Il y a un débat en cours dans la belle province, une lutte sans merci qui oppose deux camps en tranchées. Je parle bien sûr des changements climatiques. Plus précisément, des climato-sceptiques : ces gens qui ne croient pas aux changements climatiques ou prétendent que ceux-là ne sont pas d’origine humaine.
À chaque tempête de neige, c’est la même rengaine. Même mes proches, qui sont tous très intelligents, sont totalement divisés sur la question.
Il y a, d’un côté, mes amis qui pensent que les climato-sceptiques sont simplement mal informés. « Ce ne sont pas de méchantes personnes, disent-ils, mais elles sont clairement mal informées. Il ne faut pas leur en vouloir. Après tout, chez nos voisins du sud, où les climato-sceptiques ont la cote, 26% des gens croient aussi que le soleil tourne autour de la Terre. »
De l’autre côté de la clôture, mes amis sont convaincus que les climato-sceptiques ne sont pas si ignorants que l’on pourrait croire. Plutôt, ils seraient aveuglés par l’idéologie et vendus au lobby pétrolier/gazier et aux fondations conservatrices. « Pourtant, ce n’est pas un jeu, disent-ils. L’avenir de l’humanité et de millions d’espèces est sur la table. La maison est en feu et ils sortent les guimauves ! »
Vous voyez le dilemme ? Faut-il croire que les climato-sceptiques sont simplement ignorants ou alors, carrément mesquins ? Comment allons-nous réconcilier ces deux positions ?
Marchands de doute 100% québécois
Trêve de plaisanteries, les climato-sceptiques restent une nuisance à prendre au sérieux, même au Québec. Alors que les changements climatiques sont de loin la plus grande menace à la biodiversité de la planète - incluant la qualité de vie et la survie de milliards d’humains - et que nos élus semblent ignorer la question totalement, les marchands de doute veulent encore faire reculer notre société.
Même s’ils s’assemblent rarement en public, à part au Réseau Liberté-Québec, les climato-sceptiques d’ici prennent séance régulière dans les médias de droite comme Radio-X, FM93, le Journal de Montréal et Journal de Québec.
Ils s’improvisent des porte-paroles dans un cocktail toxique de conservateurs tout acabit tels que Éric Duhaime, Jacques Brassard, Reynald du Berger, André Desrochers, Maxime Bernier et Daniel Laprès.
Certes, on peut se réjouir que seulement 10 à 15% des québécois-ses se rallient à cette position. Or, c’est dans la capitale nationale qu’on retrouve le plus de climato-sceptiques avec un important 22%, aidé bien sûr par les tribunes où il fait bonne figure de respirer à même le tuyau d’échappement.
Les cinq étapes du déni
D’abord, les climato-sceptiques ne sont pas réellement sceptiques. Les Sceptiques du Québec s’en distancient d’ailleurs vigoureusement et les qualifient plutôt de « contrairiens », c’est-à-dire de négationnistes.
D’emblée, le déni des climato-sceptiques se décline en cinq étapes :
Le problème n’existe pas. « C’est la conspiration d’une cabale d’écolos gauchistes. Y’a pas de réchauffement, y’a qu’à regarder dans ton congélateur, c’est plein de glace. »
Nous ne sommes pas la cause. « Tous les chercheurs qui disent le contraire sont des communistes. »
Et de toute façon, ce n’est pas un problème. « Pas de lien avec la disparition des bélugas, l’intrusion de la maladie de Lyme. Non monsieur, nous ne ferions pas de mal à une mouche, une abeille ou un papillon monarque. »
On ne peut rien y faire. « Le problème est trop gros et on a déjà assez de trouble comme ça, avec le dernier line-up du Canadien et tout. »
C’est trop tard. « Aussi bien profiter des derniers jours, prendre une grande ride de Hummer jusqu’à Kuujjuaq et aller noyer les ours blancs ! »
Les arguments préférés
Lorsque les climato-sceptiques se donnent la peine d’étayer leurs idées, leur leitmotiv se compose généralement d’un ou de plusieurs des trois événements suivants.
1. Le « Climategate »
Des milliers de pages de courriels et de fichiers de recherche sur les changements climatiques ont été publiées lorsque les serveurs de l’université d’East Anglia ont été piratés. Les médias conservateurs en ont diffusé un collage fallacieux pour prétendre que la recherche était trafiquée.
Il y eut depuis non une ni deux, mais sept enquêtes indépendantes sur l’affaire et toutes ont prouvé qu’il n’y avait pas eu d’erreur méthodologique ou de malfaisance de la part des chercheurs.
2. La pétition de l’Orégon
Un autre classique. Cette pétition fait état de plus de 30 000 « scientifiques » stipulants qu’il n’y aucune raison suffisante de croire que le réchauffement climatique est dû à l’activité humaine. Impressionnant, non ?
Outre le fait qu’elle a été coordonnée par un obscur think tank conservateur, cette pétition est peu crédible.
D’une part, moins de 0.05% des « scientifiques » sont des climatologues. D’autre part, une bonne part des signataires sont impossibles à retracer.
Enfin, tous les autres recensements de la communauté scientifique tendent vers le consensus.
3. Le GIEC a lui-même admis que la Terre se refroidit
Cet organisme intergouvernemental de l’ONU synthétise les travaux de recherche à travers le monde sur la question des changements climatiques.
Aux abords de la publication de son dernier rapport en 2013, plusieurs médias ont fait état d’un résumé « coulé » (leaked) stipulant que la Terre était plutôt en train de refroidir, invalidant toute la théorique du réchauffement climatique !
Bien sûr, une fois publié, le véritable rapport du GIEC, corroboré par les données de recherche, démontre que le climat global se réchauffe effectivement à long terme et que les prévisions laissent croire que la tendance se poursuivra en l’absence de changements draconiens à notre mode de vie.
Encourager la pensée critique
Il y a quelque chose de triste à propos des climato-sceptiques. Ils se perçoivent comme les défenseurs de la vérité, comme des chevaliers en croisade constamment persécutés par des ennemis en surnombre.
Mais cette quête irrationnelle, réactionnaire et cupide n’est finalement rien d’autre que la même corruption qui menait des médecins à vendre des cigarettes au siècle dernier. D’autres parallèles sont d’ailleurs faits entre le lobby du tabac et le mouvement climato-sceptique, par exemple Ezra Levant, anciennement lobbyiste pour Rothman et maintenant défenseur des sables bitumineux en Alberta.
Je défendrai toujours la pensée critique et je suis d’accord que le doute peut être une réaction saine, encore faut-il raisonner de façon cohérente et savoir reconnaître quand on s’est trompé.
C’est ce que j’invite les climato-sceptiques à faire. Si les changements climatiques sont le plus grand défi auquel fait face l’humanité, l’histoire ne sera pas tendre avec ceux et celles qui appellent à l’inaction. Les climato-sceptiques qui persistent dans cette arrogance aveuglée auront à répondre aux générations futures.