Édition du 11 mars 2025

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Environnement

L’érosion accélérée de la Pointe Langevin

Une grosse épine au pied pour Rio Tinto

En 1928, 2 ans après la fermeture des vannes du barrage d’îles Malignes à l’embouchure du Lac St-Jean qui avait élevé le niveau moyen d’une dizaine de pieds, la région connaît un printemps tardif suivi soudainement de chaleurs. Résultat, le Lac monte à un niveau jamais vu de mémoire d’humain.

À la demande de secours du maire de St-Méthode dont le village est entièrement inondé, le représentant d’Alcan répond : « Si voulez des secours, payez-vous en ! ». Pour Alcan, cette catastrophe est un « act of god". Bien sûr, il s’agissait d’un phénomène naturel mais est-ce que ce coup d’eau aurait eu le même effet sur un lac dix pieds plus bas ?

Poser la question, c’est y répondre.Quatre-vingt neuf ans plus tard au printemps 2017, la petite rivière Péribonka connaît une crue exceptionnelle. Depuis plusieurs années, les propriétaires de la Pointe Langevin a son embouchure constatent une érosion accélérée. Deux maisons ont été détruites, c’est bientôt le tour d’une autre et le reste (une vingtaine) voient une après l’autre leur valeur diminuée à 2 000$. Comme en 1928, Rio Tinto utilise le prétexte de « l’act of god" pour se déresponsabiliser de ce qui se passe.

Indépendamment de la crue exceptionnelle, comment ne pas voir que les problèmes à la Pointe Langevin sont directement liés au niveau élevé du lac (environ 10 pieds plus haut qu’avant 1926) ainsi qu’à la gestion du débit de la rivière Péribonka, particulièrement en hiver où il est environ le double d’avant la construction des barrages dans les années 60

Les problèmes autour de la Pointe sont en train de prendre des allures de gouffre sans fond, au sens propre comme au figuré. Au bout de la Pointe, la petite rivière Péribonka et la grande se rencontrent presque de plein fouet ce qui est en train de créer un gouffre au large qui, à terme va gruger l’ensemble de la Pointe. Le problème est même en train de s’étendre au village de Péribonka dont le quai a commencé à s’affaisser ainsi qu’une rue. Devant l’ampleur du problème, Rio Tinto a pris les jambes à son cou. Les autorités politiques quant à elles, regardent leurs souliers lorsque les propriétaires de la Pointe s’adressent à elles. Désespérés, ils en sont même venus à débourser 20 000$ de leurs poches pour financer une étude qui a confirmé leurs pires appréhensions.

L’ensemble du problème est éminemment politique. On a affaire à une multinationale qui jouit de la complicité active des autorités politiques et une population un peu trop habituée à se faire dire n’importe quoi.

Le monde a changé depuis 1926

Si Rio Tinto recycle les mêmes excuses imbuvables d’Alcan il y a cent ans, la conjoncture globale, elle, s’est considérablement transformée :

1- De générateur de richesse, la « puissance régnante » (entendre Alcan puis Rio Tinto) est passée au statut d’accro à l’aide publique. Les chiffres sont implacables : 12 000 emplois dans les années 60 et 2 700 aujourd’hui. Si on cumule l’avantage comparatif lié à la possession de leurs barrages, les exemptions d’impôt et le fait qu’ils sont exemptés d’amendes pour les GES, on arrive à une subvention publique de 1,2 milliard$ par année. Abusant de son pouvoir, Rio Tinto s’est même permis au cours des dernières décennies des congés de cotisation à la caisse de retraite de ses employé(e)s qui ont conduit à un manque à gagner de 2 milliards$ pour cette caisse. Aujourd’hui, les retraité(e)s syndiqué(e)s (plus de deux fois plus nombreux que les actifs) évaluent à plus de 30% leur perte de pouvoir d’achat. Plus pingre que jamais, Rio Tinto refuse de leur garantir le maintien de leur pouvoir d’achat… Accro à l’argent facile vous dites ? Rio Tinto a réalisé des profits de 11,8 milliards$ en 2023.

2- En 1926, lorsque le barrage d’îles Malignes a été inauguré, il y avait une certaine logique à utiliser le lac comme réservoir compte tenu du fait que l’électricité produite visait à alimenter des cuves d’électrolyse d’aluminium fonctionnant 24 heures sur 24 et ne souffrant aucun arrêt d’alimentation électrique. Aujourd’hui, avec 2 autres barrages sur le Saguenay et trois sur la rivière Péribonka, il n’y plus aucune raison de garder le lac à un tel niveau. Surtout que, contrairement à 1926, il ne manque pas d’alimentation électrique au Québec pouvant suppléer à un manque temporaire de production, ce qui n’était pas le cas en 1926. Et puis, comme rien ne se perd et rien ne se crée, un lac dix pieds plus bas fournira la même quantité d’eau au Saguenay.

3- C’est peu dire que le monde d’aujourd’hui est radicalement différent de celui d’autrefois. Au début du siècle passé, nous étions au début du développement industriel au Québec. Les gens voyaient la nature comme une ressource à exploiter sans limite. Au cours des dernières décennies, nous avons tou(te)s collectivement pris conscience que tout cela n’était qu’illusion et que nous devons radicalement changer notre façon de voir la nature. Plutôt que d’être une ressource qu’on exploite à l’infini, elle doit au contraire devenir une alliée qu’on respecte et conserve jalousement. Dans une telle optique, quel est le sens de maintenir un lac, de surcroît densément habité sur l’ensemble de ses rives, environ dix pieds plus haut que son niveau naturel alors que ses rives d’origine sont le résultat stable d’environ 10 000 ans d’histoire ? Là aussi, poser la question, c’est y répondre !
L’érosion accélérée de la Pointe Langevin est peut-être en train de devenir le Waterloo de Rio Tinto. Sa position est intenable parce que tout le monde sait que cette érosion est principalement liée au niveau élevé du lac et au débit élevé de la rivière Péribonka en hiver.

La base du problème est là. En se déresponsabilisant, Rio Tinto dit à la population de s’arranger avec le problème. Dans un certain sens, Rio Tinto a raison dans la mesure où la population était là avant Alcan et sera là après Rio Tinto. La souveraineté appartient au peuple ! À la population du Saguenay Lac Saint-Jean d’en tirer la conclusion en se prenant en main et en exerçant sa souveraineté.

Germain Dallaire, Climat Québec
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