Cependant, des enquêtes réalisées dans différents pays, démontrent qu’une grande partie des ces dettes publiques – internes et externes – ne répondent pas exactement à ce critère, étant donné qu’elles ont été générées sans aucune contre-partie en termes de biens, de services ou de bénéfices pour la collectivité. De plus, ces dettes s’accroissent à cause de coûts abusifs, de conditions viciées, de refinancements successifs, entre autres stratégies qui provoquent l’auto-génération continue de nouvelles dettes. Le tout s’exerce moyennant un mécanisme qui exige de consacrer constamment des fonds pour le paie- ment de taux d’intérêt élevés, de commissions et de frais, alors que le solde de la dette continue d’augmenter.
Ce mécanisme fonctionne à travers un ensemble d’engrenages qui conduisent à l’intervention des organismes financiers internationaux, soumettant les pays débiteurs à des plans d’ajustement structurel et des contre-réformes, lesquels portent atteinte aux droits sociaux au profit du paiement des dettes publiques. Sont en outre imposées diverses mesures qui bénéficient au secteur financier, principalement à travers la transformation de dettes privées en dettes publiques, occasionnant encore davantage de sacrifices sociaux et perpétuant ces dettes.
Dans ces conditions, l’endettement public n’est pas un instrument de financement des besoins collectifs. Depuis des décennies, il s’agit d’un mécanisme de transfert des ressources publiques vers le secteur financier privé.
Nous appelons donc « Système dette » cette utilisation inversée de l’instrument de l’endettement public, qui consiste à soustraire des ressources plutôt que d’en apporter.
Ce système opère de manière similaire dans le monde entier. Il se base sur le pouvoir international gigantesque du secteur financier, qui rend possible pour celui-ci le contrôle des structures légales, politiques, économiques et de communication des pays, en générant divers mécanismes qui viabilisent cette domination.
Au final, le coût de la dette publique est directement reporté sur la société, en particulier sur les plus pauvres, aussi bien via le paiement de taxes élevées sur les produits de consommation, que par l’absence ou l’insuffisance de services publics auxquels le peuple a droit – santé, éducation, assistance, retraites – ou encore le bradage du patrimoine public à travers les privatisations et l’exploitation illimitée des richesses naturelles, avec tous les dommages environnementaux, écologiques et sociaux irréparables que cela implique.
Il est nécessaire de connaître les dettes que les peuples sont en train de payer. L’AUDIT est l’outil qui nous permettra de les mettre en lumière et de documenter ce processus.
Face à l’emprise du pouvoir financier sur la majorité des gouvernements, une des tâches qui incombe aux peuples est celle de mener un audit citoyen, qui devrait rassembler les preuves et les arguments juridiques nécessaires pour faire annuler les dettes illégales et illégitimes.
Ce livre a pour objectif d’inspirer les mouvements sociaux pour que ces derniers impulsent la réalisation d’audits citoyens de la dette publique dans toutes les régions du globe, afin de conscientiser la société sur les réalités financières et de renforcer les luttes sociales œuvrant pour un autre modèle de justice, de liberté et de fraternité.
Le chapitre 1 consiste en une brève analyse du processus de financement mondial et de ses liens avec la génération de dettes publiques. Le secteur financier est le principal acteur et bénéficiaire du Système dette. Ses agissements sont marqués par l’utilisation d’une série de stratégies frauduleuses, qui ont mis sur pied ce grand mécanisme de domination mondiale. Ce chapitre met en exergue la nécessité d’avancer dans la construction d’autres architectures financières fon- dées sur les principes de justice et d’équité.
Des audits citoyens précédemment réalisés ont démontré que la majeure partie de la dette publique n’a pas été générée par le versement effectif de fonds mais par l’utilisation d’une série de mécanismes, de conditions viciées et de mesures imposées par des organismes inter- nationaux, ce qui entraîne un processus continu d’auto-génération de dettes, comme le chapitre 2 le montre.
Le chapitre 3 présente les concepts essentiels, ainsi que des exemples d’éléments découverts et des approches complémentaires à prendre en compte dans le cadre d’un audit citoyen, l’objectif étant de documenter le mode de fonctionnement du Système dette et de mettre en évidence les mécanismes qui le génèrent.
Les expériences d’audits de la dette qui ont été menées par des citoyens en Équateur, au Brésil et en Argentine, montrent qu’il est possible de connaître la vérité et d’obtenir des résultats concrets, à travers l’utilisation de cet outil qu’est l’audit. Cela peut servir à gagner du temps pour de nouvelles initiatives, conformément à la brève description donnée dans le chapitre 4.
Le chapitre 5 contient des suggestions d’ordre méthodologique pour exécuter un audit citoyen de la dette. En se basant sur les expériences menées, nous détaillons les phases de réalisation de cet outil technique, en prenant pour point de départ l’origine de l’endettement. Il s’agit de démentir l’idée selon laquelle seuls des spécialistes seraient aptes à participer à un processus d’audit. Seules l’implication et la volonté sont nécessaires pour débusquer la vérité, et ce en défense des générations présentes et futures.
Enfin, le chapitre 6 présente les arguments juridiques de droit national et international qui étayent les éléments découverts à travers la réalisation d’audits citoyens et qui ont trait aux irrégularités, fraudes et vices, qui peuvent déterminer l’illégalité et/ou l’illégitimité d’une dette publique. Cela permettra de déclarer la nullité du Système dette, tout comme de sanctionner de manière exemplaire ses opérateurs internes et externes.
L’audit citoyen permet à la société d’être actrice d’une série d’actions centrées sur la mobilisation sociale, qui découlent de cet outil technique dont le suivi périodique de l’évolution de la dette publique et de ses impacts économiques, environnementaux et sur la vie des peuples. La société ne peut pas se contenter d’observer passivement le gaspillage des budgets de l’État et la violation des droits humains qui en découle pour alimenter le Système dette. Une action ferme et mobilisatrice qui débouche sur une transformation effective est nécessaire.
Engagés depuis très longtemps sur la question de la dette, le Centre Europe – Tiers Monde (CETIM) et le Comité pour l’annulation de la dette du Tiers Monde (CADTM), avec le soutien d’Auditoria cidadã da Dívida (Audit citoyen de la dette du Brésil), ont publié en 2006 un manuel sur la réalisation d’audits de la dette qui s’est révélé être un précieux outil au service des mouvements sociaux et de certains gouvernements du monde entier (voir http://www.cetim.ch).
Ce manuel fut rapidement épuisé et en prenant en compte, entre autres, les expériences brésilienne et équatorienne en matière d’audit de la dette qui se sont déroulées entre temps, l’idée d’un nouvel ouvrage mis à jour est né à Brasilia, lors du Séminaire international « Des alternatives pour affronter la crise » (octobre 2011). Ce séminaire était impulsé et organisé par Auditoría Cuidadana de la Deuda et le CADTM, et le CETIM y a participé. Ces organisations ont contribué au financement de ce livre, tout comme la Red Latinoamericana sobre Deuda, Desarrollo y Derechos (LATINDAD), les collectivités publiques du Canton de Genève et la Ville de Genève via la Fédération genevoise de coopération (Suisse), la FSPH, la Norwegian Church Aid (NCA, Norvège), Pain pour le Prochain (PPP, Suisse), Eusko Langileen Alkartasuna (ELA, Pays basque), DM Échange et Mission (Suisse), Oxfam Solidarité ASBL (Belgique) et l’Observatori del Deute en la Globalizació (ODG, Catalogne). Que toutes ces organisations et institutions reçoivent nos remerciements et notre gratitude.
Ce fut un honneur de réaliser ce travail bénévole et de mettre sur papier les expériences d’audits citoyens. Cela a été rendu possible grâce à la collaboration d’un grand nombre de personnes, en particulier l’auditrice équatorienne Miriam Ayala. Je remercie profondément toutes les personnes suivantes – issues de divers coins du monde – pour leur participation et collaboration à la réalisation de cet ouvrage : du Brésil : Eulália Alvarenga, Rodrigo Ávila, Daniel Bin, Marcelo Carcanholo, João Gabriel Lopes, Ary Minella, Modesto da Silveira ; d’Argentine : Alejandro Olmos Gaona, María Elena Saludas, Jorge Marchini ; de Belgique : Cécile Lamarque, Virginie de Romanet, Eric Toussaint ; de Bolivie : Patricia Miranda ; de Colombie : William Gaviria, Daniel Munevar ; d’Équateur : Hugo Arias, Piedad Mancero ; de l’État espagnol : Sergi Cutillas, Jérôme Duval, Itziar Giménez, Saioa Igeregi, Mikel Noval, Janire Landaluze ; de France : Patrick Saurin ; de Grèce : Spyros Marchetos ; d’Irlande : Nessa Ní Chasaide ; de Norvège : Gina Ekholt ; du Pérou : Rómulo Torres, Giann Velásquez ; du Portugal : Rui Viana, Teresa Xavier ; de Suisse : Julie Duchatel. Leurs apports, commentaires et suggestions ont été précieux.
Nous dédions ce livre à tou-te-s les citoyennes et citoyens qui s’organisent et se luttent pour un monde juste, démocratique et solidaire.
Maria Lucia Fattorelli
Maria Lucia Fattorelli, auteure et coordinatrice : Audit citoyen de la dette publique. Expériences et méthodes, Auditoría Cuidadana de la Deuda, CADTM, CETIM, 2015, 266 pages
Disponible en version pdf : http://cadtm.org/Audit-Citoyen-de-la-Dette