DES QUESTIONS FONDAMENTALES POUR QS
Cette question peut sembler étroitement tactique, mais elle soulève en fait plusieurs questions de stratégie pour Québec solidaire, et même la définition du projet politique qu’il incarne. Voyons-nous Québec solidaire comme une force politique éternellement auxiliaire, capable seulement d’influencer les autres partis et d’arracher de petites réformes au compte-gouttes ? (Toutes les réformes sont importantes, mais les mouvements sociaux en ont gagné bien avant que QS existe. Ça ne peut pas être la raison d’être ou l’horizon stratégique de notre parti.) Ou concevons-nous au contraire ce parti comme porteur de transformations significatives (celles qui sont esquissées dans le programme), imaginables seulement si celui-ci forme le gouvernement en alliance avec des forces sociales mobilisées ? Bref, voyons-nous QS comme un partenaire pour une alternance ou comme une alternative ?
Pour le Parti québécois et ses alliés des OUI-Québec, c’est clair que QS n’a d’utilité que s’il facilite l’élection d’un gouvernement péquiste en 2018. L’effort de propagande consistant à qualifier un tel gouvernement de « souverainiste » n’est qu’une mascarade. Le PQ, que ce soit sous la direction de Lisée ou de Cloutier, ne s’engagera pas dans une démarche pouvant mener à l’indépendance. Il ne l’a jamais fait, même en 1980 ou en 1995, quand il demandait à la population de lui donner le mandat de renégocier au sommet les rapports entre l’État québécois et l’État canadien. Mais ces moments de quasi-indépendantisme sont maintenant qualifiés de « référendisme », selon le mot de Marois. Le courant jusqu’au-boutiste incarné par Option nationale, Martine Ouellet au PQ et Mario Beaulieu au Bloc, demeure très minoritaire et ne constitue pas une option viable pour ceux et celles qui cherchent à se présenter comme le parti de l’alternance à court terme face aux Libéraux.
La démarche en deux étapes proposée par les OUI-Québec est un piège caché derrière un mince écran de fumée. La première étape des discussions, qui ne porte pas sur les alliances électorales mais uniquement sur la mécanique de l’accession à la souveraineté, n’est qu’une distraction temporaire dont le but est de nous faire mal paraître si on quitte la table avant d’être arrivé au bout de cette discussion abstraite. Ceci afin de nous placer ensuite devant l’urgence de « battre les Libéraux » à quelques mois des prochaines élections, donc de rendre la rupture éventuelle de plus en plus difficile.
QUELLE POSTURE POLITIQUE POUR 2018 ?
On peut souhaiter divorcer cette première étape de la seconde dans l’abstrait. Mais le simple fait de participer à cette discussion sous-entend clairement que nous considérons le PQ comme un partenaire potentiel et un « moindre mal » par rapport aux libéraux. Comment QS pourra-t-il justifier sa place dans le paysage politique en 2018 après avoir véhiculé un tel message pendant une bonne partie de 2016 et 2017 ?
Ce débat soulève donc la question de ce que signifie « battre les Libéraux ». La dernière fois qu’ils ont été battus, à l’automne 2012, c’était parce qu’un mouvement social tel que le Québec n’en avait pas vu depuis 40 ans avait sérieusement ébranlé les fondements de leur pouvoir. Et tout ce que le PQ est parvenu à faire est de constituer un gouvernement minoritaire qui a pris quelques décisions progressistes au début, pour rapidement revenir à ses politiques favorables aux plus riches et finalement déraper vers le populisme xénophobe en fin de course. Voilà la réalité de la « gouvernance souverainiste » en action.
Les belles paroles des dirigeants actuels du PQ et des prétendants à sa direction ne constituent qu’un autre exemple du PQ qui signale à gauche dans l’opposition avant de virer à droite une fois au pouvoir. Nous avons joué dans ce film en 1996 et en 2013. Pourquoi en serait-il autrement en 2018 ? En fait, « battre les libéraux » devrait signifier « battre » les idées des libéraux dans la population et bloquer leurs politiques à travers les luttes. Autrement, on ne fera que remplacer ces néolibéraux par d’autres (le PQ et/ou la CAQ), qui combinent le même genre de politiques économiques et sociales avec des doses diverses de nationalisme ethnique, de xénophobie plus ou moins assumée et de rhétorique autonomiste ou souverainiste sans portée politique réelle.
QUELLES PERSPECTIVES ?
De son côté, Québec solidaire doit clarifier ce qu’il entend par « gagner », ou plus généralement ce que son ses critères de succès. Au conseil national, nous aurons l’occasion d’affirmer sans équivoque que la stratégie du parti repose sur la mobilisation populaire et les luttes sociales, et non sur des tractations de coulisse avec d’autres partis. Osons affirmer que pour nous les résultats électoraux ne sont pas une fin en soi ou un instrument pour faire pression sur d’autres partis, mais uniquement une réflexion partielle (à cause des distorsions du mode de scrutin et des aléas d’une courte campagne) des appuis que nous avons dans la population pour nos idées et notre projet. Disons-nous et communiquons aux autres que nous ne voulons pas faire partie d’un gouvernement de coalition avec un des trois partis de l’austérité ou former une alliance avec un de ces partis contre les autres.
En ce qui concerne l’indépendance du Québec, si elle se trouve dans une impasse présentement, c’est parce que la stratégie dominante depuis 50 ans consistant à s’unir sur une base nationaliste en mettant de côté les aspirations sociales et démocratiques de la population a échoué. Nous proposons une orientation différente, fondée sur une convergence des luttes et des mouvements, sur un pays de projets et une véritable autodétermination nationale à travers une assemblée constituante démocratique. Cette vision va se transformer en projet politique lorsque la majorité de la population se le sera approprié à travers l’expérience des luttes contre le capitalisme de l’austérité, des inégalités croissantes et de la négligence criminelle climatique, face à l’État canadien impérialiste qui est à son service.
Bref, nous ne faisons pas partie de la « famille souverainiste ». Soyons-en fiers ! Cette famille dysfonctionnelle qui s’entredéchire périodiquement entre deux périodes de déni et n’arrive pas à confronter ses démons n’est heureusement pas la nôtre. Donnons-nous plutôt comme mandat de rejoindre les véritables « orphelins politiques », ceux et celles qui ont raison de ne pas se reconnaître dans les trois partis qui se partagent présentement la plupart des sièges à l’Assemblée nationale. Mettons en pratique une autre politique, orientée vers les besoins de la majorité et axée sur le respect des équilibres écologiques et des droits humains.