Mais c’était tout autre chose à Québec même, où les candidats NPD se voyaient peu à peu distancés dans une course à 3 ou 4 qui eut vite fait de les reléguer au 2ième ou 3ième rang, laissant conservateurs ou libéraux finalement l’emporter dans les 10 circonscriptions de la région (8 conservateurs et 2 libéraux). Et Raymond Côté, le député NPD sortant de Beauport-Limoilou avait bien du mal à garder la tête haute, lui qui tout comme Annick Papillon, avaient quand même –au-delà de toutes les ambiguités de son parti— opter dans les faits pour le camp « des gens d’en bas », les luttes des mouvements sociaux et populaires. Qui pourrait oublier l’indéniable soutien que Raymond Côté a apporté à la lutte contre les poussières de nickel émanant du Port de Québec ? Et celui qui l’a remplacé –oh paradoxe— c’est le candidat conservateur Alupa Clarke, le seul qui considérait que le Port de Québec avait dans toute cette affaire bien fait son boulot ! Quoi de plus cruelle que la politique ! Mais au-delà de ces émotions premières, comment comprendre qu’après la vague orange NPD de 2011, il y ait aujourd’hui cette formidable vague rouge libérale ?
2 facteurs de fond décisifs
En fait –en ce qui concerne tout au moins le cas du Québec— se sont combinés deux phénomènes qui se sont renforcés mutuellement. Neuf ans de gestion néolibérale conservatrice et anti-Québec à Ottawa, et qui plus est sur le mode agressif, avaient stimulé un vaste désir de changement au sein de la population de la belle province : on voulait très majoritairement se débarrasser de Stepen Harper. Mais il restait à savoir quel parti en serait l’acteur privilégié. Et là, au-delà même de l’habileté des chefs en lice, ont joué deux facteurs de fond décisifs : d’une part les logiques du « scrutin uninominal à un tour » qui favorisent le vote stratégique pour celui qui semble en fin de campagne être le mieux placé ; et d’autre part les logiques de « la politique spectacle » qui via les sondages quasi quotidiens et leur amplification dans les grands médias, tendent à façonner et cristalliser, puis renforcer tel ou tel courant d’opinion publique de manière grandissante.
Certes Thomas Mulcair était bien placé au départ avec ses 103 députés et son rôle de chef de l’opposition officielle, les premiers sondages lui donnant même une large avance. Mais les aléas d’une longue campagne de 78 jours, et surtout les ambiguités de son approche (notamment à propos du déficit zéro, du Pipeline Énergie Est et du niqab) couplées à une remontée inattendue des perspectives du Bloc québécois emmenée par Gilles Duceppe, ont brouillé les cartes et permis à Justin Trudeau du Parti libéral d’entamer non seulement une longue remontée mais encore de remporter « au finish » une victoire écrasante (avec 185 députés sur 338 ; au Québec 47 sur 78).
Le paraître et l’être
Il est vrai que sa relative jeunesse comme son air bon enfant et ses volontés de donner à la campagne un ton positif et inclusif étaient tout à fait en synthonie avec les évidentes aspirations au changement qui s’exprimaient si largement dans la population. Et dans une campagne d’images –car avec la politique spectacle, c’est d’images et d’affects dont on parle— c’est bien souvent cela qui est déterminant. Il reste qu’en termes de données objectives, les positions du Parti libéral de Justin Trudeau sur le niqab comme sur le Pipeline Énergie Est ou encore sur la loi C 51 et l’accord de libre échange Asie/Pacifique, sont loin d’être un modèle de clarté et encore moins de changement. Au contraire, elles sont des plus floues, et laissent bien voir que derrière le « paraître » du changement, se profile tout en même temps « l’être » bien terre à terre d’un parti qui lui –à l’évidence— n’a guère changé. Impossible d’oublier à ce propos l’affaire Dan Gagné, le co-président de campagne du PLC, pris la main dans le sac à conseiller le promoteur du Pipeline Énergie Est à moins d’une semaine des élections ! Impossible donc de ne pas imaginer que les vieux démons (du lobbyisme, de la corruption, les liens privilégiés avec les puissants) du Parti libéral ne sont pas encore bien présents !
La gauche en ordre dispersé
Il est vrai qu’aux côtés des politiques "harperiennes" pures et dures, l’arrivée de Justin Trudeau sonne comme une bonne nouvelle ou un indéniable répit. Mais pour combien de temps ? Et ce qui s’est passé dans la région de Québec devrait nous aider à en mesurer la véritable portée : sur les 10 sièges en jeu, 8 reviennent désormais aux conservateurs et 2 aux libéraux, alors qu’en 2011 il avait été élu 7 députés NPD.
Il faut cependant le noter : si au niveau fédéral, la gauche institutionnelle se sent ainsi brutalement marginalisée, ce n’est pas seulement à cause de l’effet « Justin Trudeau ». C’est aussi parce qu’elle est allée au combat en ordre dispersé, et sans tenir compte de ce qui importait pour le Québec et la grande majorité du peuple québécois. D’un côté la direction du NPD a laissé ses députés orphelins, en ne prenant pas à bras le corps —question nationale oblige— des dossiers comme celui d’Énergie Est ou du niqab. Et de l’autre le Bloc québécois s’est contenté d’alimenter en sous-main le même nationalisme identitaire que celui de la Chartre des valeurs, se servant certes de la faiblesse du NPD en ce domaine, mais en jouant de démagogie et en ouvrant ainsi des espaces inespérés aux libéraux et conservateurs. .Impossible de ne pas voir que les pertes NPD ont aussi à voir avec ce phénomène.
De quoi mesurer l’immense chemin qu’il reste à parcourir pour que la gauche –indépendantiste et préoccupée de la question sociale— puisse redevenir une force qui compte !
Pierre Mouterde
Sociologue et essayiste
Le 20 octobre 2015
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