Introduction [1]
“L’activité humaine est responsable des grands bouleversements qui agitent le climat planétaire et c’est pourquoi la plupart des gouvernements se sont engagés à remédier à la situation.” p. 6
Ce n’est pas n’importe quelle activité humaine qui a provoqué les grands bouleversements climatiques que nous connaissons. Ce n’est pas celle des sociétés qui ont précédé le capitalisme même si ces dernières ont impacté leur environnement. Ce ne sont pas les activités humaines des sociétés autochtones. Ce sont les activités humaines liées au mode de production capitaliste tel qu’il s’est développé particulièrement tout au cours du XX siècle. Ce sont plus spécifiquement les activités d’exploitation et de consommation généralisées des hydrocarbures qui se sont faites après la Deuxième Guerre mondiale et les activités de prédation de la nature qui continuent aujourd’hui encore qui sont les responsables des bouleversements climatiques et de l’effondrement de la diversité.
De plus, affirmer sans plus de qualificatif que la plupart des gouvernements se sont engagés à remédier à la situation … c’est oublier que les gouvernements des États-Unis, du Canada, de la Russie, de la Chine, de la France ou de l’ensemble des pays du G7 se montrent irresponsables face à la situation. Le gouvernement Trudeau s’est-il vraiment engagé ? Non. Pourquoi, parce qu’il est, comme les autres gouvernements, le défenseur des grandes entreprises pétrolières et gazières. Ces gouvernements n’ont fait que jeter de la poudre aux yeux comme représentants néolibéraux des puissances capitalistes. Au Québec, les gouvernements Marois, Couillard ou Legault se sont montrés tout aussi irresponsables.
“Le business as usual empêtre notre économie dans la dépendance au pétrole.”
(… )“Québec solidaire propose un plan de transition économique global et structurant qui nous amène sur la voie de l’équilibre écologique. En ce sens, il constitue le coeur de notre projet de société.” p.6
Parler du plan de transition comme le coeur de notre projet de société est une orientation essentielle. Et, l’action de Québec solidaire doit maintenant concrétiser cette orientation. Mais, il faut reconnaître qu’il n’y aura pas de solution de la crise écologique dans le cadre national. Nous pouvons apporter notre contribution à ce combat, mais seul un combat international contre les changements climatiques et pour la justice climatique permettre de venir à bout de cette crise. Cette dimension de la réalité de la crise écologique ne saurait être occultée par une vision étroitement nationale. Cette dimension doit trouver sa place dans un plan de de transition.
“En mobilisant tous les acteurs concernés, tant le secteur public que privé, tant la population que les municipalités, Québec solidaire met de l’avant un plan qui rend possible la transition.” p. 7
En ne précisant pas quels sont les différents acteurs concernés dans la crise environnementale actuelle et en n’identifiant pas les responsabilités de chacun, en mettant sur le même pied le secteur public et le secteur privé, on laisse échapper le rôle, les intérêts et les discours actuels de ces dits acteurs. Le secteur financier est derrière les entreprises liées au complexe autopétrole. Il en est de même du secteur d’exploitation des ressources minières et pétrolières. La bureaucratie d’État est au service des acteurs qui dominent le système économique capitaliste. Sans s’attaquer à la mainmise du secteur financier sur les acteurs majeurs du système productif, sans remettre en question la mainmise des entreprises multinationales sur le secteur énergétique, on ne tire pas leur rôle de force de blocage effective sur toute transition énergétique. Il faut identifier le capitalisme comme responsable de la situation actuelle et écarter explicitement la perspective que le capitalisme vert puisse être une solution aux problèmes climatiques que rencontre l’humanité.
“Le plan de Québec solidaire prévoit impliquer les différentes communautés ainsi que les municipalités et les entreprises dans la mise en œuvre des mesures qui s’échelonneront de notre premier mandat jusqu’à l’horizon de 2030.” p. 10
Placer des institutions publiques et des entreprises mues par la maximisation des profits pour des intérêts privés sur le même pied, c’est créer de la confusion. Laisser entendre que le peuple va orienter lui-même son économie au nom de la souveraineté du peuple… tout en laissant dans l’ombre les conditions de la démocratie économique, soit la socialisation des moyens de production et d’échange et l’actuelle répartition des pouvoirs entre l’oligarchie dominante et la majorité populaire, c’est se payer de mots sans même esquisser les conditions stratégiques de la réalisation de la démocratie économique.
1. Améliorer la mobilité des personnes.
“L’étalement urbain et une offre de crédit abordable ont mené à une croissance soutenue du parc automobile." p. 14
En fait l’industrie automobile a été le champ d’une concurrence féroce qui a mené à une centralisation considérable du capital dans ce secteur et à la création de multinationales très puissantes. Cette concurrence a mené à l’installation de capacités de production excédentaires et à la mise en place de stratégies pour faciliter l’écoulement de la production (obsolescence planifiée – publicité envahissante – facilitation du financement à l’achat, destruction ou marginalisation de l’importance des moyens de transport collectif…) Les multinationales de l’auto ont donc installé un mode de production et de consommation construit autour du complexe autopétrole. Ce complexe est une force de blocage qu’il va falloir confronter si on veut parvenir à nos fins.
“La solution est simple : s’offrir plus de transport collectif, rendre disponibles des options de rechange à l’auto solo.” p.16
La promotion du transport collectif, le recul de l’utilisation de l’autosolo sur une base individuelle va heurter immédiatement des intérêts des multinationales de l’auto, des banques qui les soutiennent et les habitudes des consommateurs et consommatrices. Il faut surtout ne se faire aucune illusion sur la volonté de ces multinationales de collaborer sérieusement au passage au transport public, collectif et gratuit. Laisser entendre que les grandes multinationales vont faire le virage vers l’électrification dans un temps et à un rythme nécessaire et qu’elles ne chercheront pas à élargir encore davantage le parc automobile, c’est refuser de voir le système de contraintes dans lesquelles ces entreprises sont engagées. Leurs perspectives actuelles avec le passage à la voiture électrique et aux voitures autonomes c’est de créer les conditions d’un élargissement encore plus considérable du parc automobile avec les infrastructures autoroutières qui seront nécessaires au sein de ce mode de transport des personnes. Il faut donc clairement écarter l’expansion du parc des voitures électriques individuelles comme une solution à la crise climatique et le plan proposé n’est pas clair à cet égard.
“Québec solidaire réduira les tarifs du transport en commun urbain dès son premier mandat, et instaurera la gratuité de ce mode de transport d’ici 10 ans.” p. 15 .
La marche vers la gratuité des transports collectifs est une proposition essentielle, car la gratuité va “encourager les citoyen-ne- s à délaisser l’automobile pour le transport collectif”. Mais ici le plan de transition est présenté d’abord comme un plan de gouvernement. En fait, il faut que le plan soit également un plan de mobilisation. Certaines villes du Québec ont déjà fait des pas vers la gratuité du transport collectif urbain. Ne faudrait-il pas que le plan souligne que la lutte pour la gratuité du transport public en plus d’être dans les objectifs d’un gouvernement solidaire est une perspective de luttes que Québec solidaire avance comme une perspective immédiate dans lequel il veut engager le parti et ses militant-e-s et la population du Québec.
“Québec solidaire procédera à un grand chantier de construction de transports collectifs dans toutes les villes du Québec.” p 15
Ici comme dans d’autres passages du plan de transition, certains éclaircissements mériteraient d’être apportés. Qu’est-ce donc qu’un chantier de construction de transports collectifs ? Parle-t-on du renforcement des flottes d’autobus municipaux ? Parle-t-on de construction de matériel roulant par des usines produisant autobus et tramways ? Ces usines devraient-elles être nationalisées ? Et le développement d’un secteur industriel public de production de "matériel roulant" répondant aux besoins de la transition ne devrait-il pas être mis sur pied ?
“Sans attendre de négocier avec le gouvernement canadien , nous pouvons concevoir un réseau intelligent et intégré en fonction de nos besoins.” p.16
L’étude d’un tel lien à haute vitesse est une perspective à débattre. Mais que faire avec les liens ferroviaires existants ? Nous avons décidé en congrès de définir notre Plan de transition dans le cadre de notre marche à l’indépendance. Il y a des trains (du CN et du CP) qui assurent les déplacements à l’intérieur du Québec. Ces trains sont sous la juridiction du gouvernement d’Ottawa. Il faut s’adresser le plus tôt possible à cette question. La nationalisation sans compensation des voies ferrées et du matériel roulant du CN et du CP fait partie de la volonté de contrôler l’ensemble du transport public par un Québec indépendant. Toutes les questions des trains à haute fréquence devraient être soulevées dans ce contexte.
“… le Québec s’engagera à retirer progressivement des routes les véhicules à combustion interne. La vente de véhicules hybrides ou électriques sera obligatoire en 2030. à toute vente de véhicule à combustion interne pour usage personnel sera interdite en 2040, et ce type de véhicule retiré des routes en 2050. p. 18.
Le rythme de la sortie des véhicules à combustion interne ne semble pas répondre à l’urgence climatique. Il ne s’agit pas de passer d’un parc automobile de voitures à essence à un parc automobile reposant sur des voitures fonctionnant à l’électricité. Il faut faire reculer de façon radicale l’importance des investissements dans la production de voitures individuelles. Les compagnies multinationales de l’automobile sont sans doute prêtes à développer une portion de leur offre sur le marché en voitures électriques. Mais, elles ont des contraintes à respecter : a) ne pas dévaloriser leurs investissements financiers et matériels dans la production de voitures à essence. Elles vont donc chercher à procéder à la conversion à un rythme qui empêche une dévalorisation rapide de leurs investissements. D’autre part, pour ces entreprises, le transfert de leurs investissements vers les voitures électriques ne doit pas déboucher sur un recul de l’ampleur du parc automobile, mais au contraire sur l’élargissement de ce parc automobile lié à la diversification de leur offre sur le marché. Le passage vers le transport public sera donc l’objet d’un affrontement avec les entreprises présentes dans le secteur de l’automobile. Il va falloir définir les conditions et les modalités du transport contre une logique marchande et publicitaire. L’interdiction de la publicité automobile comme cela a été fait pour l’industrie du tabac va sans doute s’imposer.
2. Vers un transport écoresponsable des marchandises
“Améliorer le transport des marchandises nous demande à la fois de sortir de tout au camion et de repenser l’industrie du camionnage." p. 24
Le passage des camions à essence vers les camions électriques n’est pas une solution à la congestion et à la destruction par les camions des infrastructures routières. Les poids lourds détruisent les infrastructures. On doit envisager une autre solution. La technologie la plus appropriée au transport des marchandises ce sont les voies ferrées contrôlées actuellement par le fédéral et possédées par des entreprises privées. Pour des mesures d’écologie et d’économie, il faut faire passer le transport des marchandises du transport par camions entre les villes par le transport par les voies ferrées. Ce sont de véritables mesures d’économies et un choix énergétique beaucoup moins coûteux. Le passage aux camions électriques plus légers pourrait se concentrer au niveau des livraisons intraurbaines. Mais pour opérer ce passage, il faut nationaliser les voies ferrées possédées actuellement par le CN et le CP (et cela sans compensation).
Nous favoriserons également la transition du transport de certaines marchandises vers des modes plus économes en énergies comme le ferroviaire ou le maritime. (p. 26)
Visiblement la solution du ferroutage n’est pas écartée, mais elle ne semble pas non plus être la priorité alors qu’elle est effectivement plus économe en énergies.
3. Aménagement du territoire et agriculture
“Pour diminuer à long terme notre empreinte écologique, on ne peut donc se contenter de remplacer les voitures et les camions par des autobus et des trains ; il faut diminuer les distances et la fréquence des déplacements motorisés. (…) Nous voulons permettre l’éclosion d’une économie basée sur les circuits courts et sur une agriculture saine et écoresponsable en plus de favoriser la diversification des usages du territoire.” p. 30
Ces objectifs sont importants mais rapidement esquissés. Mais parler « d’adapter les activités humaines au milieu biophysique dans une recherche d’équilibre entre besoins humains et préservation des écosystèmes » p.30 c’est en rester à un niveau de généralité qui fait disparaître les rapports économiques concrets, et ce à plusieurs niveaux :
Les intrants dans l’agriculture sont fournis par de grandes entreprises du secteur agricole tant en ce qui a trait au matériel agricole qu’aux semences. Ces entreprises sont sous la coupe de multinationales. On connaît le poids de ces grandes entreprises pour imposer aux agriculteurs et agricultrices des semences particulières (OGM), l’usage de pesticides ou d’insecticides… Ces usages de ces différents entrants sont liés aux coûts de production et il va falloir soutenir les milieux agricoles pour empêcher des usages qui vont en l’encontre de la protection des écosystèmes et définir les pistes permettant de desserrer l’étau qui contraint leurs activités. - La vente et la distribution sont également dans les mains de grandes chaînes de commercialisation… qui exerce des pressions sur la nature et la qualité des produits. Avec la nouvelle entente de libre-échange avec les États-Unis et l’Europe, on voit que les gouvernements américains et européens veulent que les entreprises agricoles de ces pays puissent avoir accès au marché canadien. Plus, l’entente s’ingère même dans la définition de la politique commerciale québécoise et canadienne. Ce type d’ingérence n’a pas fini de se produire. Il est donc nécessaire de rejeter dans notre plan de transition ces ententes de libre-échange pour contrer ces attaques à la souveraineté de l’État. La réalisation d’une véritable souveraineté alimentaire ne saurait faire abstraction de cette situation.
En somme, « … la situation sociale et économique de ceux et celles qui pratiquent l’agriculture est de plus en plus préoccupante. Contraints par une industrie agroalimentaire qui fixe sans eux les paramètres de la production les agricultures et agricultrices sont plongées dans des situations financières difficiles. Les investissements massifs requis pour la modernisation des équipements, la montée fulgurante du prix des quotas au cours des dix dernières années, l’augmentation du prix des terres et l’endettement devenu endémique sont autant de facteurs qui amoindrissent l’emprise des agriculteurs sur leur activité. (…) Nous soutenons que les exigences économiques et productivistes qui ont pesé et pèsent encore sur le monde agricole sont au coeur de cette dépossession. En d’autres termes, nous affirmons que l’exploitation du sol n’est pas, au Québec, l’objet de prises de décision collective et avisée dont tous tireraient bénéfice, mais qu’elle est bien au contraire dirigée de plus en plus manifestement par les forces autonomes du marché international et par quelques grandes organisations à l’échelle canadienne. » (IRIS, Dépossession, Lux, 2015, p. 26-28) . S’il est important de définir des objectifs, il est aussi important pour concrétiser ces objectifs de préciser les obstacles et acteurs économiques qui vont se placer sur le chemin de la réalisation de ces derniers.
Il est important de comprendre qu’il n’y aura pas de passage à une agriculture sur d’autres bases sans participer à la déstructuration du système de domination vécue par les agriculteurs et agricultrices du Québec. Et ce passage ne pourra pas se faire qu’à partir de décisions gouvernementales. Il doit se faire à partir des luttes actuelles contre les usages d’OGM, de pesticides, contre les pressions à la baisse sur les produits des fermes, etc. C’est à partir des luttes actuelles et de celles qui seront menées qu’une action d’un gouvernement de Québec solidaire pourra réellement se déployer et trouver un large appui et que la souveraineté alimentaire pourra se réaliser.
4. Valorisation des matières résiduelles et économie circulaire
“Pour nous autonomiser et gagner une indépendance économique bien concrète, nous devrons appliquer le mieux possible les principes de l’économie circulaire et réutiliser et recycler ici la plupart de nos matières résiduelles.” p. 38
Le plan de transition souligne l’importance du recyclage et la nécessité de s’attaquer à l’obsolescence planifiée. Le plan reste silencieux par contre sur nombre de dimensions de l’économie circulaire qui ne s’inscrivent pas nécessairement dans une logique de réduction de l’empreinte écologique, mais bien plus comme une stratégie croissanciste pour un secteur particulier de l’économie. Le Conseil du patronat défend une telle conception croissanciste de l’économie circulaire. Le Conseil du patronat y voit une occasion d’affaires : (Économie circulaire au Québec, Opportunités et impacts économiques, mars 2018).. Pour les critiques écologistes, il y a économie circulaire et économie circulaire, car son développement risque de peser encore plus sur l’écosystème de la planète. Il faut donc creuser la réalité de l’économie circulaire, de son rapport avec la croissance et de ses différentes formes. Une discussion doit s’ouvrir à ce niveau également.
Pour ce qui est des biocarburants, le plan ne parle nullement, ici encore, des acteurs qui produiront ces derniers. Leur développement sera-t-il aux mains d’Énergir ou de grandes entreprises internationales qui ont des investissements importants dans le secteur comme Arcelor Mittal ? Quelle place (proportion) l’utilisation des biocarburants laissera-t-elle aux énergies fossiles ? La biométhanisation, dans les plans d’Energir de production de Gaz naturel renouvelable (GNR) risque de se réduire à un manœuvre pour présenter le gaz naturel comme énergie de transition. Toute cette question de la méthanisation mérite une discussion de fond.
5. Des bâtiments durables et plus résilients
“Le bâtiment était ainsi le troisième secteur le plus émetteur de gaz à effet de serre au Québec en 2015. Il importe dès lors de mettre le cap sur l’amélioration de l’efficacité énergétique en intervenant dans le domaine de la construction et de la rénovation immobilières, qui génère une activité économique considérable.” p.42
La construction de logements sociaux qui tiennent compte de la détérioration du climat et assurent des constructions sécuritaires nécessitent que le choix du type de construction ne soit pas laissé aux seuls mécanismes du marché si nous ne voulons pas que ce soit les couches les plus défavorisées de la population qui subissent de plein fouet et le plus fortement les changements climatiques qui se profilent. Un plan général contraignant en économie d’énergie pour les secteurs résidentiel, industriel, commercial et institutionnel doit être discuté démocratiquement et sa réalisation planifié collectivement pour déboucher sur une action rapide et efficace. Cette perspective s’oppose à la perspective de se contenter de faire de la recherche d’économies d’énergie des occasions d’affaires.
Les mesures prioritaires dans un premier mandat visent essentiellement les objectifs mentionnés ci-haut. C’est une vision très étroite des problématiques du cadre bâti face au réchauffement climatique et aux multiplications des événements météorologiques extrêmes qui risquent de se multiplier.
En cohérence avec les mesures d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre (GES), il est nécessaire de prévoir l’évolution du cadre bâti pour faire face aux incidents climatiques extrêmes comme les canicules ou les inondations. La création d’îlots verts dans les villes, la construction ou non en zone inondable, tout cela ne peut être laissé aux seuls mécanismes du marché.
Enfin, en ce domaine aussi, il faut que le plan de transition de Québec solidaire ne se limite pas à décrire les politiques d’un éventuel gouvernement solidaire, il doit savoir articuler les luttes des différents mouvements sociaux à l’objectif de l’économie d’énergie. Par exemple, la lutte pour des logements sociaux économes d’énergie et à zéro émission menée par des associations de locataires est un combat à soutenir dans une perspective de luttes aux changements climatiques. Le plan de transition a aussi comme tâche de pointer les luttes essentielles à mener à partir de la majorité populaire.
6. Une politique industrielle pour accélérer la transition énergétique
“Le secteur industriel québécois doit être mobilisé vers la transition énergétique. (…) Le gouvernement prendra la responsabilité d’identifier et de planifier le développement de secteurs stratégiques qui permettent de faire des pas importants vers la transition. Tous les secteurs de l’économie seront mobilisés.” p.48
On pose la possibilité pour un gouvernement la possibilité de planifier le développement de secteurs stratégiques. Mais la planification, autre qu’incitative, signifie un pouvoir sur les choix des investissements à réaliser, les choix de production, les choix des débouchés… et les interrelations privilégiées (chaînes d’approvisionnement) entre ces différents secteurs stratégiques à réaliser. Cette planification écologique n’est en rien définie ici. La question des rapports de propriété sur des secteurs stratégiques de l’économie qu’une telle planification publique et citoyenne implique est passée sous silence.
En fait, les secteurs suivants sont identifiés - contrôle public des mines de lithium et production de batteries et de camions électriques et développement de l’économie biosourcée (production de biocarburants à partir de résidus agricoles et forestiers.)
En fait, une économie des transports de marchandises et des personnes trains, tramway, autobus, camions, bateaux …) constitue avec celui de l’énergie et l’agriculture, les secteurs stratégiques pour opérer un tournant de l’appareil de production au Québec. La fourniture en énergie et en matières premières pourrait participer de la réorganisation de la production en amont… Mais curieusement, on passe complètement à côté de ce vaste chantier qu’on limite à la production batteries pour autobus et pour camions sans s’interroger sur les problèmes posés par la production de lithium.
“Un gouvernement solidaire participera à la reconversion de l’appareil productif vers des technologies propres par l’entreprise d’une bonification, dans un premier mandat, du Programme d’appui au développement des secteurs stratégiques et des créneaux d’excellence.” p. 51
Quand on lit la description de ce Programme d’appui, on se rend compte qu’il s’agit essentiellement d’appuyer les entreprises privées et les institutions publiques qui se mettent à leur service. Peut-on penser vraiment qu’on va reconvertir l’appareil production en faisant abstraction du contrôle et de la propriété publics ?
Le Plan parle de respecter la logique des grappes industrielles. Qu’est-ce que cela signifie pour la transition alors que l’on sait que la logique de ces grappes s’inscrit d’abord et avant tout dans une logique de compétitivité ?
7. Vers une plus grande indépendance énergétique
“Nous misons à la fois sur un ensemble d’incitatifs et d’interdiction pour induire des comportements positifs de la part des entreprises et de la population, mais aussi sur une planification territoriale qui permettra un arrimage entre aménagement et disponibilité des ressources d’énergie.” p. 58
Induire des comportements positifs des entreprises, c’est réduire l’ensemble la responsabilité gouvernementale à celle d’un groupe de pression qui laisse les décisions ultimes à des intérêts privés. Il ne s’agit pas ici d’une démarche de souveraineté populaire véritable alors que seule une telle démarche sur la question de l’environnement a le pouvoir de renverser réellement la situation actuelle. On parle donc essentiellement de rester dans le système économique actuel qu’on veut contraindre par des incitations et des interdictions. La réalité du pouvoir économique concentré dans les mains du capital financier et des grandes entreprises n’est pas contestée. On veut sortir de façon progressiste et planifiée au recours aux énergies fossiles.Que signifie progressiste dans ce contexte ? Qui va décider du rythme ? On sait que les industries pétrolières au Québec ont mis la main sur des parties importantes de l’énergie éolienne. Vont-elles accepter une dévalorisation de leur capital si elles en gardent le contrôle ? Vont-elles pouvoir ralentir le rythme de la sortie des énergies fossiles ? Il faut que le développement des énergies renouvelables se fasse à l’initiative de coopératives ou d’entreprises publiques démocratisées et régionalisées redevables devant la population. Ce que signifie la démocratie citoyenne dans la transition économique et écologique doit être précisée dans notre plan de transition.
Le programme parle de nationaliser sous contrôle citoyen l’énergie éolienne- pourquoi ne reprend-on pas cette revendication. Placer sous contrôle public est une expression qui peut prêter à plusieurs interprétations, il faut savoir aller plus loin.
Ici, on parle “d’un appui gouvernemental qui permettra à Hydro-Québec de mettre en place un programme favorisant l’achat et l’installation de panneaux solaires”. p-. 61
Ici aussi, ce texte n’est pas clair. Parle-t-on d’une industrie solaire sous contrôle citoyen au-delà d’une économie marchande. Le plan de transition ne présente pas une politique énergétique publique sous contrôle citoyen. Le rôle d’une société comme Hydro-Québec démocratisé comme responsable de l l’ensemble de la transition pas réellement défini. Dans ce texte, il n’est pas étonnant que le concept de planification énergétique ne soit pas au rendez-vous. . Un travail important d’élaboration reste encore devant nous.
8. Une transition solidaire et démocratique
Le Plan de transition de Québec solidaire deux objectifs dans la perspective d’une transition solidaire et démocratique :
“S’assurer que la transition bénéficie à l’ensemble des Québécoises et des Québécoises. - Faire en sorte que les travailleurs et travailleuses des secteurs délaissés par cette transition soient réaffectés à d’autres emplois.” p. 67
Le plan spécifie clairement que la transition doit bénéficier à l’ensemble des Québécoi-se-s, et être une transition juste pour les travailleurs et travailleuses. Mais, les modalités de l’implication citoyenne dans la transition elle-même restent un chantier en friche. On ne voit pas comment le plan peut permettre aux citoyennes et citoyens et aux organisations de la société civile (hormis le financement rehaussé aux groupes écologiques) des différentes régions du Québec pourront reprendre en main les décisions en matière d’énergie. Et on ne parle pas ici de consultation, mais de pouvoir de décision. On ne voit pas les modalités que pourrait prendre le soutien aux projets citoyens d’énergie renouvelable et d’efficacité énergétique. On ne soulève aucune proposition sur les budgets participatifs pour les villes et les régions en ce qui concerne la transition énergétique. On n’aborde pas la réduction du temps de travail -qui est pourtant dans le programme – comme nécessité pour faciliter l’implication citoyenne et démocratique dans cette transition. On ne dit rien sur la démocratisation d’une structure bureaucratique comme Transition Energie Québec (qui a d’ailleurs été abolie par le gouvernement Legault) et l’implication citoyenne au sein d’une institution de contrôle citoyen dans une transition réellement démocratique et ce au niveau local, régional ou national. On ne dit rien sur le rôle et le pouvoir des travailleuses et des travailleurs sur les choix en termes de développement et de transition… Bref, un immense travail reste à accomplir pour pouvoir parler réellement d’une transition solidaire juste et démocratique et sur les voies de l’implication citoyenne.
9. Sources de revenus
“Les systèmes de tarification du carbone, comme le Système de plafonnement et d’échange de droit d’émission (SPEDE) en place au Québec depuis 2015, sont critiqués pour leur impact limité sur la réduction des GES et leur effet régressif sur les ménages. Dans l’immédiat, le SPEDE sera néanmoins maintenu, puisqu’il constitue un apport de fonds important pour financer la transition.” p. 73
Les bourses du carbone sont conçues sur mesure pour les affairistes. La bourse du carbone relève de cette logique du tout au marché, qui soutient que tout doit passer par le marché et le jeu de l’offre et de la demande qui est présenté par plusieurs économistes comme la seule mesure régulatrice des échanges économiques et qui fait de la marchandisation du monde son leitmotiv. Cette logique a démontré plus d’une fois ses effets néfastes. Pourtant, la bourse du carbone est inefficace. Elle n’est jamais parvenue à faire baisser de façon significative les émissions de GES. Pour assurer un véritable financement de la transition, un plan de transition doit prévoir une réforme radicale de la fiscalité. Des mesures sont déjà identifiées et ont été portées par de diverses coalitions comme la coalition Main rouge par exemple . Mais il faut travailler dès maintenant avec les organisations citoyennes pour des mesures de redistribution de la richesse et pour constituer un véritable fond pour la transition sous contrôle citoyen : impôt sur le capital, les fortunes et les successions, sur les profits et les revenus élevés et la consommation de luxe… Il faudra des investissements considérables pour transformer radicalement l’appareil de production. Et pour mobiliser ces capitaux, il faut que le système bancaire assure sa vocation de service public. Il faut ouvrir la discussion sur la nécessité de socialiser les banques et les assurances.
Conclusion
“Devant toutes ces menaces, une croissance infinie dans un monde fini n’est pas un projet de société viable ni souhaitable, mais un cul-de-sac donc il est impératif de se sortir. En ce sens, on ne peut plus espérer patiemment un changement de cap ; il faut qu’il advienne dès maintenant." p. 78
Voilà à peu près la seule allusion de tout ce plan de transition sur la diminution de l’impact écologique par la fin de la croissance. Ce qui n’est jamais posé, et c’est quand même un peu ahurissant, c’est que nous vivons dans une économie capitaliste. Que ce système capitaliste est un système qui ne peut se passer d’une croissance infinie. Ce qui n’est jamais envisagé c’est que la rupture avec le croissancisme implique une rupture avec le capitalisme…
“Notre gouvernement orientera l’économie en fonction des besoins humains. p. 78
Mais quelles sont les conditions qui rendent possible cette intention. Aujourd’hui le capital financier domine une économie capitaliste. Ce système capitaliste est en train de détruire la planète par ses choix écologiques inacceptables. Les élites politiques vouées à sa défense s’avèrent incapables d’atteindre les cibles de réduction de gaz à effet de serre qu’elles se fixent elles-mêmes. Les organisations patronales défendent leurs investissements actuels dans les énergies fossiles. Les gouvernements subventionnent grassement les entreprises de ces secteurs.
"Nous jetterons les bases d’une économie respectueuse de l’environnement. Réaliser une transition écologique cohérente en affirmant notre souveraineté, c’est la meilleure manière de progresser en solidarité avec les peuples du reste du monde. " p. 79
S’il est bon de montrer que l’indépendance est un axe essentiel du combat pour la transition écologique et économique dans l’État canadien, on ne développe pas tout au cours de ce plan ce que cette perspective indépendantiste peut vouloir dire pour les objectifs que nous nous fixons. La nécessité d’une alliance contre l’oppression nationale dans l’État pétrolier canadien avec les nations autochtones et les Inuit ne peut pas être esquivée. Il faut reprendre les objectifs de la transition à la lumité de cette nécessité.
Tout au long de cette lecture critique, il est apparu qu’une véritable transition ne pourra pas ce faire que de haut en bas à partir des initiatives d’un gouvernement écologiste. Il faudra l’organisation militante sur une série d’objectifs et de pistes d’action, ici et maintenant pour pouvoir créer les conditions politiques et culturelles de cette transformation radicale de la société si nous voulons qu’une telle transition ait une chance de se réaliser.. En ce sens, un plan de transition doit se définir à la fois au nouveau gouvernemental, mais également au niveau social. Cette transition va nécessité une véritable révolution culturelle sur la définition de nos besoins et des valeurs défendues par cette société. Ce sont là des conditions de sa réalisation effective.
Il faut élargir nos horizons. « La transition économique et écologique ne sera pas le résultat de simples choix économiques et techniques. « C’est l’entièreté de notre manière d’habiter l’espace, de hiérarchiser nos priorités, d’envisager nos réjouissances, de condamner nos agressions, de considérer nos alter égo humains et non-humains qu’il faut revoir. C’est d’une révolution qu’il est question. Comment cesser de voir la nature comme une simple ressource ? Comment outrepasser notre propension à confondre des choix contingents avec un ordre nécessaire ? Et plus profondément encore, comment renverser le sens même de ce qui est indûment ressenti comme mélioratif ? Le défi est immense, incommensurable à tout autre. » [2]
Ouvrir un débat véritable
De cette lecture du Plan de transition économique de Québec solidaire, il découle qu’un débat véritable sur le Plan de transition doit tenir compte des préoccupations suivantes :
A. Comprendre qu’une analyse des fondements systémiques (capitalistes) de la crise climatique est nécessaire pour préciser les obstacles qui seront rencontrés et les solutions à avancer pour être à la hauteur de l’enjeu d’une transition véritable.
B. Reconnaître que les voies de la décroissance (ou sur la sobriété) dans la production et la consommation ne peuvent être ignorées.
C. Éclairer les conditions de la démocratie économique qui permettra à la majorité populaire de faire les choix essentiels sur les productions (types, quantités, techniques) et les formes de la consommation essentiels à l’élaboration démocratique d’un plan de transition.
D. Préciser que les luttes à mener aux niveaux local, régional, national et international doivent être des dimensions du plan de transition.
E. Établir que les modalités de financement de la transition doivent être définies indépendamment de la volonté de main-mise du capital financier sur cette dernière.
F. S’assurer qu’un plan de transition solidaire et démocratique soit à la fois un plan d’action visant la mobilisation populaire et un plan d’initiatives d’un gouvernement solidaire.
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