maires, des conseillers municipaux de droite ont aussi apporté leur soutien aux tentes. Des politiciens du Likoud, le parti de Benyamin Nétanyahou sont passés, discrètement. Certes à part la justice sociale, les seuls mots d’ordre dans la foule demandaient le départ de « Bibi ». Du genre : « Rentre chez toi, on te paie l’essence ».

Justement le prix de l’essence doit augmenter aujourd’hui, cela tombe mal pour le gouvernement de « Bibi ». Le ministre des finances, Youval Steinitz, sert de fusible, le directeur de son ministère Haim Shani vient déjà de démissionner, le ministre devrait suivre. Nétanyahou avait promis des « mesures rapides », son discours n’a pas fait retomber le mouvement, au contraire.

Depuis, cette semaine, des habitants arabes ont planté des tentes dans leurs villes, les Bédouins s’y sont mis, le « peuple » de Facebook appelle à une grève ce lundi : 10.000 signataires… « Un miracle », dit aussi Noam Segal, 30 ans, jeune femme blonde qui dirige deux galeries d’art sur le boulevard Rothschild. « On ne pensait plus que quelque chose allait bouger dans ce pays, et voilà, ça arrive. » « Un miracle », dit également Daoud Khoury, avocat palestinien, qui, depuis trois jours, a fermé son cabinet de Jérusalem pour passer son temps avec les manifestants de Tel Aviv : « Je suis venu voir la révolution ! On entend enfin les mots de "riches" et de "pauvres" qu’on n’entendait plus dans ce pays. Et on peut parler de tout… C’est ma place Tahrir ».

Où va le mouvement ? Aucune élection en vue avant 2013. L’éventuelle reconnaissance de l’état palestinien aux Nations Unies en septembre pourrait détourner l’attention de la crise sociale mais la crise politique est profonde. « Oubliez le deux-pièces cuisine, s’écrit Gideon Levy, la question est déjà dépassée. » Après le printemps arabe, un été israélien ?

Cet article est tiré de Libération du 31 juillet 2011

Annette Lévy-Willard

Libération

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