Édition du 12 novembre 2024

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Campements de solidarité avec la Palestine

UQAM - Solidarité avec la Palestine : le droit de réunion pacifique en question

Le 22 mai 2024, le recteur de l’UQAM a déposé une requête en émission d’une ordonnance d’injonction pour demander le démantèlement, au moins partiellement, des quelques quarante tentes installées dans une cour intérieure de l’UQAM, presque invisible de la rue, par des organisations étudiantes et militantes en solidarité avec le peuple Palestinien.

Pour justifier ce recours juridique engagé avec des fonds publics, qui porte atteinte à la liberté d’expression et au droit de réunion en solidarité avec un peuple qui fait face à un « risque plausible » de violation du droit à être protégé d’un génocide, selon la Cour internationale de justice, le recteur invoque les atteintes au droit de propriété de l’UQAM, la sécurité des membres de la communauté universitaire et des dommages. Outre l’occupation du terrain de l’UQAM, des issues de secours seraient bloquées, des rallonges électriques constitueraient des risques « de surcharge du réseau électrique », des bidons d’essence et des barres de fer auraient été aperçus et menaceraient la sécurité des « occupants » et de la communauté universitaire.

Tels sont, avec des graffitis, les principaux éléments factuels avancés en vertu desquels,
après la très violente charge menée par la police de la ville de Montréal lundi 20 mai 2024, il y aurait urgence à agir du point de vue de l’administration universitaire.

Constatant que l’administration uqamienne n’a pas été en mesure de mentionner un seul acte de violence, un seul propos antisémite, raciste ou haineux dans sa requête, il nous semble urgent et important de rappeler quelques normes minimales fixées par le droit international et qui s’imposent à tous et toutes avant de vouloir imposer des restrictions au droit de réunion pacifique, « le parent pauvre du domaine des libertés fondamentales garanties », pour reprendre une formule mobilisée par la Juge Marie-France Bich de la Cour d’appel du Québec.

Concernant les atteintes au droit de propriété de l’UQAM, le Comité des droits de l’homme des Nations unies a récemment rappelé que les rassemblements dans les espaces privés, en Chine, au Mali, comme au Québec, sont protégés par le droit de réunion pacifique et qu’avant d’imposer des restrictions, il convient de prendre « dûment en compte » les intérêts des autres personnes ayant des droits sur la propriété, comme ceux des membres de la communauté universitaire. Or, sur ce point, la « communauté uqamienne », via des dizaines de résolutions souvent adoptées à l’unanimité, a fait part de son intérêt à afficher ouvertement sa solidarité avec le peuple Palestinien et son engagement en faveur d’un cessez-le-feu. Des restrictions au droit de réunion sont toujours possibles mais celles-ci dépendent notamment de « considérations telles que le fait que l’espace soit ou non habituellement accessible au public, la nature et l’ampleur des perturbations ». Ici on évoque principalement des rallonges électriques, des graffitis et quelques portes barrées dans un espace « habituellement accessible au public ».

"L’interdiction d’une réunion ne peut être envisagée qu’en dernier ressort". Comité des droits de l’homme des Nations unies, 2020, para.37.

Concernant la protection de la santé des « occupants » et des membres de la communauté universitaire, une préoccupation urgente fort louable du patronat et que n’oublieront pas les employé·es victimes de maladies professionnelles ou les étudiant·es en dépression, des restrictions sont également possibles mais au nom de la santé publique et « exceptionnellement » ou « dans des cas extrêmes ». Si quelques rallonges électriques ou portes bloquées constituent un « cas extrême » qui justifierait une interdiction de rassemblement, on peut dire adieu au droit de manifester.

Enfin, concernant les actes de « vandalisme » (comme les graffitis mentionnés dans la requête), cela ne constitue pas en soi un motif légitime pour interdire le droit de réunion pacifique. Si des méfaits voire même des voies de fait sont commis, il appartient au service de sécurité et à la police d’intervenir et d’identifier les responsables, individuellement. Les restrictions au droit de réunion pacifique doivent quant à elles être « nécessaires », « proportionnées », « les moins intrusives » possible et elles ne doivent pas « porter atteinte à l’essence du droit visé » ou avoir « pour but de décourager la participation à des réunions ni avoir un effet dissuasif ».

Que s’agit-il donc de faire en judiciarisant le conflit, en sanctionnant de manière indiscriminée tout un collectif et en demandant l’interdiction ou le strict encadrement d’une réunion pacifique pour des motifs aussi légers que ceux portés dans cette requête, si ce n’est de décourager ou de dissuader d’afficher sa solidarité avec le peuple palestinien sur le campus universitaire ?

Martin Gallié
Le 23 mai 2024.

Martin Gallié

Martin Gallié, Montréal, militant internationaliste, professeur à l’UQAM.

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