Quoi ? Nous abandonnons nos ressources pétrolières et gazières à des capitaux étrangers ? Et qu’en retirons-nous en retour ? Des miettes. Nous prenons conscience qu’il en est ainsi pour toutes nos autres ressources naturelles. Non seulement nous les donnons, mais nous payons nos prédateurs pour qu’ils nous les prennent. C’est ce que vient de nous rappeler l’économiste réputé, Yvan Allaire, président de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques : « En 2008, les incitations de toute nature consenties à l’industrie minière ont coûté [au gouvernement] 43 millions de dollars de plus que les droits miniers perçus ». [1]Incroyable mais vrai : de 2002 à 2008, la moyenne annuelle de ce scandaleux déficit s’élève à 61,5 millions de dollars.
Historiquement, nos dirigeants, par insouciance, incompétence ou connivence, ont toujours trouvé plus commode d’abandonner l’exploitation de nos biens collectifs à des intérêts privés, plutôt que d’en faire profiter la nation entière. Non seulement ils sont d’accord avec cette dépossession, mais ils l’encouragent. Ils la justifient par un discours d’impuissance : nous n’avons pas l’expertise, nous n’avons pas les moyens... Pour légitimer cet incompréhensible laisser-faire, ils ne craignent pas le ridicule. La ministre des Richesses naturelles et de la Faune a osé évoquer, fin novembre 2010, le « Maîtres chez nous » de son prédécesseur aux Richesses naturelles, René Lévesque, pour défendre l’indéfendable politique de son gouvernement sur la question du gaz de schiste. Une chance que le ridicule ne tue pas, dit l’adage, car l’Association gazière et pétrolière du Québec aurait perdu une de ses plus zélées partisanes.
« Des cocus contents »
C’est ainsi que peu à peu, la population prend conscience d’une incroyable injustice : l’abandon à des intérêts privés, le plus souvent étrangers, non seulement de la ressource gazière récemment découverte, mais de l’ensemble de nos ressources naturelles. Une réalité que nous avons longtemps, hélas, acceptée comme normale. Commentant la vente du minerai fer de l’Ungava par Duplessis à « une cenne la tonne », René Lévesque remarque, dans ses mémoires, que c’était mieux que rien, « pour ce peuple et cet État habitués à se laisser déposséder comme des cocus contents ».
Nous étions, en effet, et demeurons habitués à ce que nos dirigeants politiques abdiquent leur responsabilité de fiduciaires de nos ressources collectives et les livrent à des intérêts privés, le plus souvent étrangers, pour un plat de lentilles. Nous nous sommes habitués à nous contenter de ces lentilles. Les lentilles, ce sont les jobs que nous quêtons, reconnaissants, à nos exploitants en retour d’un salaire aléatoire : le salaire des porteurs d’eau et des scieurs de bois.
Un sursaut de dignité
Un premier sursaut de dignité est survenu en 1944, quand Adélard Godbout, a osé nationaliser une de ces nombreuses compagnies qui s’enrichissaient au détriment du développement économique du Québec : la Montreal Light Heat & Power. Puis vint René Lévesque. En 1962, devenu ministre du nouveau ministère des Richesses naturelles, il a eu le courage politique de proposer la nationalisation de tout le secteur de l’hydroélectricité. Le réveil du « Maîtres chez nous », c’est lui. Un mot d’ordre répercuté par la voix puissante de l’homme d’État qu’a été Jean Lesage. Le peuple informé et consulté dans une élection référendaire a dit oui à la réappropriation de cette ressource. La suite est une merveilleuse histoire de réussite et de fierté nationales.
Pourquoi ne pourrions-nous pas faire de même aujourd’hui avec nos autres ressources collectives ? Pour la forêt publique et les mines, il s’agit d’une vieille et honteuse tradition d’abandon qui continue. Mais pour l’éolien, c’est nouveau et d’autant plus absurde qu’il y a l’antécédent de l’hydroélectricité. Or, quand l’exploitation de la ressource éolienne s’est avérée incontournable, qu’a fait le gouvernement Charest ? Au lieu d’en confier l’exploitation à Hydro-Québec pour l’enrichissement de la collectivité, il a plutôt demandé à notre société d’État elle-même - comble de dérision ! - d’en livrer la majeure partie à des capitaux privés par un appel d’offre international.
Indignons-nous !
Il faut saluer les organisateurs du mouvement « Maîtres chez nous 21e siècle » qui ont pris l’initiative de proposer la réappropriation par l’État québécois de tout le secteur énergétique. À son initiative, 70 personnalités ont signé le 3 mars dernier une Déclaration solennelle exigeant du gouvernement du Québec qu’il « reprenne immédiatement possession de ces droits d’exploration et d’exploitation de NOS ressources énergétiques qui constituent NOTRE BIEN COMMUN ».
Quelque chose bouge dans la société civile. De multiples organisations prennent forme pour revendiquer une chose toute simple : que l’on arrête de nous déposséder. Après Eau secours ! et l’Action boréale Abitibi-Témiscamingue, Fondation Rivières, on a vu naître la Coalition pour que le Québec ait meilleur mine et, plus récemment, les diverses mobilisations citoyennes contre le gaz de schiste.
Quel parti aura le courage politique, l’intelligence économique et l’audace sociale de canaliser cette indignation populaire, encore dispersée mais profonde, en inscrivant au coeur de sa plate-forme électorale la réappropriation de nos ressources naturelles collectives. Déjà Québec solidaire a ouvert la voie en proposant la création d’une société d’État appelée Éole Québec.
La résurgence du "Maîtres chez nous" n’est pas, comme l’insinuent certains commentateurs, une nostalgie dépassée et déplacée. C’est plutôt, en ces temps où les ressources se font rares, une vision d’avenir, une prise en main de notre destinée, une garantie de dignité à laquelle aspire tous les peuples libres.
Jacques B. Gélinas,
Le 7 mars 2011