Édition du 17 septembre 2024

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États-Unis

Une vague socialiste aux dernières élections municipales de Chicago

Les socialistes de Chicago ont eu du succès lors des récentes élections municipales en gagnant 6 sièges au Conseil municipal. La gauche de cette ville a une occasion historique de lui faire prendre position contre des années d’embourgeoisement, de brutalité policière et d’austérité. Elle devra aussi faire face aux défis que pose l’élection de Lori Lightfoot au poste de maire. La plupart des médias libéraux ont célébré cette politicienne noire et lesbienne. Mais elle a un dossier clair de positions contre les pauvres et d’approbation des politiques en faveur des développeurs. Elle en soutient aussi en faveur d’un contrôle important des pauvres.

Will Bloom, Europe solidaire, 3 avril 2019
Traduction, Alexandra Cyr

Une vague rouge s’est abattue sur Chicago

Après le 2ième tour de ces élections, au moins 5 sinon 6 candidats.es socialistes se sont engagé à former un Caucus socialiste conjoint. Plusieurs autres conseillers.ères vont les rejoindre et faire du Caucus progressiste un des groupes organisés le plus important.

Plusieurs organisations ont joué un rôle clé dans cette victoire comme United Working Families (UWF) et le Chicago Democratic Socialists of America (CDAS) pour en faire un raz-de-marée de changement dans la ville. C’est une rare occasion pour que des syndicats progressistes, des mouvements sociaux radicaux et des socialistes réénergisés.es exigent que la classe ouvrière ait son mot à dire dans cette ville.

Les racines de cette montée socialiste

Ces succès sont dus au travail de forces politiques qui se sont développées pendant des années. L’alliance de syndicats progressistes locaux, sous l’impulsion principale de celui des enseignants.es, avec des groupes communautaires partout dans la ville au sud et à l’ouest, a pris naissance dans le travail commun lors de la grève des enseignants.es de 2012 et dans la bataille contre R. Emanuel (le maire sortant) lors des élections municipales de 2015. (Le démocrate) Chuy Garcia l’a obligé à passer au 2ième tour.

Le mouvement en faveur des réformes du système de justice et contre la violence policière a aussi joué un rôle central (dans ces élections). Il a émergé en réponse aux meurtres de Laquan McDonald, Rekia Boyd et d’autres gens de couleur aux mains des policiers.ères de Chicago. Sous l’impulsion de jeunes militants.es de couleur dans des groupes comme Assata’s Daughters et BYP100 (Black Youth Project 100), il avait déjà réussi à ce que le Commissaire de police Garry McCarthy et la Procureure générale (de l’État), Anita Alvarez soient remerciés. Ces deux personnes ont été des éléments clés de la surprenante annonce de Rahm Emanuel de ne pas solliciter un 3ième mandat. Et l’émergence du socialisme, un courant politique vital, s’est répandu à travers Chicago menant à une montée rapide de la croissance dans l’organisation DSA (Democratic Socialist America) de Chicago et introduisant une critique du capitalisme dans le débat politique.

Plusieurs scandales ont aussi forcé l’élite gouvernante de la ville à reculer

Le camouflage que R. Emanuel a pratiqué au sujet du meurtre de Laquan McDonald a aussi contribué à sa perte de popularité et l’a finalement décidé à ne pas se représenter. Ed Burke, un des plus anciens conseillers municipaux de la ville et un des politiciens les plus puissants, est sous enquête pour des accusations de retour d’ascenseur quand il cherchait de l’aide pour faire changer des zonages. L’enquête a reçu l’aide d’un autre conseiller, Danny Solis, qui collaborait avec le FBI en enregistrant ses conversations avec E. Burke. C’était une tentative d’amoindrir les enquêtes sur sa propre corruption. La chute de Burke a affecté négativement plusieurs politiciens.nes qui avaient accepté des dons de sa part. On parle ici, d’une autre conseillère et candidate à la mairie, Toni Preckwinkle qui a perdu par une marge de 3 pour 1.

La montée des progressistes et des socialistes et les coups qu’ont reçu les politiciens.nes de l’establishment ont mené à un conseil municipal dominé par les priorités de la gauche. Les autres candidats.es à la mairie et aux postes de conseillers.ères ont été obligés.es de prendre position en faveur d’un conseil scolaire élu et représentatif. Les membres de l’actuel conseil ont été choisis.es par le maire. La création d’une commission civile de contrôle du service de police, le contrôle du prix des loyers, la bataille contre un nouveau centre d’entrainement des policiers.ères au coût de 95 millions de dollars et la très généreuse subvention à l’entreprise immobilière Lincoln Yards et son plan de développement ont été soumis au débat public (tout au long de la campagne).

C’étaient les enjeux gagnants pour les progressistes et les candidats.es de gauche. Carlos Rosa, le seul conseiller qui s’affiche comme socialiste en ce moment au Conseil municipal, a fait campagne sur la lutte contre la nouvelle académie policière et celle pour le contrôle des loyers en cette ère de rapide embourgeoisement. Son opposant, Mark Fishman, développeur local soutenu par R. Emanuel, s’est senti si menacé qu’il a donné des milliers de dollars aux adversaires de Rosa, en plus de leur permettre des affichages sur ses propriétés en vente. Il est même allé jusqu’à acheter le bâtiment où C. Rosa avait ses bureaux de campagne et tenter de l’évincer.

Malgré tout cela, C. Rosa a gagné avec une marge de 20 points et détient un mandat de 4 ans comme conseiller municipal.

Il a combattu les plus importants développeurs dans les environs du premier secteur où Proco Joe Moreno leur a facilité la vie depuis qu’il avait été nommé au même poste en 2010 par le maire Daley de l’époque. Sous sa gouverne, le quartier a assisté à un exode de la traditionnelle classe ouvrière d’origine latino, dans les secteurs de Logan Square et d’Humboldt Park. Il a été défié par Daniel La Spata, un nouveau politicien qui avait été membre de l’Association du secteur de Logan Square, une organisation qui se bat contre les développeurs.

Le résultat a surpris presque tout le monde. D. La Spata a écrasé J. Moreno en février avec une marge de 2 pour 1. J. Moreno ne s’est pas rendu service quand un grand scandale a éclaté le mettait en cause. Il aurait loué sa voiture à sa petite amie en la déclarant ensuite volée et en prétendant curieusement, auprès d’un journaliste, qu’il tentait de l’aider parce qu’elle est mère célibataire.

D. La Spata est membre de DSA. Sa campagne a largement été soutenue par le groupe progressiste Reclaim Chicago. Il a déclaré qu’il se joindrait à C. Rosa au sein du nouveau caucus socialiste au Conseil municipal.

Après le résultat du 2ième tour, ils ne seront pas seuls. Dans le 20ième secteur, où l’actuel conseiller fait face à plus d’un an de prison pour fraude, Jeanette Taylor a battu Nicole Johnson par 20 points. J. Taylor est une militante de longue date. Elle a expliqué dans une entrevue au magazine Jacobin, qu’elle avait fait une grève de la faim de 34 jours pour empêcher la fermeture de l’école secondaire Dyett en 2015. Elle a aussi joué un rôle central pour que la construction de la future Bibliothèque présidentielle Obama ne se fasse que si les développeurs signaient une entente comportant des bénéfices communautaires.

Dans le 25ième secteur, Byron Sigcho-Lopez, un organisateur communautaire, a dépassé Alex Acevedo de presque 10%. M. Sigcho-Lopez est le directeur exécutif de Pilsen Alliance (Organisation de services sociaux de Chicago : People, Power, Community) qui a été à la tête de luttes contre les développeurs qui ont rapidement embourgeoisé les environs. Le tout était supervisé par le conseiller battu, Danny Solis qui s’est révélé avoir des liens avec ces développeurs, ce qui lui a valu le rejet de la population.

Actuellement, (au lendemain du 2ième tour) Rossana Rodriguez mène devant la conseillère sortante, Deb Mell par 64 voix. Il reste à compter les votes expédiés par la poste ce qui sera fait dans les prochains jours. Au cours du premier tour, ces votes étaient favorables à Mme Rodriguez. Dans ce secteur, les victoires sur le fil du rasoir sont choses communes. Au cours du décompte, à un moment donné un seul vote séparait les deux candidates. (….)

Mme Mell fait partie d’une véritable dynastie politique de Chicago. Son père, Dick Mell, a détenu ce siège pendant des dizaines d’années avant de le passer à sa fille Deb en décembre 2013. Sa sœur Patty Blagojevich est l’épouse d’un ancien gouverneur de l’Illinois, Rod Blagojevich, maintenant en prison. Il a commencé sa carrière politique sous l’impulsion active de son beau-père, Dick Mell, pour accéder à un poste d’élu à la Chambre de l’État en combattant un de ses anciens rivaux politiques.

Mme Rodriguez, au contraire a fait ses débuts politiques à Puerto Rico où elle est née. Comme elle l’a expliqué dans une entrevue à Jacobin, elle a grandi dans une famille qui se battait contre l’impérialisme américain sur l’ile. Elle est demeurée une militante active après son déménagement à Chicago il y a 10 ans. Elle a travaillé à la campagne Meegan’s 2015 (Marche pour la fête des mères de 2015), s’est opposée aux évictions et aux expulsions hors des États-Unis dans le secteur d’Albany Park.

Dans le 40ième secteur, Andre Vasquez a défait le conseiller sortant, Pat O’Connor par un peu moins de 8%. M. O’Connor a une longue histoire au Conseil municipal de la ville. Avec Ed Burke, il est un des deux plus anciens membres de ce Conseil. Ils ont participé à Vrdolyak 29, (Le site de cet organisme est fermé. Impossible d’obtenir des détails) dont les membres, de 1985 à 1990 ont été occupés.es à s’opposer vicieusement au premier maire noir de la ville, M. Harold Washington.

M. O’Connor a persisté dans sa position réactionnaire au Conseil municipal alors que, leader du camp de M. R. Emanuel, il s’est accaparé tout le programme du maire et était suivi par un groupe de conseillers.ères trop contents.es de jouer le rôle de faire valoir. Il a été battu par un des meilleurs membres de CDSA soutenu par Reclaim Chicago. C’est un très bon résultat.

Pas d’amis.es au 5ième étage

Le bloc d’élus.es socialistes a peu de chance de trouver une alliée dans la nouvelle mairesse, Mme Lightfoot. Elle était peu connue avant cette élection. Elle a été élue en faisant campagne contre la corruption et en promettant : « la transparence ». Mais son expérience antérieure et ses soutiens financiers durant sa campagne laissent entrevoir autre chose.

Elle a acquis son expérience de gouvernement en occupant le poste de Présidente du Police Accountability Task Force où elle a été nommée par R. Emanuel. Elle a résisté à des demandes de mises en responsabilités des policiers.ères dans la foulée du meurtre de Rekia Boyd et de beaucoup d’autres actes de violence de la part des forces policières. Elle a aussi été procureure fédérale et a ainsi fait emprisonner beaucoup de personnes dans le cadre de la guerre à la drogue. Dans sa pratique privée, elle a travaillé avec le Maire Brown (le texte ne spécifie pas de quelle ville ce M. Brown était le maire. Buffalo peut-être ?) auprès de qui elle représentait les intérêts d’entreprises privées et du Parti républicain, pour incroyable que cela paraisse.

Alors que son adversaire, Mme Toni Preckwinkle était écrasée par les critiques, Mme Lightfoot se révèle être une agente du capital qui défend la répression policière. Ses partisans.es pensent que cela ne devrait pas changer lorsqu’elle occupera son nouveau poste parce qu’elle a été soutenue par de grands développeurs et financiers et de grandes figures comme celle du conseiller Nicholas Sposato qui a participé au programme de télévision de Tucker Carlson en attaquant les immigrants.es.

Alors qu’elle est vraisemblablement appelée à être du côté de riches et puissants.es, elle n’aura surement pas tout le pouvoir que le poste de maire a donnée à Rahm Emanuel. M. Emanuel et Richard M. Daley avant lui, ont été capables d’exercer leur influence bien au-delà du pouvoir officiel que leur donnait le poste de maire. Ils bénéficiaient d’un vaste réseau de donnateurs.trices et d’alliés.es politiques qui leur permettait de remplir les coffres de conseillers.ères ou de leur compétiteurs.trices partout dans la ville en échange de soutient au Conseil municipal. Cette méthode s’est avérée particulièrement productive dans South et West Sides qui ont connu un profond désinvestissement souvent dû aux politiques (défavorables pour eux) que le maire mettait en vigueur

Mme Lightfoot est dépourvue de beaucoup de ces appuis. La faiblesse de son réseau, presque sans liens politiques dans la ville, va rendre sa tâche difficile. On dit d’elle qu’elle est : « personne qui n’intéresse personne ».

Cela peut vouloir dire que le pouvoir va se déplacer du bureau du maire vers le Conseil municipal maintenant composé d’un grand Caucus progressiste et d’un Caucus socialiste conséquent. Il faut dire toutefois, que le groupe progressiste n’a pas toujours été consistant et cohérant ces dernières années. Mais avec le déclin du pouvoir politique des anciens conseillers comme E. Burke et de figures extérieures comme celles de M. O’Connor, les progressistes ont des chances d’être le groupe organisé le plus puissant du nouveau Conseil.

Le caucus socialiste va aussi se retrouver renforcé grâce à ses liens avec les grandes organisations de la classe ouvrière. Tous les six ont obtenu des niveaux de soutiens divers de la part des syndicats de l’éducation, du secteur de la santé dont le CTU (Syndicat des enseignants.es de Chicago) et SEIU HCII (Syndicat du personnel soignant de l’Ilinois et + section de Chicago). Mme Rodriguez est issue du Working Families 33rd Ward qui a développé des liens profonds avec la classe ouvrière immigrante du quartier d’Albany Park grâce à son travail de défense en matière de logement et des immigrants.es. Elle a aussi été active en soutenant le réseau de défense d’Albany Park, un groupe de défense des droits des immigrants.es. Elle est intervenue dans une conférence de presse en faveur des résidents.es du quartier qui étaient menacés d’être expulsés.es (hors des États-Unis).

Mme Taylor est arrivée en politique dans la foulée de son implication dans la lutte contre les fermetures d’écoles et elle est toujours proche du CTU et du mouvement plus large qui se bat contre l’austérité. M. Sigcho est issu de la Pilsen Alliance et D. La Spata est membre de la LSNA (Logan Square Neighbourhood Association) depuis longtemps. Ce sont deux organisations clés dans la lutte contre l’embourgeoisement et en faveur du contrôle du coût des loyers.

Tous les membres du caucus (socialiste) sont aussi membres de DSA qui a été très active à Chicago en faisant campagne en faveur du contrôle du coût des loyers, d’un programme d’assurance maladie universel étatique et pour la municipalisation et la décarbonisation du fournisseur municipal d’électricité, la compagnie ComEd.

Ces liens entre les élus.es au Conseil de ville et les organisations de masse devraient créer les conditions nécessaires en faveur des priorités de la gauche, malgré la direction donnée par une maire qui leur est hostile. Ces conseillers.ères peuvent s’appuyer sur leurs plateformes pour agir à titre d’organisateurs.trices socialistes, en offrant une tribune à la classe ouvrière, en formulant des revendications comme l’élection des membres du Conseil scolaire, le contrôle de coût des loyers et en familiarisant une large audience de la ville avec une vision socialiste plus étendue. Les organisations de masse vont être capables d’approfondir ce soutient tout en augmentant la pression sur le Conseil municipal grâce à leurs alliés.es, aux occupations et aux grèves. En retour, les conseillers.ères pourront devenir un pôle au Conseil capable de rallier leurs collègues indécis.es et vulnérables. La classe ouvrière fera ainsi des gains tout en accueillant des milliers de nouvelles personnes dans ses mouvements et développera la conscience de classe partout dans la ville comme nous ne l’avons pas vu depuis un siècle.

Si vous aviez parlé du résultat de l’élection de cette année au lendemain de celle de 2015, on vous aurait déclaré que vous étiez en plein délire. La gauche de Chicago, après des années de dur travail, a maintenant une énorme opportunité. Si elle s’empare de ce moment pour emmagasiner des victoires contre le capitalisme, elle se sera installée comme une véritable force politique pour longtemps et un modèle pour toutes les personnes à gauche dans le pays.

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