Tiré du site d’Alternatives.
Il a été financé par pas moins de 3 800 Colombiens « ordinaires », avec une forme de socio-financement haut de gamme. Mais depuis, rien ne va plus pour ce fier projet de 405 appartements, 117 bureaux, 32 magasins et un hôtel de 364 chambres. Le mode de financement, considéré comme unique au monde, a viré en désastre. Le promoteur a fait faillite et l’édifice, inachevé pour on ne sait combien de temps encore, fait planer son ombre triste et obèse sur la ville.
Si on veut vraiment bâtir un de ces projets pharaoniques et en mettre plein les yeux, mieux vaut adopter la combinaison idéale : avoir des promoteurs riches à craquer et bâtir dans un régime autoritaire qui peut aplanir tous les obstacles.
Ce qui a été le cas avec le Burj Khalifa à Dubaï qui écrase toute concurrence, avec ses 163 étages et ses 828 mètres de haut. Cet édifice dépasse de plus de 300 mètres le deuxième plus haut gratte-ciel au monde. On aurait alors pu penser qu’il mettrait le point final à cette ambition folle de toujours voir plus haut.
Il fallait cependant compter sur l’orgueil humain pour bâtir encore mieux. L’Arabie saoudite est en train d’ériger la Jeddah Tower, qui sera d’un kilomètre de haut, avec deux cents étages. Faudra-t-il attendre que tout s’écroule un jour pour arrêter cette course ?
Au Québec, nous avons les ambitions beaucoup plus modestes. Mais des promoteurs ont tout de même dans leurs cartons trois gros projets qu’ils cherchent à imposer aux Québécois, qui ne leur ont pourtant rien demandé. Des projets inutiles, mégalomanes, nuisibles et encombrants, si je puis me permettre.
Le Phare à Québec sera une tour de 65 étages — dans une zone où la hauteur des constructions est limitée à 28 étages — avec « avec bureaux, condos, appartements, résidence pour aîné·es, commerces, restaurants, hôtel, garderie », nous disent les promoteurs. Et qui fera l’effet d’une tour Montparnasse dans le superbe paysage de Québec, un monstre banal de métal et de verre, hérissé dans la plaine et qu’on ne parviendra pas à éviter du regard.
À Montréal, le Royalmount prévoit 6 tours de bureaux, des commerces, des restaurants, 5 hôtels, 2 salles de spectacle, 1 cinéma, un parc aquatique, un aquarium… et 8000 places de stationnement. Il cannibalisera les autres lieux qui offrent de semblables services. Il attirera le public par son effet de mode, rendant obsolètes les modèles moins performants de centres commerciaux. Ainsi, le centre commercial lui-même entre dans le jeu de la pure consommation : il faut du nouveau, de l’inédit, comme on achète le dernier gadget électronique en vogue. Mais cette logique se révèle désastreuse et profondément inadaptée à l’ère des dérèglements climatiques.
Maestria, au centre-ville de Montréal, se limite à offrir des condos, mais pas n’importe lesquels. Ils se situeront dans deux très hautes tours, dont l’une de 58 étages, sera la plus haute en ville. Il s’agit d’appartements de grand luxe, avec gigantesque salle d’entraînement, piscines extérieure et intérieure, circuit thermal de bain et spa, golf virtuel, et surtout, sans la gênante fréquentation de logements sociaux.
On peut se demander ce qui motive les promoteurs qui ont de telles ambitions : la folie des grandeurs, la cupidité ? Chose certaine, ces projets vont à l’encontre de tout ce qu’il faut pour la ville du XXIe siècle : des quartiers verts et chaleureux, à échelle humaine, favorisant les déplacements en transports actifs, avec de la diversité, des commerces de proximité, des écoles, des parcs.
Fort heureusement, le Québec n’est ni la Colombie, ni une monarchie pétrolière (bien que nous n’ayons peu de leçons à donner). Et chacun de ces projets fait face à une forte opposition, essentielle à soutenir. Mais ils profitent hélas de puissantes pressions pour qu’ils aboutissent. Il se joue ainsi une véritable bataille du développement. Le pire serait de subir ces trois gigantesques erreurs.
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