Cet article, qui porte un titre volontairement choquant, polémique, concerne la réalité sociologique du mouvement social québécois. Il s’agit d’une réflexion, à laquelle se joint une proposition, et une envolée lyrique. Alors, attachez vos ceintures…
Le mouvement social est une force incontestable dans les affaires québécoises. Il constitue un réseau de pression sur les institutions politiques, sur l’opinion publique, une force de sensibilisation et d’éducation. Il accède au politique par ses partis et ses alliés partisans, il influe directement ou indirectement sur l’opinion publique par la voie médiatique, il informe et organise les organisations de la société civile. J’aimerais émettre l’hypothèse, que les acteurs dominants de ce mouvement social sont des petits bourgeois, c’est-à-dire des gens sensiblement privilégiés par l’éducation et l’avoir, mais pas au point d’être inclus dans la catégorie elle aussi un peu ad hoc de grands bourgeois, de ces élites économiques, politiques et culturelles qui dominent les instances formelles de décisions politique et économique.
Il me semble en effet évident, après avoir fréquenté le mouvement social et politique du Québec pendant un certain temps, que les Françoise David, Robert Jasmin, Pierre Mouterde et Vivian Labrie, pour ne nommer que ceux-là, ne sont pas des gens ordinaires, mais bien des gens légèrement privilégiés, par l’éducation, l’expérience professionnelle et même financièrement. Il suffit en fait de constater que le mouvement social, à l’intérieur de ses propres rangs, reprend la structure politique dominante, qu’elle se structure elle-même autour de valeurs légèrement différentes, mais aussi cohérentes avec les valeurs sociétales.
D’autres exemples plus frappants et plus cocasses pourraient être soulignés, comme Claude Béland, par exemple, ancien pdg du mouvement Desjardins devenu démocrate par excellence, tout en conservant, à l’intérieur du mouvement de réforme auquel il participe, une tangente conservatrice. S’ajoutent à ces caractéristiques sociologiques, qui ne sont pas uniformes, mais qui représentent de grandes tendances, des éléments générationnels. En effet, l’on s’apercevra vite en faisant le tour des lieux de pouvoir du mouvement social, qu’ils sont monopolisés par des baby-boomers.
L’on peut en effet se questionner à savoir si le mouvement social au Québec n’est pas l’alliance de la petite bourgeoisie avec le peuple, un peu comme l’alliance de la bourgeoisie française avec le peuple lors de la révolution française. L’une des caractéristiques de cette petite bourgeoisie du mouvement social, et c’est une caractéristique bien intéressante, c’est son éducation. En effet, la petite bourgeoisie se fonde sur un certain niveau socio-économique, mais aussi, sur une légitimité culturelle.
Cela est important, car contrairement à la bourgeoisie française de la révolution, par exemple, qui, elle, monopolisait le pouvoir de l’argent et du commerce, c’est loin d’être le cas de cette petite bourgeoisie. Plus généralement sa légitimité est culturelle ou sociale, tirée du mouvement social lui-même, ou mixte. Ce point est important pour souligner la progression par rapport à une bourgeoisie commerciale. Cette différence me fait enfin dire que la révolution québécoise, si révolution il y a, aura pour fer de lance cette petite bourgeoisie culturelle et sociale, et qu’elle luttera contre la bourgeoisie commerciale et économique, pour asseoir sa propre domination sociétale, qui se voudra davantage démocratique. L’on pourrait à ce propos voir l’émergence d’une démocratie culturelle et éthique, fondée sur des valeurs plus humanistes et moins commerciale et marchande, comme c’était le cas avec la « démocratie bourgeoise ».
Je peux sembler accusatoire et polémique dans ma qualification des choses, mais, si je suis pour faire un aveu, j’en fais partie de ce mouvement social, je suis éduqué dans les universités bourgeoises, moi aussi, et mon niveau socio-économique est bas, mais par choix. Je suis tout de même un peu polémique, pour souligner et mettre l’accent sur le fait que ces dynamiques, souvent cachées et bien implicites au mouvement et à ses valeurs, doivent être comprises, ne serait-ce que pour garder en tête une certaine réalité, pour être conscient des différences de niveaux socio-économiques au sein même du mouvement social et de leur incidence sur le pouvoir. La pire chose à faire, en effet, ce serait de reproduire intégralement les valeurs sociétales sans y apporter rien de nouveau.
La légitimité culturelle et sociale, à mon avis, est supérieure à la légitimité économique. Tout comme il y a eu bourgeoisisation de la société, l’on pourrait s’attendre, au Québec, à une culturalisation de la société. Espérons que nos leaders de la gauche n’ont été trop choqués par la comparaison avec la bourgeoisie, je sais bien que ce sont des gens près du peuple, même si ce ne sont pas tous des gens du peuple. Consolez-vous, Marx aussi était éduqué, même la révolution tranquille s’est faite en partie dans les rangs de l’Église.
Il y a quelque chose de beau dans le fait de renier les intérêts immédiats de sa classe sociale, pour y préférer les intérêts de l’ensemble, mais là où les intérêts de cette sous-classe sociale entrent en contradiction avec celle de l’ensemble, il faut avoir l’éthique et la hauteur d’esprit de concéder, et de laisser à d’autres l’initiative de la révolution. Qu’il y ait ou non révolution explicite importe peu, car il y a déjà, avec l’émergence d’un mouvement social qui prenne sa place sur l’échiquier politique et sociétal, un jeu de force, un bras de fer entre la petite bourgeoisie culturelle et sociale à la tête du peuple et la bourgeoisie économique et politicienne.
Le peuple devra choisir entre une élite culturelle et sociale, et une élite économique et politicienne. Je me permettrais de suivre mon mantra : « Je ne suis pas, donc je suis. », mais je pencherai et engagerai tout de même la discussion avec cette élite culturelle et sociale, et dénoncerai les éléments de l’autre qui me semblent rétrogrades. Je dirai aussi qu’il me fera grand plaisir, malin comme je suis, de prendre le temps de rappeler à cette élite culturelle et sociale qu’elle est une « élite », malgré les conflits idéologiques que cela peu poser.
Le fier Lao-Tsé me semble ici être la meilleure référence, pour exprimer mon souhait, que cette élite soit consciente de son pouvoir, car comme il le disait : Si les dirigeants sont droits et vertueux, le peuple sera droit et vertueux. L’honnêteté et l’éthique me semblent planer au-delà de ces fractures, au point où, je le dis, je préférerai faire affaire avec une personne de droite qui est honnête, plutôt qu’avec un soi-disant progressiste qui ne l’est pas. Il me semble en effet important de souligner cet élément éthique. L’idéal, pour moi, ce serait une démocratie culturelle et éthique, une démocratie dans laquelle l’on valorise la culture, le savoir, mais où l’on discrimine aussi sur le fondement de l’éthique.
Du constat à l’action
Il me semble, et j’écris ces lignes après un moment de réflexion, que la voie à suivre est celle de Vivian Labrie. Elle, si elle était élue au Parlement, elle n’ôterait pas ses bottes ! Il faut le dire, le Parlement, comme le diraient les marxistes, est une institution bourgeoise. C’est un édifice luxueux, avec des crucifix et des peintures, des plaques et des escaliers qui mènent au pouvoir. Ce qui est pire, en revanche, c’est que l’on paie les députés plus que la moyenne du Québécois moyen, et ensuite on lui dit : « Va nous représenter. » Je crois qu’il y a là, une contradiction, c’est bien d’valeur, mais qui vit de richesse périra par la richesse.
On ne peut pas en effet accaparer plus d’argent que le Québécois moyen et ensuite dire : « Nous, on va redistribuer. » Car il ne suffit pas de remettre au pauvre ce qui lui appartient, le fruit de son labeur. Une telle action, pour être logique, doit aussi reprendre du riche qui lui a « confisqué » son labeur. À cet effet, je doute qu’il soit cohérent que Mme David, M. Khadir et M. Roy confisquent l’argent des contribuables, et des non-contribuables qui contribuent aussi à l’économie et à la société québécoise. Je crois plutôt que, pour être cohérent, un député solidaire doit se délester de la partie excédentaire de son indemnisation parlementaire qui est au-delà de ce que gagne le québécois ou la québécoise qui, elle, travaille à produire de la richesse, et parfois, sans profiter des fruits entiers de son labeur.
Je suggère donc que l’on vote une loi Labrie, une loi qui n’a pas besoin de l’adoption de l’ensemble du Parlement, mais qui stipule que le député solidaire remettra en « contributions de solidarité » la partie de son indemnisation parlementaire qui excède le revenu québécois moyen. Si c’était fait, je serais prêt, rusé comme je suis, à abandonner mon qualificatif de petit bourgeois pour y préférer celui de grand citoyen ! Ou simplement, de citoyen solidaire, car la grandeur n’est pas toujours dans les grandes choses, les titres et les fonctions.
Chaque geste de solidarité compte, et celui qui passe inaperçu, comme le disaient les anciens, méritera sa récompense au paradis. En revanche, en politique, pour qu’un engagement soit conséquent, il convient de le laisser connaître. Que l’on mette donc les bottes de Mme Labrie, sans doute la plus grande femme du Québec, et que l’on botte les culs bourgeois assis sur les trônes du Parlement !
David Litvak
NB Toutes les attaques contre les personnes nommées dans ce texte sont de la responsabilité exclusive et unique de l’auteur, et ils n’engagent aucunement la responsabilité juridique de Presse-toi à gauche ! Que Mouterde me poursuive ! Je lui dirai : Toi, transfuge du pays des cols longs, le saint patron du Québec te botte dans le fleuve des délices du paradis céleste et séculier ! Le Québec est un pays de cols bleus et de cols blancs ! Notre drapeau, nous, on le porte dans notre cou ! Et notre hymne national, c’est :
Yâpadklas’yenajamè’u yenora’pa’piyenora’pu,
Sâ’sé’la’lwé’du’parté’kébèkwé,
Pi’vou’zalé’vwèr’ke’no’parté,
Isfon’pa’à’saink’pi’sis,
Isfon’pa’à’dis’pi’di’mil,
Isfon’à’sèt’milyon,
Pi’sé’dé’parté’d’révolusyon,
Bis.