L’embargo dicté par Donald Trump met le Venezuela au supplice.
Sanctions dévastatrices
Selon les auteurs de l’étude, le codirecteur du CEPR Mark Weisbrot et le professeur Jeffrey Sachs, de la Columbia University, les entraves mises en place par le gouvernement de Donald Trump aux transactions financières du Venezuela ont non seulement « aggravé la crise » mais elles rendraient « presque impossible la stabilisation de l’économie ». Concrètement, les chercheurs notent que si le PIB du pays avait déjà chuté de 24% en quatre ans (20132016), la dégringolade s’est très nettement accélérée après le 25 août 2017, date des premières sanctions d’envergure contre Caracas. Pour la seule année 2018, la chute est estimée à 16,7%.
Facteur principal
Le parallèle colombien : des revenus du pétrole dont la baisse, déjà constatée depuis vingt mois, se multiplie dès lors par trois. Une chute partiellement due aux difficultés pour Caracas de rapatrier le produit de ses ventes mais aussi à entretenir ses puits et ainsi maintenir la production. En comparant la courbe vénézuélienne et celle du voisin colombien, les économistes montrent notamment que l’impact de la crise internationale puis la stabilisation des cours a été symétrique dans les deux pays jusqu’à ce que les sanctions ne viennent casser la reprise. Sur cette base, le duo d’économistes étasuniens calcule que la politique extérieure de leur gouvernement a induit une perte supplémentaire de recettes de 6 milliards de dollars pour l’Etat vénézuélien en 2018. En comparaison, Caracas n’a pu importer cette année-là que pour 2,6 milliards de dollars en médicaments et aliments. Le dérapage vers l’hyperinflation est attribué à cette même cause. Les deux économistes rappellent que la hausse des prix était encore maîtrisée à environ 1000% par année durant la première moitié de 2017, contre probablement cent fois plus à fin 2018. Sur la base de précédents hyper-inflationnistes en Amérique latine, Mark Weisbrot et Jeffrey Sachs estiment que, sans l’embargo, le gouvernement vénézuélien était en mesure de stopper la spirale à condition de laisser flotter sa monnaie et de mener des réformes fiscales et monétaires.
Menaces contre l’Inde
Avec la crise politique débutée en janvier 2019, une nouvelle salve de pressions étasuniennes s’est abattue sur le pays. Principale mesure : la fin de l’activité pétrolière de PDVSA aux EtatsUnis. Or, la société publique vénézuélienne, principale source de devises de l’Etat, y possède sa plus importante filiale, CITGO. En 2018, le marché US avait absorbé plus du tiers des exportations vénézuéliennes. Et gare à ceux qui voudraient se substituer aux EtatsUnis. Ainsi l’Inde, qui lorgnait sur le brut de l’Orénoque, et les maisons de trading internationales sont menacées de rétorsions. Résultat : entre fin janvier et avril, les exportations de pétrole vénézuélien ont encore chuté d’un tiers, et la tendance devrait se maintenir… Pratiquement coupé de tout accès au système bancaire international, le pays a vu également ses actifs à l’étranger être immobilisés : au moins 5,2 milliards de dollars à travers CITGO, 1,2 milliard saisis par la Banque d’Angleterre, ainsi que des crédits commerciaux estimés à quelque 3,4 milliards… Sans compter que les 9 milliards de réserves en or du gouvernement pourraient avoir de la peine à trouver preneur (lire aussi en page 12). Plus pernicieux, l’embargo prive celui qui fut longtemps son allié d’un accès aux fournitures made in USA. L’absence de pièces de rechange met notamment en péril le système électrique national naguère fourni par General Electrics.
« Punition collective »
En définitive, les rapporteurs n’hésitent pas à qualifier les mesures unilatérales prises par Washington comme une « punition collective » infligée à une population civile, une pratique interdite par les conventions de Genève et de La Haye. Avec la circonstance aggravante qu’à plusieurs reprises, les actuels responsables étasuniens n’ont pas caché l’intérêt économique que représenterait pour les Etats-Unis le renversement du président Nicolás Maduro. [1]
LA RÉFUTATION DE HAUSMANN
« Ne blâmez pas Washington pour les problèmes pétroliers du Venezuela ! » L’étude de Mark Weisbrot et de Jeffrey Sachs n’est pas restée sans réponse. Début mai, deux économistes de Harvard, Frank Musi et Ricardo Hausmann, conseiller du président reconnu par Washington, Juan Guaidó, la contestaient dans un article paru sur americasquarterly.org. La réfutation porte en premier lieu sur la méthode de Weisbrot et Sachs qui portent leur regard sur les cinq dernières années et s’appuient sur une comparaison avec la Colombie pour pointer les sanctions comme source principale de la crise actuelle. Deux options contestées par Musi et Hausmann, selon lesquels le rapide rétablissement colombien, lors de la hausse des prix du brut, serait le produit d’un secteur pétrolier récent et dynamique tandis que le Venezuela paierait deux décennies de reculs. Selon la même logique, la chute des importations de médicaments et d’aliments, l’exclusion du Venezuela des marchés financiers ainsi que la hausse du taux de mortalité ne seraient que les prolongements de tendances très lourdes observées dès avant les sanctions. Et de procéder par inversion de la preuve : qu’est-ce qui prouve que ces courbes se seraient inversées sans les sanctions ? Mais en second lieu, c’est la lecture politique qui éloigne le plus radicalement les deux études. Si la première regrette que les sanctions empêchent le Venezuela de relever la tête, la seconde s’en réjouit : « Les politiques perverses et la mauvaise gestion extrême expliquent l’essentiel de l’effondrement du Venezuela. Et si personne ne conteste que les sanctions vont nuire à PDVSA, elles rapprochent plus que jamais le Venezuela d’un changement de régime », conclut-elle. BPZ
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