Édition du 11 mars 2025

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Environnement

Un fléau de fuites de méthane afflige le gaz de schiste

Des scientifiques enquêtent sur les niveaux élevés de gaz nuisible relâché dans les régions fracturées

Selon une série d’études scientifiques récentes faites aux États-Unis et en Australie, l’industrie du gaz de schiste doit faire face à un autre défi formidable : les fuites de méthane et de radon trois fois plus importantes que prévues.

Traduction libre d’un reportage d’Andrew Nikiforuk publié le 6 mai 2014 dans le quotidien The Tyee. Traduction Johanne Dion - Les AmiEs du Richelieu).

Dans certains cas, le volume de méthane qui s’échappe, un gaz à effet de serre qui retient la chaleur 25 fois plus que le dioxyde de carbone, faut-il se rappeler, est si élevé qu’il remet en question l’affirmation que le gaz de schiste peut être un pont vers un futur énergétique plus propre, comme en fait la promotion le gouvernement de la Colombie-Britannique et les autres régions où le gaz de schiste est présent.

"Si le gaz naturel est un "pont" vers un futur énergétique plus durable, c’est un pont que l’on doit traverser avec beaucoup de précaution," prévient l’une des études de 2014 publiée dans la revue scientifique Science. "On doit faire preuve de diligence pour s’assurer que les taux de fuites sont suffisamment faibles pour atteindre nos objectifs."

Les nouvelles études qui quantifient les fuites de méthane, un problème qui date de longtemps pour l’industrie pétrolière et gazière, illustrent bien le besoin d’un monitorage strict de la qualité de l’air avant et après les forages gaziers afin de déterminer comment la fracturation hydraulique pourrait impacter les taux naturels de fuites.

De plus, les fuites de méthane semblent plus importantes dans les régions où l’industrie fracture les formations de houille, une ressource beaucoup plus riche en méthane que le schiste, ou là où il se trouve des mines de charbon déjà présentes.

Les études soulignent le peu de recherche en science qui a été faite sur les impacts des fracturations hydrauliques de haute pression faites avec des forages horizontaux. La technologie de force brute crée des fractures dans des formations géologiques profondes de roc en injectant des jets d’eau, de produits chimiques et du sable avec une telle force que l’opération peut provoquer de petits séismes.

"Je pense que ces études mettent en évidence le besoin de faire plus de monitorage avant, durant et après le développement, au niveau du sol et dans les airs pour localiser définitivement les sources de méthane," dit David Hugues, un spécialiste en énergie et charbon.

Plusieurs cas d’émissions très peu rapportés

L’une des premières études qui ont sonné l’alarme sur les manquement à rapporter les émissions de méthane par l’industrie et les régulateurs a été confirmée en partie par l’administration américaine U.S. National Oceanic and Atmospheric Administration l’année passée.

Publiée dans le Geophysical Research Letters, elle faisait un portrait dans le temps des niveaux de méthane dans une région de production de gaz de schiste au Utah pendant une journée complète en février 2013. Elle trouva un taux de fuites de 6% à 12% dans la région intensément fracturée. Une étude précédente avait rapporté un taux de fuite de 4% dans une région de gaz de schiste hautement fracturée au Colorado.

Cette découverte ébranla l’industrie autant que le gouvernement parce qu’on prenait pour acquis depuis longtemps que les taux de fuites de la production de gaz naturel étaient en moyenne de 1,5%.

Une telle perte de méthane dans l’atmosphère "annule tout avantage à court terme pour le climat venant du gaz naturel venant de cette région pour la production de l’électricité comparé au charbon ou au pétrole," concluent les scientifiques.

Ces découvertes appuient également le travail fait par Robert Howarth, un expert en méthane de Cornell, qui avançait en 2011 que l’empreinte de gaz à effet de serre du schiste était beaucoup plus importante que le gaz conventionnel à cause des émissions de méthane venant des évents, des fuites et des fluides de reflux pendant le processus de forage.

Vient ensuite une étude de 2013 menée par Harvard qui démontra, encore une fois, avec du monitorage en temps réel, l’importance des lacunes à rapporter les émissions de méthane par l’EPA des É.-U.

En utilisant les mesures atmosphériques prises à bord d’avions et des tours de communications, l’étude trouva que le méthane dans l’atmosphère au-dessus des régions intensément fracturées pour le pétrole et le gaz du sud-central des É.U. était 2,7 fois plus important que l’on s’attendait.

Les concentrations de propane, un autre indicateur de pollution générée par les activités pétrolières et gazières, étaient aussi élevées dans l’air au-dessus du Texas et l’Oklahoma où la fracturation ou l’injection des déchets de fracturations provoquaient des séries de séismes.

L’étude de Harvard précédait une autre étude en profondeur publiée dans la revue Science, financée en partie par une fondation lancée par George Mitchell, l’un des pionniers de la fracturation hydraulique moderne.

Elle trouva aussi une grande différence entre les taux d’émissions de méthane mesurées versus les estimés "officiels". Adam Brandt, un chercheur de l’université Stanford, avec 12 autres scientifiques, a rapporté qu’un petit nombre de sources qui fuyaient beaucoup comme les pipelines qui fuient, des trous de forages défectueux, des stations à gaz polluantes, et les citernes de stockage qui dégazent pourraient être les sources des taux élevés de méthane.

Les scientifiques ne pensaient pas que la fracturation hydraulique est la source première des fuites de méthane, mais remarquaient que les taux de fuites variaient beaucoup d’une région à l’autre.

"Une science améliorée pourrait aider à générer des politiques de réponses à coût modérés," disent-ils en conclusion.

Une étude de 2013 faite par l’université du Texas et le U.S. Environmental Defense Fund contredit ces découvertes en constatant que les émissions de méthane étaient moins importantes que les estimés de l’EPA des É.-U. dans des régions schisteuses exploitées. Mais l’industrie avait choisi les sites étudiés et les périodes de temps où les données avaient été colligées.

Le charbon joue son rôle

Le mois passé, une autre étude américaine avait rapporté qu’une inspection faite par avion sur une période de 2 jours avait trouvé d’importants panaches de méthane au-dessus des sites de puits de gaz de schiste au-dessus du sud-ouest de la Pennsylvanie, de 2 à 3 fois plus importantes que prévu durant des opérations de forage.

Les scientifiques ont avancé que quelques puits de gaz de schiste pourraient être les plus importantes sources d’émissions causant ces pointes de méthane dans l’atmosphère.

(Le concept de têtes de puits sources extrêmes de fuites, surtout dans des régions exploitées pour le pétrole et le gaz, n’est pas nouveau : une étude de 1996 publiée par la Society of Petroleum Engineers avait trouvé que 9,000 puits sur 20,000 dans la région Lloydminster, très exploitée pour son pétrole située dans l’ouest canadien, laissaient fuir tellement de méthane par le trou de puits, au travers du sol ou des nappes aquifères, que le problème pourrait coûter des centaines de millions de dollars pour les colmater.)

Les chercheurs avaient aussi avancé l’hypothèse que les activités de forage près des mines de charbon en fonction pourraient par mégarde provoquer les fuites de méthane venant de la houille en ouvrant des nouveaux passages.

À la différence des autres formations de roc contenant des hydrocarbures, la dureté moindre de la houille permet la création de réseaux complexes de fractures qui permettent les émissions de grandes quantités de méthane. Dans le passé, du méthane non éventé avait provoqué des explosions terrifiantes dans des mines.

Andrew Revkin, le blogueur environnemental bien connu du New York Times, avait remarqué que les résultats laissent beaucoup penser "que les régulateurs devraient exiger le monitorage de la chimie locale de l’air avant, pendant et après les forages des puits gaziers."

Revkin avait aussi demandé à Louis Derry, un géologue de l’université Cornell, de commenter sur les implications de cette étude quand il s’agit de la houille.

"C’était possible qu’un petit nombre de puits contribuent beaucoup aux fuites de méthane dans une région exploitée, un problème facile à résoudre," dit Derry.

Mais "le vrai message de cette étude pourrait être que les fluctuations de gaz venant des opérations de houille ont été sous-estimées, et qu’elles sont pour la plupart responsable des endroits critiques," dit-il.

Il ajoute que les forages dans une région riche en houille pourrait "exiger des précautions spéciales pour prévenir des fuites éphémères" en plus du monitorage avant et après.

Comment l’Australie gère les fuites

Les études australiennes ont aussi constaté qu’il y a des problèmes importants de fuites de méthane et de radon dans les régions productrices de méthane dans les formations de houille dans le sud du Queensland et le nord de New South Wales.

En 2012, Isaac Santos et Damien Maher de l’université Southern Cross ont mesuré les concentrations de méthane dans l’atmosphère au-dessus des régions exploitées et fracturées dans la houille avec un spectromètre fixé à un véhicule.

Comme les études des É.-U. qui ont suivi, ils ont découvert que les émissions de méthane venant des régions en production étaient trois fois et demi plus importantes que l’on pensait.

Les scientifiques proposaient deux explications à leur découverte : des infrastructures fuyantes de l’industrie ou les fuites au travers le sol.

Toute région géologique qui contient des gisements gaziers connaît des fuites naturelles, mais aucune étude de niveau de référence n’a été faite par le gouvernement, avide de revenus venant des hydrocarbures, avant l’invasion de l’industrie valant des milliards.

En ce moment, des scientifiques de l’Australie tentent de savoir si les activités de forage comme la fracturation activent des fuites importantes de méthane qui relâcheraient du méthane et d’autres gaz comme du radon dans l’eau souterraine, dans des ruisseaux, dans le sol et dans l’atmosphère.

Le charbon est une source importante de méthane, alors il n’est pas surprenant que les niveaux sont plus élevés au-dessus des régions où il y a de la houille, fait remarquer David Hugues.

"Mais dire que ces niveaux sont liés au développement subséquent du méthane de houille ou de schiste, ou des mines qui étaient là au préalable, ou dus aux veines naturelles de houille nécessite des données prises avant, pendant et après," précise le géologue et consultant.

"Je pense que reconnaître ce besoin (d’avoir ces données) commence à se faire sentir auprès des gouvernements, mais je ne suis pas sûr à quel niveau cela a été réellement implanté."

"Il n’y a pas de volonté de réparer quoi que ce soit" dit ce scientifique

Une étude de suivi de 2013 mesurait les concentrations du gaz radon sur des stations de monitorage à la fois à l’intérieur et à l’extérieur des régions gazières exploitées au Kénia/Talinga au nord de Tara dans le sud du Queensland. Le radon est un gaz qui se retrouve naturellement dans le sol.

Les scientifiques ont trouvé des niveaux de radon dans l’atmosphère 3 fois plus élevés que la moyenne dans des régions où il y a une grande concentration de puits dans les formations de houille.

"On sait depuis des années que les anomalies de radon sont mesurées durant les séismes," explique Santos dans un communiqué de presse. "Quand la structure du soil prend de l’expansion ou se contracte et craque avant et durant les séismes, cela crée des passages qui relâchent le radon du sol dans l’eau souterraine et dans l’atmosphère."

"Nous avançons l’hypothèse qu’un processus analogue se produit quand la structure du sol est altérée pendant les forages pour le gaz de houille grâce aux procédés comme les forages, la fracturation hydraulique et les changements dans la nappe phréatique."

Damien Maher, l’un des co-auteurs de l’étude, dit que les découvertes laissent penser que les fuites de radon ne viennent pas seulement des trous de puits mais par les passages provoqués par les activités humaines que l’industrie n’avait pas prévu.

"Réparer les infrastructures est relativement facile. Réparer les changements dans la structure du sous-sol est beaucoup plus difficile," dit Maher.

Karlis Muehlenbachs, un expert de l’université de l’Alberta pour retracer les émissions de gaz qui fuient dans les champs d’exploitation pétrolières et gazières, doute que les régulateurs du pétrole et du gaz ont la jugeote ou les ressources pour faire du monitorage de niveau de référence dans l’atmosphère, encore moins réparer le système de production de gaz naturel plein de fuites du continent.

"Il n’y a pas de volonté de réparer quoi que ce soit," dit Muehlenbachs.

Pendant des années, Muehlenbachs a suggéré que les gouvernements obligent le monitorage de niveau de référence grâce aux prises d’empreintes digitales isotopiques du méthane, de l’éthane et du propane des puits en production, abandonnés, des fuites naturelles et des puits d’eau potable afin de protéger l’eau souterraine avant le début des forages et des fracturations.

Aucun régulateur n’a encore implanté ce protocole.

Andrew Nikiforuk

Journaliste au journal indépendant The Tyee, Canada.

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