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Pourquoi « l’homme » de l’administration Trump en Iran est-il silencieux ?

Robert Fisk, counterpunch.org 10 janvier 2018 | Traduction, Alexandra Cyr

La plupart d’entre nous avons expérimenté l’impression de déjà vécu devant des images, des sons ou des situations. Était-ce dans une vie antérieure ou il y a quelques années….? Un ami de confiance a mis un certain temps à me faire comprendre pourquoi je trouvais la petite révolution de rue en Iran, si bizarre, si familière et si effrayante.

Revoyons la séquence des événements. Un grand nombre de jeunes, pauvres, chômeurs.euses, sans droit de vote, descendent dans les rues d’un pays du Moyen-Orient pour protester contre la pauvreté, la corruption du régime et revendiquer la liberté. Rapidement, c’est l’attaque contre les autorités, parfaitement justifiée. Mais au bout de quelques jours, le gouvernement s’attaque à ces opposants.es à coups de fusil. Lui aussi clame les droits du peuple à la liberté d’expression mais prévient que ceux et celles qui ont recours à la violence en paieront le prix. On compte au moins 21 morts dont deux membres des forces de sécurité, alors que les protestataires répondent à la tactique de tirer pour tuer conduite par des supporters du gouvernement armés.

Le leader le plus puissant, soutenu par des milices d’état, déplore que les troubles soient fomentés par des étrangers, des traitres et des espions. Des membres de haut niveau du gouvernement accusent les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’Arabie saoudite de : « financer, fournir des armes, des services politiques et des renseignements » (aux manifestants.es). Et de vastes foules, bien moins importantes en nombre que les protestataires mais pas moins enthousiastes, défilent par centaines de milliers pour condamner les manifestations de rue en brandissant des photos de leur Guide suprême bien-aimé. Le régime déclare les protestations « terminées ».

Si les parallèles ne sont pas exacts, les similarités le sont beaucoup plus. Est-ce que ce n’est pas cela, presque mot pour mot, qui s’est passé en Syrie en 2011 ? Le même scénario, le même plan de jeu, le même script ? Une masse de pauvres ruraux, écrasés par le plan agricole de leur propre gouvernement, ont commencé à protester publiquement contre l’administration Assad, contre sa corruption et a très vite demandé son renversement. Aujourd’hui, on peut voir les manifestants.es iraniens.nes brûler les portraits du Guide suprême, Ali Khamenei et du Président Hassan Rouhani. Les forces de sécurité ont commencé à tirer sur les protestataires. Et, bien plus tôt que nous avions pu le penser à l’époque, armés.es, les opposants.es au régime syrien ont commencé à attaquer l’armée syrienne le long de la frontière libanaise, près de Homs et Deraa au printemps 2011.

Le régime de Bashar al-Assad a immédiatement clamé que des « forces étrangères » étaient derrière les « terroristes » et a accusé nommément, les États-Unis et l’Arabie saoudite de comploter pour déclencher une guerre civile en Syrie. L’Iran n’a pas (encore) traité ses opposants.es de « terroristes ». Des centaines de milliers de Syriens.nes ont défilé à travers Damas pour appuyer le régime en brandissant des portraits de B. al-Assad en lui proclamant leur loyauté. Le régime a répété encore et encore, que la crise était « terminée ».

Mais elle ne l’était pas. Malgré tous les efforts des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de l’Arabie saoudite pour soutenir un « changement de régime » en Syrie, B. al-Assad s’accroche au pouvoir avec la même ténacité que le régime iranien l’a fait en 2009 en écrasant la révolte au moment de l’élection de Mahmoud Ahmadinejad à la présidence. Cet homme avait beaucoup en commun avec D. Trump.

Maintenant, je dois me tourner vers ma vieillotte mais toujours pertinente institution favorite, le « Département des vérités internes ». (Selon lui), l’Iran n’est pas une démocratie comparable à celles d’Occident parce que ce sont ses dirigeants qui décident qui peut ou ne peut pas devenir Président. Mais elle a un véritable parlement qui fonctionne. Après le triomphe aux États-Unis de D. Trump, et même après la douteuse victoire de G. W. Bush, il n’est peut-être pas vraiment bienvenu de comparer les deux démocraties.

Ma préoccupation se situe plus envers la cruauté inhérente à ce régime. Il peut envoyer une jeune femme innocente à la pendaison comme un responsable de prison l’a crié à la tante et la mère d’une prisonnière sur son propre téléphone intelligent. J’ai déjà dit que la peine de mort entache bien plus le régime iranien que ses centrifugeuses nucléaires.

Il est toujours possible de négocier sur des installations nucléaires. Vous ne pouvez ramener personne à la vie. Par exemple, Delara Darabi, 22 ans conduite à la potence en 2009. Elle crie à sa mère avec son téléphone : « Maman, je vois le nez du bourreau devant moi. Ils vont m’exécuter. S’il te plait, empêches les ».

Delara s’était faussement accusée du meurtre d’un cousin de son père pour protéger son petit ami de la pendaison. Comme elle était une pauvre fille, le bourreau a attrapé son téléphone pour dire à sa mère qu’elle ne pouvait rien pour sauver sa fille. Cette année là, le Président Ahmadinejad m’a déclaré qu’il était contre la peine de mort, qu’il ne voudrait même pas tuer une fourmi. Mais l’appareil judiciaire est « indépendant » du gouvernement.

Bien sûr je n’ai rien fait. En 2015, environ 700 personnes ont été exécutée et 567 en 2016. Une bonne partie de ces victimes étaient des vendeurs de drogue, mais leurs procès étaient de purs mascarades. Les exécutions contaminent la République islamique aussi sûrement qu’ils ternissent l’autorité d’Hassan Rouhani, l’homme à qui on nous a ordonné de faire confiance après les accords sur le nucléaire.

Pour le moment, retournons à notre parallèle entre l’Iran et la Syrie. La guerre d’Israël contre le Hezbollah au Liban en 2006 était une tentative de destruction de l’allié le plus proche de la Syrie et protégé de Téhéran. Ce fut un échec. Le Hezbollah a crié victoire. Ils n’ont pas gagné mais Israël a perdu. En 2011, la Syrie est devenue la cible (israélienne). Nous ne sommes toujours au courant que d’une partie de cette histoire mortelle et atroce. Et l’Occident et Israël ont perdu à nouveau. B. al-Assad a survécu. Il a gagné avec l’aide de ces sales Russes, du Hezbollah et de l’Iran.

Est-ce que le tour de l’Iran (pour une révolte populaire dirigée) serait arrivé ? Des tactiques presque semblables. Le même scénario. Les mêmes ennemis que l’Arabie saoudite observe avec délice. La Grande-Bretagne fait des déclarations symboliques à propos des droits humains : merci à Boris Johnson (ministre des affaires étrangères) et les États-Unis foncent tout droit du côté des protestataires innocents, même s’ils sont de plus en plus dangereux. (Déclaration de D. Trump) : « Le monde est aux aguets ». Bien sûr ! Mais ce qui m’intrigue c’est que l’Iran, comme d’habitude, attribue les événements à une conspiration des État-Unis, de ses médias et ceux de Grande-Bretagne en même temps, mais ne mentionne jamais le nom du membre officiel de la CIA qui, il y a six mois, recevait les honneurs comme celui qui a été nommé par D. Trump pour diriger les opérations de l’Agence en Iran.

Que c’est étrange ! En juin, le New York Times présentait le nouveau rôle du « Prince noir » ou du « haut parleur de l’Ayatollah » après l’avoir psychanalysé semble-t-il. Ce serait « un tournant parmi d’autres à l’intérieur de l’Agence d’espionnage qui donnerait plus de force à l’approche des opérations clandestines » sous la nouvelle direction de Mike Pompeo. L’article continue en disant que : « l’Iran a été une des cibles les plus difficile pour la CIA. (…) C’est à M. D’Andrea, un converti à l’Islam, qu’on a confié la mission de concrétiser les vues du Président Trump. Il n’y a probablement personne de mieux équipé parmi ces agents-es pour affaiblir Al-Quaïda. Le Président a nommé au Conseil national de sécurité des durs de durs impatients de contenir l’Iran et de travailler à un changement de régime, toutes conditions de base pour conduire des activités clandestines ».

Le New York Times souligne qu’après les attaques du 11 septembre, M. D’Andrea était : « profondément engagé dans le programme de détention et d’interrogatoire qui a mené à la torture de nombreux prisonniers et qui a été condamné comme des actions inhumaines et inefficaces dans un rapport du Sénat en 2014 ». Selon cet article, M. D’Andrea qui avait accédé à la direction du Centre du contreterrorisme de la CIA en 2006, « a joué, en 2008, un rôle central dans l’assassinat de Imad Mougniyeh » un des dirigeants les plus expérimentés du Hezbollah à Damas, même s’il était en préretraite. Apparemment, M. D’Andrea a aussi été la cheville ouvrière des attaques par drones à la frontière du Pakistan et de l’Afghanistan.

Il est donc un formidable adversaire pour les Iraniens et donc pour les Syriens. Mais c’est étrange que nous n’en ayons pas entendu parler depuis des mois. Il ne s’intéresserait pas tant que ça aux événements en Iran ? Bien sûr qu’il s’y intéresse, n’est-ce pas son travail ? Alors, pourquoi ce silence ? Nous ne serions pas capables de faire les liens (en cause) ? Y aurait-il un lien, peut-être, par hasard, entre les « Services de renseignement » dont parle ce pauvre vieux Khamenei à Téhéran et les « services de renseignement » dirigés par M. D’Andrea, l’homme qui doit commencer à « concrétiser les vues du Président Trump » ? Je ne suis pas convaincu que le « monde est aux aguets » mais il devrait l’être.

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