Édition du 17 décembre 2024

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Féminisme

Extrait de la brochure : L’oppression des femmes, hier et aujourd’hui : pour en finir demain ! Une perspective marxiste.

Pour en finir avec l'oppression des femmes

Le fait que le capitalisme soit la première société de toute l’aventure humaine à avoir secrété l’idéal de l’égalité des sexes ne doit rien au hasard.

Le passé, le présent et l’avenir : le rôle révolutionnaire du capitalisme…

Ce système économique est en effet le premier de toute l’histoire humaine à reposer, en quelque sorte, sur l’anonymat généralisé. Dans le capitalisme, les produits du travail prennent tous la forme de marchandises ; c’est-à-dire qu’ils sont tous destinés à être échangés contre un équivalent appelé « monnaie ». Comme l’a montré Marx, la monnaie représente le travail humain, mais un travail humain abstrait, c’est-à-dire indifférencié. Ainsi, le fait que les produits du travail soient dorénavant destinés à être vendus sur le marché mondial signifie que l’identité et les caractéristiques des producteurs sont en quelque sorte fondus dans un gigantesque creuset.

Ce mouvement va d’ailleurs plus loin ; car avec le capitalisme ce ne sont d’ailleurs plus seulement les produits du travail qui deviennent des marchandises, mais le travailleur et la travailleuse eux-mêmes.

Ce fait, à lui seul, ne supprime pas la division sexuelle du travail, non plus que son caractère inégalitaire ; il n’empêche pas que les femmes puissent être cantonnées dans certains emplois, ou victimes d’interdits plus ou moins officiels et légalisés. Mais, et c’est là le point crucial, il crée les conditions de sa disparition. En destinant tous les produits à la vente, le capitalisme démontre quotidiennement que les travaux des hommes et ceux des femmes n’existent plus côte à côte, dans deux domaines séparés et de nature différente ; ils se dissolvent désormais en une seule et même substance, dont la monnaie est l’incarnation. Et en transformant le travailleur comme la travailleuse en salariés, dont les efforts devront s’échanger contre une certaine somme d’argent, le capitalisme établit que leur travaux, pouvant être mesurés par un étalon commun, sont constitués d’une substance unique. « À travail égal, salaire égal ! », ce slogan de toujours des femmes prolétaires, prend précisément pour point d’appui le fait que dans le capitalisme, le travail d’une femme ne se différencie en rien de celui d’un homme — en rien, si ce n’est par la quantité d’argent qui le rémunère.

Ainsi, notre société est la première dans l’histoire humaine où les produits apparaissent comme le fruit du travail humain, et non comme celui d’un travail spécifiquement masculin ou féminin. Et où ceux qui fabriquent ces produits, quel que soit leur sexe, apparaissent comme les membres d’une seule et même force de travail.

Avec le capitalisme et la généralisation de la marchandise, c’est aussi la première fois qu’un individu, homme ou femme, qui participe à la production sociale, acquiert en retour un revenu qui lui permet de pourvoir à l’ensemble de ses besoins sans avoir nécessairement à s’associer avec un ou plusieurs autres individus du sexe opposé. L’indépendance économique, ce passage obligé vers l’émancipation des femmes, était inconcevable dans les sociétés traversées par la division sexuelle du travail et où le marché était marginal, voire inexistant.

La division sexuelle du travail a été le premier pas de la longue marche qui a mené l’humanité sur la voie d’une productivité toujours plus grande. Il ne pouvait sans doute en être autrement : la différence des sexes a quelque chose d’évident, et fournissait une matière toute trouvée à l’instauration de rôles productifs et sociaux différenciés. Par la suite, avec les progrès de l’économie, de la science et de la technique, la division du travail n’a cessé de s’approfondir. Les êtres humains se sont spécialisés toujours davantage. Au cours du temps, de nouveaux métiers sont apparus par dizaines, puis par centaines. Mais tant que les produits n’étaient pas des marchandises, tant qu’on en restait à des formes économiques où les producteurs pouvaient être directement identifiés au travers de leurs produits, et donc assimilés à eux, ces progrès supplémentaires pouvaient s’effectuer au sein du cadre fixé par la division sexuelle. Il a existé de plus en plus de métiers de toutes sortes ; cela ne les empêchait pas de continuer à être des métiers d’hommes et des métiers de femmes. C’est cette barrière que le capitalisme a contribué à saper. En généralisant la forme de la marchandise, il a fait apparaître une nouvelle réalité, celle du travail humain, sexuellement indifférencié, qui permet d’entrevoir le temps où la division sexuelle du travail sera reléguée au rang des vieilleries dépassées, « aux côtés de l’État, du rouet et de la hache de bronze », pour paraphraser Engels.

C’est en ce sens que le capitalisme, sur la question de l’émancipation des femmes comme sur tant d’autres, a joué un rôle révolutionnaire. Non qu’en soi, la situation des femmes y soit « meilleure » que dans les sociétés précédentes. À ce degré de généralité, cette appréciation n’a pas beaucoup de sens. Et la situation des femmes sous le capitalisme selon l’époque, le pays et le milieu social est certainement aussi diverse qu’elle pouvait l’être dans les premières sociétés humaines. Mais de même qu’il a posé les bases économiques et sociales qui rendent caduques les frontières nationales ou la possession privée des moyens de production, il a rendu caduque la division des tâches et des rôles sociaux selon le sexe.

...et la nécessité de le renverser

On pourrait bien sûr s’interroger de la possibilité de mettre fin à la domination masculine sans mettre à bas les fondements de l’exploitation et de toutes les oppressions, c’est-à-dire sans mettre à bas le système capitaliste lui-même. C’est le choix que font bien des féministes, qui militent sur le seul terrain de la lutte contre la domination masculine.

Ce choix pourrait ne pas paraître absurde. Après tout, dans le royaume éthéré de la théorie pure, un capitalisme débarrassé de toute forme de discrimination entre les sexes n’est pas inconcevable. Et certaines femmes des classes les plus favorisées ne tiennent pas forcément à lier leur sort au renversement de tout l’ordre social existant. Le problème, c’est que la réalité n’est pas un royaume éthéré ; et refuser de situer le combat pour l’émancipation des femmes à celui, plus large, de l’émancipation du prolétariat,procède d’une myopie bien imprudente.

Le capitalisme charrie un cortège de misère et d’oppression qui renouvelle sans cesse le terreau fertile sur lequel peuvent prospérer toutes les formes de préjugés, dont ceux qui visent les femmes. La période que nous vivons l’illustre cruellement. Même dans les quelques pays du monde où les femmes ont conquis une certaine égalité, celle-ci reste sous la menace permanente de retours en arrière. En France, l’IVG reste légale. Mais pour combien de femmes le démantèlement de l’hôpital public rend-il chaque année l’exercice de ce droit plus difficile ? Et comment affirmer que les courants réactionnaires qui, ici, manifestent régulièrement, et aux États-unis, vont parfois jusqu’à assassiner les médecins qui pratiquent des avortements, ne parviendront jamais à leurs fins ? Quant à la partie la plus pauvre de la planète, écrasée par le sous-développement et la guerre, les trente dernières années n’ont cessé de montrer que le drapeau religieux, revendiquant ouvertement l’oppression des femmes, pouvait être brandi en guise de symbole « anti-impérialiste » et servir avec succès de dérivatif à d’authentiques combats émancipateurs.

Si bien des courants féministes ont pu croire en la possibilité d’éradiquer la domination masculine dans le cadre des structures économiques existantes, aux yeux du courant communiste, de tels choix sont toujours apparus réducteurs et, en fin de compte, à bien courte vue. Non seulement le combat contre la domination masculine et celui contre l’exploitation de l’homme par l’homme n’ont rien de contradictoire, mais ils sont indissolublement liés.


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