Le parti possède pourtant certains atouts : une délégation parlementaire de dix députés qui accomplissent un travail vraiment "professionnel", deux porte-paroles respectés, Gabriel Nadeau-Dubois et Manon Massé, enfin une certaine crédibilité au sein de l’électorat. Quand on mesure le chemin parcouru depuis 2006 (date de sa fondation) et les scrutins initiaux auxquels il a participé (ou il n’a recueilli qu’une infime fraction du vote), le progrès est notable.
Mais l’essentiel reste à faire. Québec solidaire se trouve présentement cantonné dans le rôle d’opposition de gauche que plusieurs électeurs et électrices jugent sympathique, mais peu d’entre eux le considèrent comme une formation à vocation de pouvoir. On juge (à tort ou à raison) son programme trop contestataire pour bénéficier d’une véritable crédibilité. Les gens voient Québec solidaire comme le défenseur attitré des laissés-pour-compte et le critique des excès du capitalisme mais en général pas comme une solution de rechange au gouvernement actuel. Cette façon de voir limite la progression de ses appuis au sein de l’électorat.
Il s’agit du problème classique de tout parti de gauche qui accepte le pari de l’électoralisme : il se dote d’un programme très à gauche et d’une plate-forme électorale qui en reprend certains éléments.
Toutefois, si le parti veut vraiment progresser et un jour (du moins pour ses éléments les plus ambitieux) former le gouvernement, il se heurte à un dilemme : la seule manière d’y arriver consiste à diluer dans une certaine mesure (qui demeure à calculer) programme et plate-forme, ce qui déplaît aux membres les plus à gauche ; ou alors, il adopte une certaine intransigeance mais se condamne par le fait même à une perpétuelle opposition, ce qui finit par démoraliser beaucoup de partisans qui désertent le bateau.
Il y a donc un équilibre délicat à tracer entre la fidélité à l’esprit du programme et sa nécessaire adaptation aux réalités électorales.
Vouloir rejoindre des segments plus conservateurs de l’électorat, indispensables pour la conquête du pouvoir implique par définition une bonne dose de pragmatisme. Il faut alors laisser tomber au moins certaines des propositions du programme, les plus radicales, ce qui entraîne des tensions graves au sein du parti entre l’aile gauche d’une part, le centre et la direction d’autre part. Ces tensions sont susceptibles de paralyser et même de faire régresser le parti.
Québec solidaire patauge en ce moment dans une zone du vote qui oscille entre 10% et 16% Il est encore loin du 30%, seuil à partir de laquelle une formation entre dans les "ligues majeures" et peut prétendre à s’approcher du pouvoir. Le régime électoral de type britannique qui est le nôtre favorise souvent un bipartisme rigide au détriment du multipartisme.
Sans opérer de parallèle trop étroit entre les deux situations, examinons le cheminement électoral du Parti québécois de 1970 à 1976 : la première fois qu’il se frotte à l’électorat en 1970, le parti de René Lévesque recueille 23% du vote mais ne fait élire que sept députés ; en 1973, il grimpe à 31% du vote mais perd un député, ce qui a désenchanté et même enragé beaucoup de militants indépendantistes. En novembre 1976, le PQ monte à 41% du vote et fait entrer à l’Assemblée nationale 71 députés. Il a suffi d’une assez modeste augmentation du vote pour transformer un petit nombre de six députés péquistes en grande majorité parlementaire.
Il semble que le seuil à partir duquel un parti peut remporter la majorité des sièges à l’Assemblée nationale est d’environ 35% des électeurs et électrices inscrits. Québec solidaire en est encore très loin.
Ce qui a permis la victoire péquiste est l’ajout au programme (en 1974) de la promesse d’un référendum sur la souveraineté, ce qui n’a pas été sans provoquer bien des remous au sein du parti. René Lévesque et sa garde rapprochée ont détaché l’éventuelle arrivée au pouvoir du Parti québécois de l’accession automatique du Québec à l’indépendance, ce qu’on appelé "l’étapisme". Désormais, l’électorat pouvait opter pour le PQ sans s’engager pour autant en faveur de l’indépendance : un référendum se tiendrait là-dessus plus tard (il a eu lien en mai 1980).
En transposant (avec toutes les nuances requises, bien sûr), Québec solidaire se trouve peut-être à la croisée des chemins. Mais René Lévesque était un chef charismatique, entouré de gens éminemment ministrables ; il a su faire prévaloir non sans peine son point de vue au sujet de l’introduction du référendum, en dépit d’une forte opposition au sein du parti.
Peut-on qualifier de charismatiques Gabriel Nadeau-Dubois et Manon Massé, en dépit de leurs indéniables qualités personnelles ? C’est douteux. On ne note non plus dans leur entourage aucun militant vraiment ministrable, en dépit là encore de leurs qualités. En regardant aller QS, on en retire l’impression que sa direction est plus ou moins prisonnière de sa base et qu’elle ne peut imposer des modifications au programme sans risquer de faire éclater le parti, lequel reste par conséquent confiné dans un ghetto électoral.
Par ailleurs, on parle beaucoup (c’est un vieux débat) de transformer le mode de scrutin dans le sens d’une meilleur représentation parlementaire des petits partis.
Mais quelle que soit l’option retenue, même un mode de scrutin proportionnel par exemple, elle ne conférera aucune force politique supplémentaire à un parti qui en manque. C’est une solution de facilité qui ne solutionne pas le problème de fond : celui découlant d’appuis insuffisants parmi les votants et les votantes.
Si Québec solidaire veut s’approcher du pouvoir et en fin de compte l’occuper, il n’existe pas de raccourci. Il ne pourra faire l’économie de débats internes parfois déchirants et devra entreprendre la conquête de segments supplémentaires de l’électorat dont le soutien lui est indispensable.
Jean-François Delisle
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