« L’industrie semble avoir perdu le contrôle », affirmait le ministre du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs en fin de semaine dernière. Le ministre Arcand réagissait ainsi aux révélations à propos de près d’une vingtaine de puits à l’origine d’émanations jugées normales par la vice-première ministre Nathalie Normadeau qui pointait les flatulences des vaches comme problème encore pire en termes d’émission de gaz à effet de serre.
« Nous avons toujours été en faveur de cette filière, avoue le ministre. Mais je dois vous dire qu’actuellement, l’industrie ne semble pas avoir le contrôle. Et encore une fois, je veux simplement répéter que les gaz de schiste, cette industrie-là, ça va se faire correctement, ou il n’y en aura tout simplement pas. » Il s’agit là d’un changement de ton dans le discours gouvernemental mais rien n’indique qu’il s’agit d’une nouvelle orientation du gouvernement Charest. Car pour l’industrie, rien ne devrait compromettre les opérations en cours. Et le ministre repousse toute décision jusqu’au 28 février, date du dépôt du rapport du BAPE.
Business as usual
Pourtant, Talisman, un des joueurs majeurs de l’industrie des énergies fossiles, déclarait que les fuites étaient prévisibles. L’intervention pour colmater la fuite du puits de Talisman à Leclercville fait partie du cours normal des opérations gazières, selon Michael Binnion, président de Questerre (La Presse 22 janvier 2011). De son côté Dave Pépin, vice-président et chef des finances de Junex, continue de prétendre que « la découverte d’aussi importantes ressources gazières est une excellente nouvelle pour le Québec ». « L’industrie gazière, comme toutes les activités industrielles, comporte des risques qui doivent être gérés et encadrés par une législation serrée, dit M. Pépin. Nous croyons pouvoir le faire au Québec comme partout ailleurs dans le monde. À cet égard, nous attendons les recommandations du BAPE, qui, à notre avis, fait un exercice rigoureux et qui, nous l’espérons, apportera un éclairage indépendant sur le dossier. »
La Fédération des Chambres de commerce en profite pour en ajouter une couche. Elle reproche au gouvernement Charest son manque de fermeté avec les opposants, reprochant aux libéraux leur manque de stratégie, de vision et leur improvisation. Le gouvernement Charest est en train de miner la confiance des investisseurs au Québec, et pas seulement dans le domaine gazier, déclare la représentante du patronat québécois, Françoise Bertrand, de la Fédération des chambres de commerce du Québec, après avoir entendu le ministre Arcand et le premier ministre Charest hausser le ton dans le dossier du gaz de schiste.
"Il n’y a pas eu de processus clair, on dirait qu’on improvise, dit Mme Bertrand. Pour que les entreprises soient intéressées au Québec, il faut de la prévisibilité. On ne peut pas changer nos orientations au gré des oppositions." Voilà, le ton est donné. Le Québec devrait se soumettre aux exigences de l’industrie, selon madame Bertrand et le gouvernement devrait donner le ton en faisant fi des exigences citoyennEs.
Selon elle, laisser planer la menace d’un moratoire, c’est « le dernier signal à donner ». « Qu’on veuille ralentir et qu’on ne donne pas de nouveaux permis d’exploration avant d’avoir le rapport du BAPE et d’avoir réformé la loi sur les mines pour avoir un régime conforme au XXIe siècle, d’accord, mais on n’aime pas l’idée du mot moratoire. Pour en revenir, il faut une démonstration qui n’en finit plus. »
Des fuites à banaliser
Ce semblant de volte-face fait suite aux informations qui ont circulé la semaine dernière à propos d’enquêtes du ministère de l’environnement qui révélaient que 19 des 31 puits en activité au Québec ont des fuites. La Presse en a remis vendredi matin, en révélant que ces informations n’avaient pas été remises par le ministère des Ressources naturelles et de la Faune (MRNF) au Bureau d’audiences publiques sur l’Environnement (BAPE).
La semaine dernière, l’Institut de la santé publique du Québec (INSPQ) avait également fait part de ses nombreuses préoccupations concernant la santé publique.
L’opposition est stimulée
L’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA), le premier organisme québécois à avoir soulevé la question des gaz de schiste au Québec, s’est réjouie de ce changement de ton, affirmant qu’il s’agissait d’un pas dans la bonne direction en attendant le moratoire complet et immédiat. « Après deux ans de travail important, je peux dire que je suis fier du virage entrepris, fier de la réponse du public qui s’est mobilisé et fier des médias, qui ont fait leur travail sans se laisser endormir, a soutenu le président de l’AQLPA, André Bélisle. Mais maintenant, ça va prendre plus que des paroles, ça va prendre de l’action. »
Il demande au gouvernement d’inspecter l’ensemble des 29 puits et la divulgation des résultats au public. « Si c’est la situation du puits de Leclercville qui constitue la goutte qui fait déborder le vase, il devient urgent de procéder à l’inspection des sites qui n’en ont pas encore fait l’objet à ce jour. »
À peu près au même moment, des citoyens de Lotbinière et Nature Québec tenaient une conférence de presse à Québec pour réclamer la fermeture définitive du puits en vertu des problèmes qui y ont été décelés. « Pendant ce temps, l’industrie continue de faire des expériences et ce sont nous, les citoyens du coin, qui allons vivre avec les conséquences. On n’est pas intéressés à être des cobayes, on n’est pas des rats de laboratoire », a affirmé le porte-parole du comité de vigilance de Lotbinière-Bécancourt, Serge Fortin.
S’agit-il effectivement d’un recul du gouvernement Charest là où il fonçait tête baissée il y encore quelques jours ? Le gouvernement est tellement inféodé aux intérêts de l’industrie des énergies fossiles qu’il est difficile de croire en un virage sincère. Et il y tellement d’intervenants qui voudraient entreprendre une opération cosmétique visant à masquer les éléments les plus troublants de cette industrie et vendre au Québécoises et aux Québécois l’idée d’une exploitation « propre » des énergies fossiles.
Manifestation nationale contre les gaz de schiste le 22 avril
Pour s’assurer que le gouvernement entende bien haut le message de l’opposition, la coalition des organismes et citoyenNEs opposéEs aux gaz de schiste organisera une importante manifestation à Montréal le 22 avril prochain,. Presse-toi à gauche tiendra ses lectrices et lecteurs informéEs de cet événement qui promet d’être central dans l’issue de cette mobilisation.
Par ailleurs, le député de Mercier et représentant de Québec Solidaire à l’Assemblée nationale Amir Khadir déposera la pétition en faveur d’un moratoire sur l’exploration et l’exploitation des gaz de schiste le 8 février lors de l’ouverture des travaux de la session du printemps. Nos sources nous informent que l’activité marquera l’imaginaire. À suivre.