Commençons par le début : le métro de Londres décide de changer l’expression « ladies and gentlemen » par « everyone ». Bonne idée ! Après tout, les personnes non-binaires existent et le monde assume de plus en plus son identité de genre. Nouveauté ? Pas vraiment : les genres autres qu’hommes et femmes ont une longue histoire en culture euro-américaine, et que dire des innombrables cultures qui, avant l’imposition des normes de genre du colonisateur européen, reconnaissaient plusieurs autres genres et continuent à le faire aujourd’hui ?
Et après, « ladies » et « gentlemen » sont aussi des titres ayant une longue histoire bourgeoise et aristocrate dont on peut vouloir se détacher. Ces mots, dames et gentilhommes, ne font que me rappeler les manuels de manières régressifs qui voient la femme comme une personne soumise et le gentilhomme comme le pourvoyeur de la famille. En 2017 ? Vraiment ?
Pour Laporte, toutefois, respecter les personnes non-binaires est ridicule. On le lit quand il dit : « Quel est ton sexe ? Genou. » Déjà, on ne peut pas avoir un genou dans nos culottes. De plus, la question contredit l’affirmation précédente que le genre n’est pas défini par ce qu’on a dans nos culottes. Si nous ne le sommes pas, alors avoir un genou dans nos culottes ne dirait rien sur notre genre.
Non, genou n’est pas un genre. L’identité de genre demeure une identité de genre. Si celle-ci peut être symbolisée par le non-genré : l’abime, l’espace, etc. Sur ma page Facebook, je me décris comme « métaphoriquement une sorcière cyborg avec des fleurs dans les cheveux. » Est-ce que je suis vraiment cela ? Non, évidemment. Je ne fais qu’essayer d’exprimer poétiquement comment je me sens. Est-ce que certaines personnes se considèrent comme genou ? Probablement pas, car je vois peu la portée métaphorique d’un genou. Reste que personne ne croit être un genou. Un genou, ce n’est pas un genre. C’est un genou.
Mais revenons au problème central de la langue. En effet, c’est facile d’éviter un langage genré en anglais : les mots en anglais n’ont pas de genre grammatical, alors éviter des mots comme « homme » et « femme » suffit. En français, c’est plus compliqué.
Plus compliqué, je l’admets, mais Laporte dérape totalement à partir de ce point du texte. Le fait que les mots aient un genre grammatical n’est pas un grand problème en soi, contrairement à ce que Laporte nous suggère. Je ne connais aucune personne non-binaire qui serait insultée par le genre féminin du mot poutine. Une poutine, ça reste une poutine.
Si Stéphane savait de quoi il parlait, il n’aurait pas fait l’erreur de soulever le fait qu’on pourrait s’offusquer du genre grammatical de l’expression « le monde ». En effet, le recours aux mots comme « le monde » et « la personne » est une stratégie commune de français non-genré dans les communautés non-binaires. On veut éviter de dire « Florence est belle », ne sachant pas que j’utilise des accords féminins en français ? Alors on peut dire « Florence, c’est une belle personne ».
La mouvance du français neutre, c’est le français neutre pour les personnes. Si les accords genrés pour les objets et groupes sont peut-être agaçants, ce n’est pas un point central de la lutte pour le français neutre. On ne manque pas de respect à la poutine en disant « la » poutine. Mais on peut manquer de respect à une personne en la genrant incorrectement.
Le français peut rester poétique, monsieur Laporte. Ne crions pas au loup. Et je suis d’accord sur un point : ce qui compte le plus, ce sont les actions. Nous appeler comme nous le voulons, c’en est une belle. Respecter les gens, c’est une action, et ça commence par ne plus dire « ladies and gentlemen ». »
Au plaisir,
Florence Ashley, B.C.L., LL.B., LL.M. Candidate, O’Brien Fellowship, McGill University, Faculty of Law
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