L’« équipe » Mulcair
Cela serait cependant tomber dans la psychologie à 22 cents que de tout mettre sur le dos du personnage. En fait, la principale chose qu’on peut reprocher au NPD, c’est d’avoir accepté de jouer son jeu. Il était clair en effet que Mulcair voulait transformer ce parti en une « équipe Mulcair ». Comme Harper et Gilles Duceppe, Mulcair exerçait sur « son » équipe une véritable dictature. Députés et candidats qui voulaient exprimer leurs opinions (il n’y avait pas beaucoup) étaient ramenés à l’ordre, comme Nycole Turmel, Linda Mcquaid, Libby Davies et plusieurs autres. Entre-temps, Mulcair attendait des autres qu’ils jouent tranquillement leur rôle de « yes men » et de« yes women » comme de vulgaires meneurs de claques. Certes, quelques élu-es du NPD ont appuyé leurs commettant-es dans leurs démarches administratives, un peu comme des travailleurs sociaux d’un genre particulier. De temps en temps, des braves comme Alexandre Boulerice ou Yvon Godin se sont permis des coups de gueule contre les exactions de Harper. Mais au total, ce parti d’origine social-démocrate, affaibli par des années de stagnation et de tergiversation, a été incapable de se définir une identité, de se construire une base solide et de proposer une alternative.
Bilan accablant
Ce mauvais bilan est particulièrement évident sur les quelques questions fondamentales. Sur la question nationale québécoise, le NPD a échoué à déterminer une ligne stratégique, malgré quelques faibles tentatives épisodiques. Le plus évident de cette incapacité a été le double discours de Mulcair. Au Canada, il s’est présenté comme le champion de la lutte contre le « séparatisme », celui qui, disait-il en campagne électorale, a écrasé le Bloc Québécois derrière l’État fédéral lors des deux référendums, sans dire, évidemment, que la « victoire » de 1995 avait été une gigantesque fraude. Pendant ce temps, Mulcair au Québec faisait la promotion de la « déclaration de Sherbrooke » qui dit en fin de compte ce que la cour suprême du Canada dit : 50%+1, c’est 50%+1. Cela a permis à des naïfs de s’extasier, alors que dans les faits, la question tout à fait simple reste sur la table : le peuple québécois a-t-il, oui ou non, droit à son autodétermination ? Il n’y a pas 56 000 manières de dire cela, et ce n’est pas une question d’arithmétique. On se rend compte maintenant que la « vague orange » de 2012 n’a rien changé à ce déficit de crédibilité et qu’elle résultait d’un concours de circonstance, ni plus ni moins.
Une social-démocratie de moins en moins « sociale » et de moins en moins « démocrate »
Deuxième écueil, le NPD a échoué à proposer un programme à la hauteur des ambitions social-démocrates de ses fondateurs. C’est au début des années 1970 que le dossier a été fermé par Dave Lewis contre l’avis de la coalition de syndicalistes et d’intellectuels (les « Waffle »). Par la suite, avec des hauts et des bas, le NPD a glissé dans la « bonne gouvernance », surtout avec les gouvernements provinciaux dont il a été l’instigateur en Colombie britannique, au Manitoba et en Ontario, où Bob Ray, un libéral déguisé en NPD (comme Mulcair), a ruiné le parti. Plus récemment, sous Mulcair, le tournant a été incisif. Comme en Angleterre avec le Parti travailliste et en France avec le Parti socialiste, la social-démocratie est devenue « sociale-libérale ». Le « nouveau » NPD pouvait se pavaner comme un « bon gestionnaire » selon les critères des grandes banques et espérer courtiser le vote centriste que captait traditionnellement le Parti Libéral, mais presque partout, cette évolution a mené le NPD à de terribles défaites. Lors de la campagne électorale qui s’est terminé le 19 octobre, le NPD, dépassé à sa gauche par le Parti Libéral (il fallait le faire), a perdu une grande partie de son attrait, avec le résultat que l’on sait.
Quel parti pour quels intérêts ?
Enfin, le NPD a échoué à se rapprocher des mouvements populaires. Malgré la constitution du parti qui accorde un poids aux syndicats, le NPD s’est tenu assez loin des revendications ouvrières qu’il a parfois appuyées du bout des lèvres. Aujourd’hui, les mouvements populaires constatent que le NPD est au mieux un « non-ennemi », rarement un allié, et jamais un partenaire. Sous Mulcair, cet écart s’est aggravé. Jamais le chef n’a pris la peine de consulter les nombreux mouvements qui défendent les droits des gens. Il a une relation tout à fait épisodique avec les Premières nations. On ne l’a jamais vu dans les grandes manifestations populaires (les Carrés rouges par exemple). A-t-il dit un seul mot sur les revendications étudiantes ? Cela l’aurait probablement mis à mal avec ses amis du Parti Libéral du Québec.
Un calcul totalement erroné
Pour Mulcair, c’est normal : le mouvement populaire, ce n’est pas son monde, ce n’est pas son environnement, il ne croit pas à cela. Mais pour le NPD, les conséquences d’une telle attitude sont gravissimes. Sans liens intimes avec le mouvement populaire, ce parti est condamné à la marginalité. Au Québec en tout cas, les couches populaires se sont dites simplement : tant qu’à voter « stratégique » contre Harper, aussi bien voter pour celui qui a une chance de gagner. D’une « vague orange » tout à fait superficielle, on est passé à une « vague rouge » également superficielle (c’est un fait politique sur lequel j’entends revenir plus tard). Au total, on se trouve avec un parti atrophié, sans âme, sans militant-es au Québec, sans perspective. Quant à Mulcair, il semble qu’il va continuer comme avant. C’est « son » parti et « son » équipe. Il est efficace au Parlement pour engueuler et intimider ses adversaires, ce qui donne l’impression, totalement fausse, que ce vénérable endroit est important dans le processus politique (il ne l’est pas). Quelques manchettes, et puis, on passe à autre chose. Il y en a qui appellent cela la « démocratie » …
En attendant d’être ambassadeur …
Je n’ai pas été surpris de voir Mulcair s’accrocher à son poste après la débâcle du 19 octobre. C’est un politicien professionnel, je ne pense pas qu’il sait faire autre chose dans la vie. Il pourrait, comme cela est arrivé à ses prédécesseurs, accepter d’être nommé ambassadeur ou pourquoi pas « gouverneur général », pour faire le fanfaron au nom du « plus meilleur pays au monde » (Mulcair croit à cela). Mais comme Trudeau a tellement d’amis à qui il doit rembourser des dettes et des promesses, Tom devra patienter un peu. En attendant, il va rester dans son poste confortable et bien payé. À moins qu’un « Jeremy Corbyn » canadien surgisse comme un lapin d’un chapeau. Mais habituellement, les magiciens vont vous le dire, le lapin n’existe pas…
PS. Il y a quand même un effet « collatéral » positif de la chute du NPD au Québec. Depuis des mois, Mulcair et la petite poignée de personnes qui s’intéressent au NPD au Québec concoctaient la lancée d’un NPD provincial. Ces comiques pensaient que la « vague orange » allait tout balayer et surtout, comme l’espérait Mulcair, éradiquer le mouvement souverainiste québécois, de droite (le PQ) comme de gauche (Québec Solidaire). Mais maintenant, ils n’auront pas le temps de venir nous emmerder davantage, du moins à court terme.
PPS. J’entends des ami-es au Canada dire qu’ils vont mener une campagne pour débarquer Mulcair. Je leur souhaite toute la chance. Mulcair sait au moins faire quelque chose : intimider, menacer, mentir. Il sera un ennemi redoutable pour ceux et celles qui veulent « réformer » le NPD.