Édition du 17 décembre 2024

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Vénézuela

Réforme constitutionnelle au Venezuela

Une subsidiarité étirée

Nous vous présentons ici le point de vue de David Litvak sur la réforme de la constitution du Venezuela, telle que proposée actuellement par le président Chavez. En sachant cependant qu’il ouvre ici un véritable débat que nous souhaiterions, dans les semaines qui viennent, pouvoir approfondir : les réformes annoncées vont-elles permettre un véritable approfondissement de la démocratie populaire au Venezuela, ou au contraire ne risquent-elles pas de renforcer la centralisation autoritaire et personnalisée du pouvoir ? Une question loin d’être simple !

Une synthèse point par point de la réforme constitutionnelle vénézuelienne, proposée le 15 août de cette année et qui devrait être soumis au référendum en début décembre, figure en annexe de cet article. Ce qui suit est davantage un commentaire sur la structure proposée du pouvoir au Venezuela.

Si l’on voulait qualifier le régime proposé par la réforme constitutionnelle vénézuelienne, il conviendrait peut-être de parler d’une "subsidiarité étirée", c’est-à-dire un régime dans lequel l’on centralise le pouvoir, d’une part, entre les mains du gouvernement central dirigé par le président et, d’autre part, où l’on vise une décentralisation, non pas au niveau des états, et des villes, mais plus directement au sein des communes et des villes organisées en communautés et agrégées en municipalités.

Le palier communal et le pouvoir populaire

La constitution effective de ce palier communal reste l’un des défis majeurs du régime. Le gouvernement a déjà entamé la mise en place d’un système de conseils communaux, des entités de démocratie directe qui ont comme pouvoir de préparer et proposer des projets communaux de développement pour la communauté. Chaque conseil communal est constitué de 200 à 400 familles et toute personne de 15 ans et plus peut y participer.

Le principal avantage du système, c’est que les gens de la communauté connaissent leurs besoins. Ils tendront à être économes, à embaucher des employés ou des entreprises locaux, et à superviser directement les projets. Le système vise aussi à répondre au problème de la corruption au sein des entités municipales et étatiques : en court-circuitant ces derniers, le gouvernement compte aussi court-circuiter la corruption.

Le seul « problème », c’est que les projets doivent être approuvés par une entité du gouvernement central, et donc, la bonne volonté et l’impartialité de ce dernier sont des facteurs déterminants de la réussite du système. Je tendrai à croire que l’actuel gouvernement, initiateur du projet des conseils communaux, répond adéquatement à la demande, mais le système, en tant que système, reste dépendant, pour l’instant, des instances gouvernementales nationales.

La réforme constitutionnelle ouvre d’ailleurs grande la porte à l’approfondissement de ce pouvoir populaire au sein des communautés en constitutionnalisant et promouvant en principe la « propriété sociale », exercée par des communes, des municipalités ou des regroupements de ces entités. La réforme formalise également une typologie des types de propriétés reconnues : la propriété publique, sociale, collective (regroupements d’individus ou de groupes sociaux), privée et mixte (combinaison des précédentes).

Reste cependant à voir ce qui adviendra de cette idée de « propriété sociale ». Mettra-t-on en pratique l’esprit de la constitution, qui est de socialiser davantage les modes de production, en décentralisant vers les communautés ? Ou la lettre constitutionnelle restera-t-elle plus ou moins lettre morte ? On peut penser que l’on fera un bout de chemin, et l’expérimentation sociétale sera intéressante, mais rendre effective cette intention et trouver un équilibre institutionnel resteront parmi les défis les plus importants du régime de Chavez.

La question démocratique

Le fait que Chavez soit élu, et qu’il fasse entériner la proposition de réforme constitutionnelle par référendum, par exemple, fait que ce régime, est « démocratique », selon les principes de la démocratie représentative dite libérale. La nouvelle constitution utilise cependant le terme de « démocratie socialiste », impliquant par là que le régime vise à se démarquer des principes bourgeois de la démocratie représentative, en intégrant une forte dose de démocratie participative.

En ce qui concerne la réforme constitutionnelle, le sujet brûlant, dans les médias d’opposition et occidentaux, est celui de l’éligibilité présidentielle indéfinie. Il faut tout d’abord préciser que c’est le cas pour nombre de pays, comme le Canada, la Grande-Bretagne, où le chef de gouvernement est rééligible indéfiniment, et la France, où le président l’est.

Dans le cas particulier du Venezuela, cette proposition reflète la conviction des chavistes que Chavez est indispensable pour mener à terme la révolution entreprise. Il ne s’agit cependant pas d’instaurer une dictature, loin de là, mais bien de donner au peuple l’option de réélire Chavez, s’il le désire. Cela n’implique cependant pas, bien évidemment, une réélection automatique.

Il est vrai que Chavez a beaucoup de pouvoir, mais qu’est-ce qu’il en fait ? Il investit massivement dans les missions sociales de l’État, tisse des liens de solidarité avec d’autres nations latino-américaines, et promeut, tout compte fait, le bien-être économique et social de la nation, voire du continent. Le Venezuela a un taux de croissance avoisinant le 9 %. Pas mal pour un état « socialiste ».

Le seul problème, qui semble être latin, c’est que cette forme du pouvoir davantage personnalisée et centralisée n’est peut-être pas la meilleure dans toutes les circonstances. C’est cependant sans aucun doute le meilleur pour mener à terme des grands changements, comme le fait Chavez.

Je crois en effet que la révolution justifie un pouvoir centralisateur, pas anti-démocratique, mais fort et clair. C’est un peu l’idée marxiste de la dictature du prolétariat en version moderne adaptée à la réalité démocratique. Marx savait, en effet, qu’on ne fait pas de changements structurels, qu’on ne fait de révolutions, sans un pouvoir central fort. Il est un peu naïf de prétendre le contraire, et difficile d’appréhender la révolution bolivarienne sans ce comprendre.

Pourquoi un pouvoir central fort ? Un peu durci ? Simplement parce que les ennemis internes et externes de Chavez le forcent à agir de la sorte. Ce ne sont pas des gens qui agissent avec une grande éthique démocratique – un bref coup d’oeil à leurs argumentations médiatisées le démontre aisément… – et face à de tels gens, qui contrôlent de puissants moyens de mobilisation sociale et économique, il faut réagir plus fortement. Autrement dit, la lutte de classe, lorsqu’exacerbée, requiert un pouvoir centralisateur fort pour asseoir les intérêts de la population.

La présente proposition de réforme, donc, renforce les pouvoirs du Président en lui donnant la possibilité de se représenter indéfiniment aux élections présidentielles, en lui donnant autorité sur la Banque centrale du Venezuela et en lui donnant des pouvoirs d’initiative ou exécutifs en matière d’organisation territoriale et militaire. Ce renforcement, cependant, selon moi, n’est pas outrancier, considérant les circonstances.

Il sera intéressant, vital même de suivre au Venezuela l’évolution de la question démocratique, c’est-à-dire le devenir des conseils communaux, leur ancrage dans la pratique politique vénézuélienne et leur agrégation prévue aux niveaux supérieurs. De même il sera intéressant de voir ce qu’il adviendra de la politique centrale, de l’échelon national. Le Venezuela réussira-t-il à habiliter politiquement le peuple à ce niveau également ? Cela reste à voir, nous enchaînerons avec quelques idées en ce sens dans un prochain texte.

David Litvak

ANNEXE : Synthèse des principaux points de la proposition de réforme constitutionnelle


Présidence de la République

 Mandats présidentiels de sept ans et rééligibilité présidentielle indéfinie au lieu de mandats de six ans et rééligibilité une seule fois (230).

 Transformation de la Banque Centrale du Venezuela en une personne de droit publique non autonome devant dorénavant fixer la politique monétaire nationale en conjonction avec le pouvoir exécutif national (318).
 Gestion des réserves internationales sous la direction du président (318), notamment pour la détermination des niveaux de réserves annuelles nécessaires et excédentaires, les dernières étant attribuées à des fonds pour le développement national (321).

 Possibilité pour le président de nommer des vice-présidents additionnels pour l’épauler dans ses fonctions (225).

 Attribution directement au président de la présidence du Conseil national de gouvernement, chargé de formuler le plan de développement intégral de la nation (185), et du Conseil d’État, organe de consultation du gouvernement et de l’administration publique nationale (252).

Organisation politico-territoriale

 Incorporation du palier communal (16) et du pouvoir populaire (136) aux paliers et pouvoirs municipaux, étatiques et nationaux dans la division du territoire et l’organisation du pouvoir public.
 Énonciation des institutions du pouvoir communal que sont l’Assemblée des citoyens et des citoyennes du Pouvoir Populaire, organe suprême, le Conseil Communal, organe exécutif (184).
 Développement de pouvoirs populaires communaux agrégés au niveau municipal, qui se nomment alors « ville/cité communale » (Ciudad Comunal) (16) et incorporation de la participation citoyenne aux structures municipales existantes (168).
 Dévolution de pouvoir de tous les autres paliers de l’État vers les entités de pouvoir populaire (184) ; cette dévolution est promue et organisée par l’exécutif national (156, al. 34-35).
 Augmentation du pourcentage budgétaire national alloué aux entités décentralisées pour inclure les communes et les communautés (167).

 Extension de la capacité du gouvernement central à réorganiser le territoire, notamment en lui attribuant le pouvoir de créer des provinces fédérales, regroupant plusieurs états ou municipalités, des villes fédérales et des districts fonctionnels (16).

 Attribution au palier national des compétences non-expressément attribuées aux paliers étatique ou municipal (156, al. 36).

Administration publique

 Incorporation des missions en tant que la seconde composante de l’administration publique, la première composante étant les structures bureaucratiques traditionnelles ; les missions sont définies comme « des organisations de nature variée créées pour satisfaire aux besoins les plus urgents de la population » (traduction libre) ; ils consistent en divers projets nationaux allant de l’alphabétisation à l’implantation de prothèses dentaires en passant par la distribution subventionnée d’aliments essentiels (141).

Forces armées

 Définition des forces armées en tant qu’un corps « patriotique, populaire et anti-impérialiste » chargés de la défense des « intérêts sacrés du peuple et en aucun cas d’une quelconque oligarchie ou d’un pouvoir impérial étranger » (328).

 Les Forces armées nationales et ses constituantes, soit l’Armée, la Marine, l’Aviation et la Garde nationale deviennent les Forces armées nationales bolivariennes, l’Armée nationale bolivarienne, la Marine nationale bolivarienne et l’Aviation nationale bolivarienne tandis que les réserves militaires sont incorporées en tant que cinquième constituante : la Milice nationale bolivarienne (329).

Économie et travail

 Définition de cinq formes de propriétés : publique, sociale, collective, mixte et privée ; la propriété sociale, qui « appartient au peuple dans son ensemble et aux générations futures », est soit directe, communale ou citadine, ou indirecte, c’est-à-dire gérée par l’État au nom de la communauté (115).

 Promotion par l’État des formes de propriété sociales ou mixtes (112).

 Réduction des heures de travail de 8 heures par jour et 44 par semaine à 6 heures quotidiennes et 36 heures hebdomadaires dans une perspective de développement intégral de la personne (90). Le salaire minimal mensuel restant le même, cette diminution des heures de travail équivaut par ailleurs à une augmentation du salaire minimal de 22 %.

 Création d’un Fond de stabilité sociale pour les travailleurs autonomes pour que ces derniers puissent jouir des mêmes droits dont jouissent les autres travailleurs (87).

 Précision des types d’hydrocarbures (solides, liquides et gazeux) pour lesquels l’État se réserve le droit d’exploitation et principe de préférence pour l’utilisation des technologies nationales (302).

 Possibilité pour l’État d’assumer le contrôle de secteurs agricoles dans le but d’assurer la sécurité alimentaire (306) et interdiction des latifundos avec mesures pour le transfert des terres vers des entités étatiques ou sociales (307).

Note : Le débat ayant été lancé sur cette proposition, quelques autres suggestions ont surgis. Parmi ceux qui ont percé le tamis médiatique vénézuelien, notons :

  • Hugo Chavez
    • Après la proposition initiale, un groupe de jeunes a pétitionné le président pour lui suggérer de diminuer l’âge du droit de vote de 18 à 16 ans (64). Ce dernier est d’accord, mais il existe néanmoins un débat au sein de l’Assemblée nationale à savoir si une telle proposition, qui ne concerne aucun des articles initialement soumis au débat, est recevable. La proposition devrait cependant être intégrée.
  • Luis Britto García (écrivain et dramaturge)
    • Remet en cause le traitement égal accordé aux investissements étrangers par rapport aux investissements nationaux (301).
    • Propose que l’État se réserve la propriété majoritaire non-seulement de la PDVSA, mais aussi de ses filiales (303).
    • Propose de rendre les fonctionnaires imputables des objectifs financiers fixés par l’État.
  • Alejandro Navarro (sénateur)
    • Propose de renforcer l’égalité des cultes en mandatant constitutionnellement le gouvernement de négocier des “accords de coopération” avec les différents cultes au Venezuela.
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