Tiré de Europe Solidaire Sans Frontières
29 juin 2024
Par David Perrotin
La dissolution a bousculé tous les calendriers. Elle a aussi inscrit la marche des fiertés parisiennes dans un moment particulier : à la veille d’une élection législatives et d’une possible victoire du Rassemblement national (RN).
Ce samedi, des milliers de personnes ont défilé de la Porte de la Villette (XIXe arrondissement) à République (XIe) pour célébrer les identités des personnes LGBTQIA+ et pour insister sur la nécessité de lutter contre toutes les oppressions transphobes. « Contre la transphobie : transsolidarités » était le mot d’ordre choisi par l’Inter-LGBT cette année.
Avant que la marche ne s’élance, vers 13 heures dans le XIXe arrondissement de Paris, l’irruption d’un collectif d’extrême droite surprend et vient rappeler l’enjeu du moment. Un ancien membre de Reconquête, la militante d’extrême droite Mila et un petit groupe font face aux nombreux drapeaux arc-en-ciel pour venir dénoncer les supposées « dérives des LGBT » et « préserver leur civilisation ». Leur coup d’éclat ne dure pas plus de dix minutes. Les militants sont immédiatement repoussés, Mila est enfarinée avant que la police ne les raccompagne et que la marche ne débute.
Comme chaque année, les manifestant·es chantent et dansent au rythme de la musique crachée par les enceintes des chars de différentes associations. « Demain, n’oubliez pas d’aller voter », scande cette fois-ci régulièrement une drag-queen. De nombreuses pancartes sont aussi brandies pour dénoncer « le danger du RN » et la persistance des LGBTphobies. « Sous les paillettes, la rage », « Souriez, vous êtes du bon côté de l’histoire », « Plus d’amour, moins de Zemmour », « Plus de lesbiennes, moins de RN », « Sauve un pédé, va voter », lit-on notamment.
« C’est le 55e anniversaire des émeutes de Stonewall », rappelle Sébastien Tuller, responsable LGBT+ chez Amnesty. Ce sont ces premières manifestations américaines contre des raids de la police et ces premières luttes qui ont donné naissance à toutes les prides. Il salue « le nombre incalculable de victoires » acquises depuis, mais regrette aussi tous les virages récents. « On assiste au recul des droits des femmes, des personnes trans, de toutes les minorités, partout dans le monde. » Et en France ? « Si le Rassemblement national remporte une majorité à l’Assemblée, on sait ce que cela peut donner. Il n’y a qu’à regarder les pays dans lesquels l’extrême droite s’est attaquée à l’État de droit. Il y a toujours un effet disproportionné sur les droits des LGBT. »
« C’est un parti qui a la haine de l’égalité. Ce sont des gens qui ne nous accepteront jamais, poursuit l’avocate engagée Caroline Mécary. Et l’histoire a montré qu’une fois aux manettes, ils sont aussi difficiles à déloger. Pire que des punaises de lit. » Sarah, 23 ans, étudiante antillaise, partage cet avis. Elle juge « nécessaire » de venir marcher « aujourd’hui » avant « d’aller voter demain », mais s’interroge. « Je vis déjà du racisme ou de l’homophobie au quotidien, je suis habituée, mais si l’extrême droite prend le pouvoir, tout ça sera banalisé. Et qu’est-ce que je pourrai faire ?, lâche-t-elle, inquiète. Peut-être partir d’ici. »
Colette n’a que 16 ans mais veut rappeler que le RN a une histoire et brandit bien haut une pancarte. Dessus, la tête de Jean-Marie Le Pen posée sur une dinde et l’une de ses nombreuses citations homophobes : « Les homosexuels, c’est comme le sel dans la soupe : s’il y en a pas du tout, c’est un peu fade, s’il y en a trop, c’est imbuvable. » Elle veut aussi montrer « la folie que c’est, de croire que le parti de Marine Le Pen défend les LGBT+ ».
L’asso Aides n’a pas non plus oublié toute la sérophobie du FN. Ce parti qui n’a cessé de dénigrer les gens atteints de VIH, que Jean-Marie Le Pen qualifiait de « lépreux » et voulait voir dans des « Sidatorium ». « Le RN au pouvoir serait une catastrophe pour la santé, pour les personnes nées à l’étranger qui vivent avec le VIH et pour toutes les politiques de réduction des risques », estime Margault, 30 ans et volontaire au sein de l’association. « Une politique de santé publique se fait avec toutes les populations », rappelle-t-elle, alors que Jordan Bardella prévoit de supprimer l’aide médicale d’État.
Un « sursaut » depuis trois semaines
Sur tout le parcours, quelques politiques défilent aussi : Olivier Faure du Parti socialiste (PS), Jean-Luc Mélenchon de La France insoumise (LFI), Sandrine Rousseau des Écologistes, Ian Brossat du Parti communiste (PC)... « Toutes les marches sont importantes, mais celle-ci l’est peut-être plus que toutes les autres, juge le sénateur PC. On a une épée de Damoclès sur la tête et les agressions LGBTphobes récentes montrent que l’extrême droite reste ce qu’elle a toujours été : une organisation toujours à l’avant-poste pour agresser les minorités. »
D’où « l’importance de rester mobilisés », renchérit Stéphane Corbin, porte-parole de la fédération LGBT+. « On défile aussi pour inciter tous les abstentionnistes à aller voter, explique-t-il. De leur vote dépend notre vie. »
Ce n’est pas 2002, mais quelque chose est en train de se produire.
Elyes, 38 ans
Les agressions LGBTphobes et les discours de haine ont en effet été nombreux cette année 2024, et les statistiques sont toujours aussi alarmantes. Et depuis la victoire du Rassemblement national aux européennes, rien ne s’améliore. Depuis le 9 juin, desgroupuscules d’extrême droite s’en sont pris à des personnes trans et à un jeune homme, des militairesont agressé des personnes gays à Paris et des policiers ont tenudes propos homophobes tout en revendiquant leur sympathie pour le RN.
Il y a quelques mois seulement, la droite et l’extrême droite tentaient de faire voter une loi au Sénat pour faire sérieusement reculer le droit des personnes trans et interdire toute transition aux mineur·es. Le gouvernement s’y était opposé à la toute dernière minute et beaucoup pensaient la tentative avortée. « Si la gauche perd l’élection, c’est l’une des premières lois qu’ils feront passer. Les personnes trans, avec les étrangers, seront les premières personnes ciblées », lâche Juliette, 23 ans.
Mimosa, 35 ans, du collectif Les Inverti·e·s, estime qu’il est urgent de « construire une riposte unitaire antifasciste » et voit dans cette marche « la première étape de cette reconstruction ». « On a vu une mobilisation très importante ces trois dernières semaines. Des dizaines et des dizaines de personnes ont rejoint notre collectif et beaucoup d’autres se sont investies »,explique la militante, pour qui le temps est venu de « regagner le terrain de la rue qu’on a perdu ».
« Je n’ai jamais vu autant de jeunes militant descendre dans la rue, tracter, manifester pour la première fois », confirme Elyes, 38 ans. « Ce n’est pas 2002, mais quelque chose est en train de se produire, veut-il croire. Reste à savoir si tout ça sera suffisant pour battre l’extrême droite. »
David Perrotin
P.-S.
• MEDIAPART. 29 juin 2024 à 20h36 :
https://www.mediapart.fr/journal/france/290624/paris-une-marche-des-fiertes-festive-mais-qui-rappelle-le-danger-du-rn
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• Les article de David Perrotin sur Mediapart :
https://www.mediapart.fr/biographie/david-perrotin-0
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