Comment les sanctions étasuniennes impactent-elles l’économie du Venezuela ?
P. C. : La première loi de sanctions date de décembre 2014 et visait des membres des autorités vénézuéliennes (suivies depuis par la Suisse et l’UE, ndlr). Mais l’embargo se met en place principalement depuis 2016, lorsque des comptes bancaires sont fermés sans explication, par exemple à la Citibank ou à la Commerzbank. On fait courir des bruits de faillite et des plaintes sont déposées contre des intérêts vénézuéliens. Les blocages vont croissant jusqu’aux premières sanctions financières globales, notamment contre PDVSA, prises en 2017.
Depuis lors, le pays ne peut plus emprunter, ni renégocier sa dette auprès des opérateurs traditionnels. Le fait de devoir éviter le système swift (réseau interbancaire, ndlr) pour effectuer des transactions induit aussi des coûts importants. Le gouvernement des États-Unis a aussi pris un décret qui sanctionne les pays qui commerceraient avec le Venezuela contre de l’or. Il faut aussi citer les saisies de biens vénézuéliens aux États-Unis et dans des pays alliés. Et bien sûr les restrictions aux ventes de pétrole… L’ensemble des mesures unilatérales de Washington ont déjà coûté 21 milliards de dollars. Ce qui correspond à trois ans et demi d’importation d’aliments pour l’ensemble des Vénézuéliens !
Un autre aspect, moins connu, est la manipulation de l’indice du risque-pays [1] par les agences de notation financière. Dès 2016, le Venezuela s’est retrouvé avec l’indice le plus élevé au monde, au-dessus des pays en guerre ! Or l’Etat paie rigoureusement et ponctuellement ses dettes. Aujourd’hui, avec un indice de 5000 points, nous devrions accepter des intérêts de 50% sur les marchés des capitaux !
On peine à croire que les agences de notation mettent en jeu leur crédibilité, qui est leur atout premier, en trafiquant leurs calculs pour des raisons politiques
Et pourtant : nous avons reproduit l’indice dans toutes ses dimensions – dette, paiement des traites, production, exportations, etc. –, nos résultats [2] divergent totalement ! Et l’on remarque que les détenteurs de bons vénézuéliens les ont conservés malgré ce « risque »…
Les échanges entre le Venezuela et l’Europe sont-ils affectés par les mesures unilatérales étasuniennes ?
Les relations commerciales se maintiennent. De très nombreuses entreprises européennes et même suisses, comme Nestlé, continuent de produire et de vendre au Venezuela. Le problème est principalement financier, le système international étant régi par le dollar et des organismes liés aux Etats-Unis. Des acteurs européens, tels que [la chambre de compensation] Euroclear, ont saisi des avoirs vénézuéliens ou refusent de travailler avec le Venezuela, comme le Credit Suisse. Enfin, nous rencontrons des difficultés avec nos bateaux retenus dans les ports, ce qui induit des coûts multiples (personnel, entretien, pertes de marchandises, etc.).
Qu’en est-il des actifs du Venezuela retenus à l’étranger ?
Les principales saisies concernent la filiale étasunienne de PDVSA, CITGO, évaluées autour de 18 milliards. En Europe, la principale perte provient d’Euroclear, qui bloque 1,6 milliard de dollars et provoque une perte de valeur de nos titres d’un demi-milliard. La Banque d’Angleterre retient, elle, 1,2 milliard en or.
Qui a donné l’ordre de réaliser ces blocages ? Y a-t-il une base légale comme aux Etats-Unis ?
On ne connaît pas le motif de ces blocages. Aucune base légale ni décision de justice ne le justifient.
Le gouvernement a-t-il saisi les tribunaux ?
Il a annoncé des recours légaux. Mais concrètement, je ne sais pas s’il y a eu des actions.
Quelles mesures le Venezuela a-t-il mis en place pour répondre à l’embargo ? Qu’en est-il de la monnaie alternative « petro » ?
Le petro est une cryptodevise lancée pour contourner le système financier international. Mais Donald Trump a réagi en menaçant de rétorsions tout acteur qui accepterait cette monnaie, comme il l’avait fait avec l’or. Au final, l’alternative a consisté à traiter avec nos principaux alliés – Turquie, Iran, Russie, Chine –, malgré le fait que la distance qui nous sépare de ces pays renchérit aussi les coûts. Cela se fait notamment par le troc ou avec le petro.
Le Venezuela peut-il se relever ? La Chine et la Russie représentent-ils une alternative crédible ?
Le Venezuela a de grandes ressources naturelles et sa dette externe, en comparaison internationale, est parfaitement soutenable. Bien sûr, à court terme, le pays rencontrera de très graves difficultés à se passer des Etats-Unis, dont nous dépendions encore pour 30% à 40% de nos échanges, ainsi que de ses proches alliés. Notre dépendance est aussi technologique, pour la production ou le transport. Mais la Russie, la Chine et aussi l’Inde sont d’importantes puissances économiques. Qui plus est, cela fait des années que nos échanges commerciaux se renforcent. Ces pays peuvent absorber une bonne part de notre pétrole.
Un nouveau système d’échanges internationaux est en train d’émerger. Les BRICS, notamment la Chine, ont décidé d’adosser leur monnaie à l’or. Cela inquiète beaucoup les Etats-Unis, qui viennent de prendre une mesure similaire. Ce n’est pas un hasard s’ils attaquent violemment le Venezuela, pays disposant des premières réserves mondiales d’or, soit plus de 7000 tonnes, dont 165 dans les réserves de la Banque centrale ! Nous sommes un rouage d’une bataille géopolitique. Mais à moyen terme, je ne suis pas pessimiste.
PROPOS RECUEILLIS PAR BPZ
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