2 septembre | tiré du site du CADTM
http://cadtm.org/L-inversion-etrangere-etouffe-l-Amerique-latine
Une synthèse de cette situation résumée par l’étude « Haciendo malabares. América Latina entre la crisis de la pandemia y el arbitraje de inversiones » (« Jongler. L’Amérique latine entre la crise pandémique et l’arbitrage des investissements ») (https://longreads.tni.org/es/isds-covid19-alc), récemment publiée par le Transnational Institute (TNI), centre de recherches et d’enquête politique, dont le siège se trouve à Amsterdam (Pays-Bas).
L’Amérique latine et les Caraïbes paient le fait d’avoir signé, dans les dernières décennies, 470 traités de commerce et de protection des investissements. Ceux-ci ont suscité 282 plaintes – du moins celles connues publiquement – d’investisseurs étrangers contre des Etats, jugées par des tribunaux d’arbitrage internationaux. La grande majorité des sentences ont favorisé les entreprises multinationales, indemnisées à hauteur de 31’000 millions de dollars US, chiffre astronomique que les Etats ont dû débourser. Pire encore, le montant réclamé par les investisseurs dans les plaintes en attente s’élève à 40’000 millions de dollars US.
« Les traités de protection des investissements ne sont plus considérés comme des remèdes de dernier recours, mais comme des outils importants dans l’arsenal des investisseurs », signale un document du bureau anglais d’avocats Simmons and Simmons, cité par les chercheuses Bettina Müller et Cecilia Olivet, auteures de l’étude du TNI.
Péages et énergie
Le Pérou fut la première nation du monde à recevoir des menaces pour les mesures prises durant la pandémie. En avril 2020, le Congrès approuva une loi suspendant le paiement de péages routiers durant la situation d’urgence, afin de faciliter la circulation des personnes et des marchandises. Divers concessionnaires de péages laissèrent entendre leur intention de soumettre cette mesure à un arbitrage international. La pression eut de l’effet. Le gouvernement péruvien lança en juin une procédure d’inconstitutionnalité contre cette loi, effrayé par les sanctions que pourraient engendrer ces dénonciations, si elles étaient présentées au Centre international de règlement des différends concernant les investissements (CIRDI), organisme du groupe de la Banque mondiale.
Les menaces contre le Mexique se produisirent en raison de décisions prises par son gouvernement sur le plan énergétique, en conséquence de la pandémie. Afin d’assurer des économies et contrôler le marché énergétique national, il suspendit l’entrée en exploitation d’usines d’énergie renouvelable, liées à des multinationales énergétiques européennes qui avaient conclu des contrats désavantageux pour le Mexique. Citons parmi ces entreprises : Iberdrola, Naturgy ou Acciona (Etat espagnol), Enel (Italie) ou Engie (France).
Comme le confirme cette étude du Transnational Institute, quelques-unes des entreprises espagnoles « affectées » ont déjà commencé à préparer des demandes d’arbitrage contre le Mexique. De même, des entreprises canadiennes ont insinué que les mesures du gouvernement mexicain pourraient violer le Traité de libre commerce de l’Amérique du Nord (TLCAN) 2.0. Des cabinets d’avocats spécialisés – comme DLA Piper ou Crowell & Moring – ont offert leurs services aux entreprises « préjudiciées ».
La dette éternelle
Quant à l’Argentine, les dernières menaces furent causées par sa dette extérieure. Le 22 mai, en pleine pandémie, le pays sud-américain ne put payer une partie de sa dette publique envers un groupe de détenteurs d’obligations internationaux, dont BlackRock, l’entreprise étatsunienne de gestion des investissements la plus grande du monde. Cet événement eut lieu en pleine négociation de toute la dette extérieure argentine, héritée du gouvernement antérieur du président (de droite) Mauricio Macri et se montant, d’après les chiffres du TNI, à 66’000 millions de dollars.
Le Transnational Institute émet l’hypothèse que les pressions de divers types, dont celle du cabinet d’avocats White & Case – qui conseille les détenteurs d’obligations argentines émises par BlackRock – ont pu avoir un impact sur le prix final de la négociation. Le 17 juin, ce cabinet juridique avait publié un communiqué affirmant que « notre groupe examine tous les droits et recours légaux disponibles ». Parmi les possibilités de ces recours légaux, il y a celle de déposer une demande d’arbitrage sur les investissements.
Comme le rappelle le TNI, « White & Case n’est pas n’importe quel cabinet juridique ». Il fait partie de l’élite des groupes spécialisés en arbitrage sur les investissements. Il a participé à au moins 73 procès entre investisseur et Etat, intentés auprès du CIRDI.
Aucune trêve
Malgré la demande expresse de la Bolivie pour faire suspendre les plaintes d’entreprises privées auprès de tribunaux arbitraux – vu les conséquences de la pandémie sur son économie affaiblie – le refus fut la seule réponse. Selon José María Cabrera, actuel procureur général de ce pays andin, les quatre jugements d’arbitrage international concernant la Bolivie représentent plus de 3’000 millions de dollars. Une suspension a été demandée concernant deux cas dans le secteur minier. L’un concerne la multinationale suisse Glencore et l’autre l’investisseur étatsunien Julio Miguel Orlandini Agreda. Ces deux demandes furent rejetées par le tribunal arbitral.
Argumentant l’état de calamité nationale produit par le Covid-19, le Guatemala demanda la suspension d’une sentence arbitrale favorable à l’entreprise étatsunienne TECO, représentée par les avocats White & Case, pour un montant de 21 millions de dollars. Intérêts compris, la somme que doit pays ce pays centroaméricain est de l’ordre de 36,5 millions de dollars. Pour le Guatemala, l’un des pays les plus appauvris du continent, avec un système hospitalier déjà effondré, ce montant représenterait la possibilité d’installer 108’000 chambres d’hôpital pour des patients touchés par le coronavirus. Ou d’augmenter d’un quart le budget spécial destiné à faire face à la pandémie. Un juge du District de Columbia (Etats-Unis) a rejeté cette demande.
Lire l’entretien de la chercheuse Bettina Müller, co-autrice de l’étude
Traduction de l’espagnol : Hans-Peter Renk
Auteur.e
Sergio Ferrari
Journaliste RP/periodista RP
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