Democracy Now, 29 janvier 2025
Traduction et organisation du texte, Alexandra Cyr
Amy Goodman : (…) Jeudi, la Présidente du Mexique, Mme Claudia Sheinbaum, rejoindra d’autres leaders latinoaméricains.es à Teguicigalpa au Honduras. C’est une réunion d’urgence pour s’entendre sur la réponse à donner aux expulsions de masse et autres décisions du Président américain. Dans un de ses premiers décrets, il désigne les cartels mexicains « d’organisations terroristes » et poursuit en envoyant 1,500 soldats.es à la frontière avec le Mexique. Voici la réponse de Mme Sheinbaum à une question d’un.e journaliste à ce sujet.
Journaliste : Les cartels étant considérés comme des organisations terroristes, quelles mesures le Mexique va-t-il prendre dans de futurs cas comme celui-ci Mme la Présidente ?
Mme Sheinbaum : Nous combattons ces groupes criminels et ce que nous demandons, c’est de la collaboration et de la coordination. Les décisions unilatérales n’aident pas. La collaboration, oui. Nous procédons en ce moment à une analyse des implications pour diverses organisations non liées au crime pour qui par cette décision pourraient être confrontée à des problèmes économiques. Quoi qu’il en soit, nous voulons faire une proposition aux États-Unis avec qui nous devons travailler pour que nous puissions collaborer.
A.G. : En même temps, Mme Sheinbaum s’est moquée de la volonté du Président Trump de renommer le Golfe du Mexique, « Golfe de l’Amérique » tel qu’il l’a annoncé durant une récente conférence de presse. Elle s’est installé devant une carte datant de 1607 où la majorité de l’Amérique du nord est identifiée comme « Amérique mexicaine ».
Mme Sheinbaum : Les Nations unies ont reconnu le nom de « Golfe du Mexique ». Mais pourquoi ne pas adopter le terme Amérique mexicaine ? Ça a belle allure n’est-ce pas ? Depuis 1607, la Constitution de Apatzingan parlait d’Amérique mexicaine, donc, allons-y, utilisons ce vocable. Ça a belle allure n’est-ce pas ? Alors, le Golfe du Mexique se nomme ainsi depuis 1607 et il est aussi reconnu internationalement.
A.G. : Cette semaine, Google a annoncé qu’il renommerait le Golfe du Mexique, « Golfe d’Amérique » sur son moteur Google Map pour les utisateurs.rices américians.es.
Pour aller plus loin quant aux 100 jours de la Présidente mexicaine, Mme Sheibaum, nous rejoignons Edwin Ackerman, sociologue et professeur à l’Université de Syracuse. Il est l’auteur de « Origins of the Mass Parties : Dispossession and the Party-Form in Mexico and Bolivia.
Professeur Ackerman, soyez à nouveau le bienvenu sur Democracy Now. Pourquoi ne répondez-vous pas à ce que nous venons juste de diffuser ? Et donnez-nous vos commentaires sur les 100 premiers jours de la première Présidente du Mexique.
Edwin Ackerman : Merci beaucoup de votre invitation.
Je pense que ces 100 derniers jours ont été définis par une constante tension dans les négociations avec l’administration Trump ; nous pourrons en parler un peu plus. Mais je voudrais aussi souligner qu’intérieurement, ces 100 jours ont valu la peine publiquement au Mexique. Ils ont été marqués par une série de réformes constitutionnelles, environ une douzaine, au cours de ces trois mois. Il faut se rappeler que Mme Sheinbaum a été élue avec une forte majorité, soit les deux tiers dans les deux Chambres. C’est en quelque sorte un héritage de la popularité de son prédécesseur appelé familièrement AMLO. À titre personnel elle détient un niveau de popularité qui lui a permis de mettre de l’avant de très importantes réformes constitutionnelles qui vont des droits des autochtones, aux droits au logement et probablement le plus controversé portant sur la sécurité nationale. N’est-ce pas une très importante partie de ces 100 jours ?
Il y a aussi eu le dévoilement du très important plan économique de six ans qui devrait toucher plusieurs éléments de ce qu’on appelle, industrialisation pour substituer aux importations. C’est une sorte de politique qui a existé dans les pays d’Amérique latine durant les années 1950 jusqu’aux années 1970 approximativement et qui a donné une croissance économique significative en développant la production nationale pour remplacer les importations de façon stratégique.
Ceci dit, la violence des cartels continue. C’est clairement un enjeu de long terme. Elle n’a pas diminué d’aucune façon. On voit quelques signes de baisse dans le taux d’homicide mais par ailleurs, il y a des concentrations significatives de la violence, des poches notamment dans l’État de Sinaloa (qui se sont renforcées) au cours des trois derniers mois. La ville de Culiacan a été paralysée par la violence. Donc ça continue et c’est très sérieux.
Finalement, je veux mentionner les relations avec D. Trump qui a menacé (le Mexique) de droits de douane supplémentaires en lien avec le trafic et la production de Fentanyl au Mexique. Ou plutôt, présumément la production de Fentanyl dans le pays et encore la question de savoir comment gérer les expulsions, non seulement celle des citoyens.nes du Mexique mais encore plus difficile celle des non citoyens.nes qui arriveront sur le sol mexicain ; c’est un autre niveau de complications dans les négociations.
Juan Ganzalez (d.n.) : Professeur Ackerman je voulais vous demander si vous pourriez nous en dire plus sur les réformes qui ont été adoptées. (Mme Sheinbaum) profite de 80% d’appuis positifs par le public mexicain. Beaucoup qui n’ont pas voté pour elle la soutienne maintenant. Certaines de ces réformes comme la baisse de l’âge de la retraite pour les femmes de 65 ans à 60 ans. Quel est son argumentation à ce sujet ?
E.A. : D’accord. Il y a eu une série de réformes qui expliquent en partie sa popularité comme vous l’avez mentionné. En particulier celles qui visent les femmes. Elle a expliqué lors de ces conférences matinales que, pour des raisons historiques, ce sont les femmes qui ont toujours absorbé une part très importante des tâches domestiques sans salaire. Comme elle l’a souligné encore une fois, c’était ainsi pour des raisons historiques. Donc, pour elle c’est une raison de baisser leur âge d’accès à la retraite contrairement aux hommes.
J.G. : Et il y a eu des changements majeurs du côté des ressources naturelles du Mexique, par exemple pour ce qui est des bénéfices sociaux que les compagnies pétrolières et autres industries critiques devront appliquer. Pouvez-vous nous parler de cela aussi ?
E.A. : D’accord. Il y a eu d’importants changements dans le secteur de l’énergie ; le gouvernement en veut une part plus importante ou devenir un actionnaire plus important dans les marchés et recentrer son rôle. En examinant la liste des réformes vous voyez que c’est le thème dominant. Par exemple, dans un secteur un peu différent, celui du logement, une importante réforme est maintenant en place qui transforme l’existant fond national de crédit qui est là depuis des décennies, et lui donne maintenant l’obligation de mettre de ces crédits dans la construction de logements abordables. C’est faire de cette institution de fonds une agence active dans la construction avec le but de construire un million de nouveaux logements au cours des six prochaines années. L’État s’introduit directement dans l’enjeu du logement.
A.G. : Mme Sheinbaum est une scientifique du climat et elle est l’ancienne mairesse de Mexico. Pouvez-vous nous parler de ce que représente l’arrivée de D. Trump à la présidence et comment Mme Sheinbaum devrait répondre ? J. Trudeau est allé souper à Mar-a-Lago et il a dû démissionner. (…) Mme Sheinbaum n’a pas fait ça ni rien de semblable (…) même quand la menace d’augmentation des droits de douanes contre son pays (…) est arrivée (…) mais elle accepte le retour des migrants.es citoyens.nes du Mexique expulsés.es par avion.
E.A. : D’accord, c’est exact. Donc, je pense que le gouvernement mexicain a adopté une stratégie basée sur son expérience antérieure durant le premier mandat de D.Trump. Il faut se rappeler que AMLO était au pouvoir une partie du temps. Nous avons quelques archives, une sorte d’histoire de la manière de négocier avec D. Trump. Il semble que le gouvernement ait évalué que la diplomatie, une sorte de pensée diplomatique stratégique, valait mieux que les confrontations publiques pour atteindre des résultats. On a vu plusieurs exemples de ça durant le premier mandat Trump dans ses interactions avec AMLO. Il y a aussi eu des menaces d’augmentation des droits de douanes à cette époque. Plusieurs de ces mesures ont été neutralisées après avoir été brandies. Je pense que Mme Sheinbaum a été capable jusqu’à maintenant d’en faire autant.
Je pense que cela a à voir avec certaines choses. Premièrement, il faut se placer avant les années Trump. Il n’est pas exagéré de dire que, du point de vue mexicain à propos de beaucoup d’enjeux, il n’y a pas de différence entre les administrations démocrates ou républicaines. Si vous pensez à la construction du mur, elle a commencé sous une administration démocrate sous Clinton en 1994 et s’est poursuivie sous Obama. Donc, ce mur n’est pas le propre de D. Trump. Quant aux expulsions de masse, je ne doute pas que votre auditoire est bien au fait que durant les administrations Obama et Biden il y en a eu un nombre significatif encore plus important que durant le premier mandat de D. Trump. Et même les pressions pour que le Mexique prenne des mesures contre l’entrée de migrants.es de l’Amérique centrale aux États-Unis ont été exercées avant que D. Trump ne le fasse. Il y a donc une longue expérience de négociations ou de conversations évidemment très difficiles (entre ces deux pays) dans des conditions complètement inégales.
Ensuite, je veux dire aussi que l’administration mexicaine pense que cette histoire de droits de douanes est un bluff. Pas seulement parce que de telles menaces ont déjà existé sans rien donner de concret mais aussi parce qu’il y a des raisons structurelles pour que cette imposition n’aie pas lieu ; les États-Unis se tireraient dans le pied. Non seulement les prix pratiqués aux États-Unis augmenteraient et seraient refilés aux consommateurs.rices mais plus largement cet usage des droits de douanes est lié à un stade de développement du capitalisme qui n’existe plus. Le point de vue qui guide D. Trump prétend que vous pouvez propulser les capitalistes nationaux alors que nous sommes à l’âge de la globalisation du capital. Par exemple, vous imposez des droits de douane aux importations venant du Mexique, est-ce que l’on sait si ces produits ont été produit avec des capitaux mexicains plutôt qu’américains ou internationaux ? Donc, cela établit des limites à la politique des droits de douane.
J.G. : Professeur, je veux que nous continuions sur ce sujet parce que clairement, puisque le Mexique est le plus important partenaire commercial des États-Unis en ce moment, cette politique serait contreproductive pour le Mexique mais aussi pour de plus petits pays d’Amérique latine.
E.A. : C’est vrai.
J.G. : Je pense aux menaces d’augmentation des droits de douane contre la Colombie et contre le Panama que D. Trump prétend reprendre. Beaucoup ne savent pas que tout cela, mêmes ces menaces proférées sont en violation de la Charte de l’Organisation des États américains que les États-Unis ont contribué à fonder. Son art. 20 stipule : « Aucun État ne peut utiliser ou encourager l’utilisation de mesures coercitives de caractère économique ou politique en vue de contraindre la volonté d’un autre État pour en tirer quelque avantage que ce soit ». Croyez-vous que cette politique du Président Trump va renforcer l’opposition de l’Amérique latine contre les États-Unis ?
E.A. : Je le crois. On soupçonne que cela est en train d’arriver en ce moment. Il y a des discussions, des possibilités de réunions pour rafraîchir certaines tentatives de collaboration qui existaient déjà sous des formes institutionnelles. Cela a été particulièrement en marche durant ce qui a été une première vague dite « vague rose » qui a commencé au début des années 2000 quand une série de gouvernements progressistes sont arrivé au pouvoir sur tout le continent sud-américain. Certains de ces efforts ont ensuite été abandonnés ou mis de côté lorsque les formations de droite ont été élues dans ces pays. Mais une nouvelle vague rose arrive qui est partiellement intéressée et ce avant la prise du pouvoir par D. Trump, à créer des liens plus solides politiquement pour coordonner les réponses et économiquement pour une certaine intégration de leurs économies. On a beaucoup entendu parler de cela au cours des trois derniers mois.
A.G. : Je vous remercie Professeur Ackerman. (…) Dernière heure : La Présidente du Honduras, Mme. Xiomara Castro déclare qu’elle a annulé la réunion de mardi de la CELAC (Communauté des États latinos américains et caraïbéens) pour manque de consensus.
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