Édition du 29 octobre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec : pour une république libre, sociale et démocratique

Près d’un millier de personnes dans les rues de Québec qui scandent "A bas la monarchie, vive la démocratie !’ "Pour un Québec libre ! " "Pour la république !". Ces slogans correspondent-ils à des revendications essentielles ?

Ne sont-ce là que les reflets de luttes symboliques, décalées et d’une importance tout à fait secondaire ? Ces indépendantistes se contentent-ils de reprendre une rhétorique désuète sous le coup des outrances provocatrices de fédéralistes en mal de symboles monarchiques d’avant-hier ? Nous n’en croyons rien. Ces slogans reflètent des aspirations démocratiques élémentaires que l’on ne pourra pas ignorer.

Quel discours nous tiennent les institutions de la monarchie constitutionnelle canadienne ?

Penser qu’il suffirait pour en finir avec les institutions britanniques de proclamer qu’un monarque étranger ne peut être le chef de l’État canadien, de faire disparaître les fonctions de gouverneur général et de lieutenant-gouverneur et d’effacer les figures royales sur la monnaie canadienne laisse échapper l’essentiel. La monarchie constitutionnelle mise en place par l’Acte de l’Amérique du Nord Britannique et reprise à son compte par la constitution de 1982, organise, distribue et structure les pouvoirs politiques au Canada. Cette constitution affirme clairement et ouvertement qui est le souverain. Et ce dernier n’est pas le peuple. Cette constitution confie à des exécutifs d’immenses pouvoirs. Le premier ministre du pays a le pouvoir de convoquer et de dissoudre le parlement, de décider de la date des élections, de décider de la composition du conseil des ministres, de nommer les juges, de nommer les membres du Sénat parmi les ami-e-s du parti au pouvoir, de nommer les responsables à une grande variété de sociétés d’État. Les premiers ministres des provinces ont des pouvoirs analogues par rapport aux parlements provinciaux et par rapport à l’appareil judiciaire d’une province. Au Canada, les premiers ministres ont les pouvoirs de véritables monarques élus. D’ailleurs, cette concentration des pouvoirs dans les mains des premiers ministres s’est encore accentuée durant les dernières années où nous avons assisté au développement très important du bureau du premier ministre.

La monarchie constitutionnelle, c’est l’affirmation ouverte que l’État canadien, contrairement à une république, ne reconnaît pas la souveraineté du peuple. Le peuple n’est pas un souverain, il est le sujet de Sa Majesté. C’est pourquoi aucune constitution ou réforme constitutionnelle n’a été sanctionnée par un vote populaire dans l’État canadien. C’est pourquoi ce n’est pas une constituante élue qui a le pouvoir d’élaborer et de modifier la constitution canadienne, mais bien les premiers ministres du Canada qui font ce travail au cours de négociations plus ou moins secrètes. C’est pourquoi la constitution canadienne ne reconnaît pas les référendums comme des actes constituants, mais bien comme de simples consultations, la décision finale revenant au parlement et même au cabinet.

La monarchie constitutionnelle est en ce sens tout le contraire d’une République démocratique où les constitutions sont écrites et communiquées aux citoyens et citoyennes. Dans la tradition britannique, la constitution est un ramassis de lois, de coutumes qui dans son fond comme dans sa forme n’est pas faite pour être communiquée au peuple citoyen.

Le système électoral uninominal à un tour ne reconnaît pas la réalité des votes exprimés et conduit à des distorsions très importantes. Les partis majoritaires sont souvent surreprésentés et il arrive même que des partis obtiennent une majorité de la députation sans obtenir une majorité des voies.

Les institutions de la monarchie constitutionnelle canadienne concentrent le pouvoir au niveau fédéral. Elle nous dit : « Le gouvernement fédéral est la source du pouvoir réel au Canada ». Cet État n’est pas une confédération d’États. Ottawa concentre toute une série de pouvoirs qui font du gouvernement fédéral un gouvernement supérieur et des gouvernements provinciaux des gouvernements de rang inférieur. Ottawa dispose du pouvoir résiduaire. Les compétences non prévues par la constitution lui reviennent de facto. Il a la pouvoir de dépenser dans les secteurs qu’il veut bien occuper. Il a même un pouvoir de désaveu des lois des provinces. Et ses tribunaux formés par l’exécutif peuvent invalider des lois adoptées par l’Assemblée nationale du Québec. Le sort de la loi 101 est exemplaire à cet égard.

Une rupture avec ce système institutionnel est nécessaire pour établir une démocratie véritable

Les souverainistes péquistes n’ont pas posé de façon sérieuse et systématique la question de la nécessité de remettre en cause le système institutionnel hérité de la monarchie. Ils n’ont pas développé l’idée de la république démocratique et sociale. Ils se sont souvent contentés d’inscrire leur volonté souverainiste dans le cadre des institutions britanniques.

Mais à l’heure de la mondialisation où la défense de la souveraineté populaire s’impose pour contrer la domination des dirigeants de la finance mondialisée qui veulent imposer leurs volontés au peuple, il est plus nécessaire que jamais d’éclairer les voies de la défense et de l’extension de la souveraineté populaire.

La concentration du pouvoir dans les mains des exécutifs gouvernementaux assurés par les institutions actuelles du pays (ou ailleurs par des institutions républicaines perverties par le développement d’un présidentialisme sans frein) permet de faire des premiers ministres de véritables créatures bonapartistes capables d’imposer leur volonté à la majorité populaire. Ainsi, Harper, avec une minorité des voies appliquent des politiques conservatrices, antiécologistes, antiféministes et antisyndicales sous la protection d’une constitution qui est en soi une négation de la souveraineté populaire. N’est-ce pas le même jeu que mène Jean Charest au Québec, qui peut faire fi de la volonté populaire largement exprimée de tenir une enquête publique contre la corruption tout en étant dans son droit tel que le définissent ces institutions tordues dont il se réclame.

C’est cette même constitution fédérale, antidémocratique et antiquébécoise - qui s’applique d’ailleurs malgré son rejet par tout le Québec, qui permet aux médias d’être sous le contrôle de l’oligarchie financière et de refuser de donner une information sérieuse et pluraliste à l’ensemble des citoyennes et citoyens du Québec. La population est bombardée par des sondages et autres enquêtes d’opinion qui ont pour beaucoup des fins manipulatoires.

Les droits démocratiques des individus et des organisations syndicales et populaires sont attaqués. Le droit d’association est semé d’obstacles. Les droits de négociation et de grève sont niés de plus en plus fréquemment.

La démocratie dans laquelle nous vivons est en crise. Les citoyennes et les citoyens ne se reconnaissent plus des institutions politiques devenues illégitimes. C’est pourquoi l’abstention électorale se développe et la participation citoyenne se réduit à la portion congrue.

La lutte pour l’indépendance, contre la monarchie constitutionnelle canadienne peut créer les conditions d’un nouvel essor démocratique

Dire non à la monarchie constitutionnelle canadienne, dire oui à une république libre, démocratique et sociale, c’est poser la nécessité de redéfinir de fond en comble les institutions politiques qui nous oppriment et qui bâillonnent l’expression de la souveraineté populaire.

Nous pouvons d’emblée tracer à grands traits des nécessaires réformes que nous devons soumettre à de larges débats :
 reconnaître les droits et libertés individuels et collectifs y compris les droits sociaux (emploi, santé, logement)
 assurer la séparation des pouvoirs dans le sens d’une primauté du législatif sur le pouvoir exécutif
 assurer la primauté de l’Assemblée nationale et rejeter la concentration des pouvoirs dans les mains d’un-e premier ministre ou d’un président-e
 mettre en place un mode de scrutin proportionnel
 assurer l’égalité de genre à tous les niveaux dans les différentes institutions
 assurer l’indépendance des médias des pouvoirs de l’argent afin de permettre une d’information libre et pluraliste
 élargir la participation citoyenne par une formation favorisant l’investissement citoyen et celle des organisations sociales
 élargir l’accès aux postes de responsabilité et le changement continu à ce niveau par l’interdiction du cumul de mandat et en limitant leur renouvellement
 développer les possibilités d’initiatives citoyennes au niveau des pétitions, des référendums et même de lois d’initiative citoyenne.
 se tourner vers la démocratie de la vie économique et financière en faisant entrer la démocratie dans les entreprises afin que la participation des travailleuses, des travailleurs et des collectivités locales permette d’opérer une rupture avec la logique du libéralisme et du productivisme....
 en finir avec la centralisation bureaucratique et permettre une régionalisation démocratique des pouvoirs

Et ce ne sont là que quelques pistes parmi toutes celles qui devront être abordées...

Comment opérer cette rupture ?

On pourra amorcer cette rupture en élisant une assemblée constituante qui pourra poser les bases d’une république du Québec indépendante, démocratique et sociale. Cette constituante aura pour mandat de rédiger une nouvelle constitution tout en s’inscrivant dans un vaste débat citoyen fait d’assemblées populaires, d’États généraux et de forums citoyens afin de définir le pays de projets d’un Québec indépendant dans une constitution qui sera soumise à un référendum. Il faudra également donner un rôle stratégique aux mouvements sociaux afin de pouvoir affronter les intérêts matériels des élites économiques et financières s’opposant à la souveraineté populaire.

"À bas la monarchie, pour un Québec libre", les manifestantes et manifestants à Québec le 3 juillet dernier contre la visite royale, se posaient des perspectives essentielles pour tous ceux et celles qui visent des transformations sociales nécessaires à un Québec plus démocratique, plus solidaire et plus humain. Il s’agit, ensemble, de concrétiser ces perspectives.

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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