Trois idées principales fondent ma candidature :
Premièrement, il y a un espace, dans la société québécoise, pour un parti qui proposerait une « issue vers l’avenir », une possibilité de « décloisonner l’horizon ». Ceci se voit dans l’analyse de long terme des résultats électoraux : les quinze dernières années au Québec sont marquées par un désenchantement (qu’on appelle souvent cynisme). En d’autres termes, le parti qui présentera un programme en phase avec les défis du futur, avec les nécessités ressenties par la société québécoise dans toutes ses dimensions, ce parti-là pourra faire des gains importants. Le cynisme actuel n’est que la face cachée d’un désir de changement qui ne trouve pas d’issue. Nous pouvons être cette issue, mais :
Deuxièmement, pour grandir de façon significative, nous devons réussir à mieux « traduire » notre discours, à mieux le présenter et l’expliquer, pour être compris par une plus grande partie de la population (le fameux enjeu de la « crédibilité »). En pratique, il s’agit en bonne partie de montrer ce que notre programme peut apporter de positif à la population du Québec, de meilleur dans son quotidien. Le désenchantement dont j’ai parlé ci-dessus est trop souvent récupéré par des partis démagogues de droite, alors que nous avons le meilleur programme pour remplacer les ravages du néolibéralisme. Nous pouvons réussir ce travail de traduction si nous nous y mettons tou-te-s ensemble, en préparant collectivement 2018.
Troisièmement, et pour ces raisons, notre parti ne pourra pas grandir de façon significative sans un développement concerté de notre travail de communication au niveau national et de notre travail d’implantation au niveau local. Ce n’est pas deux porte-paroles que nous devons avoir, mais deux mille ! Car les grands réseaux médiatiques ne nous laisserons pas la place qui nous revient. De plus, la réussite à long terme de notre projet politique ne passe pas seulement par les urnes mais aussi par la rue. Notre implantation sur le terrain est donc fondamentale pour la réussite de QS. À cet égard, une attention toute particulière devra être accordée aux régions : notre développement hors de Montréal doit être un objectif prioritaire pour nous en 2018.
J’appelle cette approche « placer Québec solidaire dans la société ». Je m’en explique dans ce qui suit.
1. Dégager l’espace pour Québec solidaire
La plupart des membres de Québec solidaire sont convaincu-e-s, à bon droit, que notre parti doit réussir une progression importante en 2018, pour rester un acteur significatif dans le débat public québécois. Après dix ans d’existence, on s’attend de la part de Québec solidaire qu’il démontre sa capacité à convaincre une part nettement plus importante de la population québécoise du bien-fondé de ses propositions. D’autant que nos propositions peuvent améliorer le sort de la majorité des gens.
En termes d’analyse électorale, il s’agit de placer les enjeux de court terme dans un cadre de long terme. La scène politique est souvent dominée par des rebondissements ou des analyses de court terme, assez spectaculaires ou alarmistes, et qui occupent le devant de la scène.
Le danger est alors de s’orienter en fonction des urgences du présent, en perdant de vue des objectifs plus fondamentaux ou des tendances de fond. Citons trois exemples de soubresaut de court terme à replacer dans un cadre de plus longue durée :
a) La course à la chefferie du PQ et les « convergences »
La démission de PKP et la course à la chefferie du PQ crée une inconnue, et en fait un vide temporaire, à la tête du PQ. Mais la stratégie générale de ce parti va peu changer. En particulier, les appels à la convergence des souverainistes ne vont pas cesser.
Avec cette stratégie, il s’agit pour le PQ de s’adresser, par dessus notre tête, à l’électorat de QS, en prétendant que dans le fond les différences ne sont pas si grandes entre nos deux partis. Implicitement, le PQ se pose aussi comme le point de ralliement « naturel » de la famille souverainiste.
Ces appels jouent bien sûr sur la corde sensible et attrayante d’une potentielle troisième tentative vers l’indépendance du Québec. C’est un ressort puissant pour l’électorat souverainiste, et on nous presse d’écouter ces appels. C’est aussi une autre façon pour le PQ de parler de vote stratégique, deux ans à l’avance.
Ces appels à la convergence (et au vote stratégique) ne vont donc pas cesser, bien au contraire. Ils ne vont faire que s’amplifier, jusqu’aux élections. On va une fois de plus tenter de faire passer QS comme le trouble-fête souverainiste. Il y a là un piège dont il faut nous sortir.
Or, sans être dogmatique, on doit bien constater que les conditions pour une authentique convergence vers l’indépendance ne sont pas réunies. En premier lieu, il faudrait avoir un projet commun. Pour n’en citer qu’un, on sait l’obstacle que crée en ce moment l’approche identitaire du PQ.
C’est sur le projet de pays que nous pouvons avancer et faire valoir notre pertinence. Il est temps de montrer à toute la population québécoise – pas seulement aux souverainistes ! – que nous pouvons faire une proposition rassembleuse. Avancer une nouvelle offre qui corresponde à une société qui se métisse et à un monde qui se mélange. Ce n’est pas simple ! Des débats difficiles se trouvent en arrière-fond de ceci. Mais nous avons démontré que nous sommes capables de mener des débats difficiles.
Le PQ n’a pas un leadership naturel sur la souveraineté. En réalité, ils ne cessent d’échapper le ballon. À nous de le reprendre. Nous pouvons reprendre ce leadership, avec une approche différente, qui parle à tout le Québec et à la réalité actuelle du Québec.
b) Une majorité libérale automatique ?
Depuis six mois, on a beaucoup parlé d’une possible majorité libérale « automatique » pour les dix prochaines années, à la faveur d’une division du vote (surtout francophone) entre les autres partis.
Cette division du vote concerne surtout la CAQ et le PQ. Mais c’est un argument de plus en faveur du vote stratégique, à destination de l’électorat de QS. Car qui dans la gauche voudrait voir les libéraux reconduits ad vitam æternam ? Cet argument est d’autant plus fort qu’il se fonde sur une certaine vérité : la division du vote est intrinsèque à notre mode de scrutin.
Encore une fois, c’est notre pertinence qui est en jeu. Notre réponse à cela doit être de faire de la droite, des thèmes de la droite et des politiques de la droite notre adversaire principal. Il faut partir de la réalité vécue par la population, et cette réalité c’est le durcissement des conditions de vie causé par 40 ans de politique néolibérales et le saccage social du gouvernement libéral actuel.
Partout dans le monde occidental, ce sont des partis libertariens, démagogues, voire d’extrême-droite (en Europe surtout, mais aussi aux États-Unis avec Trump) qui récupèrent la légitime frustration des populations appauvries face aux ravages du néolibéralisme et au durcissement des conditions de vie. Au Québec, c’est la CAQ qui porte ce flambeau, ô ironie, alors qu’elle prône encore plus des mêmes solutions.
Nous devons viser à récupérer cette colère lancinante, pour la transformer en projet positif. En montrant les solutions que nous avons pour les difficultés concrètes de toute la population. Pour cela, il est nécessaire de « traduire » notre programme, de bien montrer les enjeux concrets de nos propositions, et de développer cette nouvelle rhétorique à l’échelle de tout notre parti. J’y reviendrai.
c) De nouveaux partis face au désenchantement
Plusieurs nouveaux partis pourraient encore venir compliquer la donne aux prochaines élections : le NPD-Québec, les « orphelins politiques » de Paul Saint-Pierre Plamondon, sont autant de tentatives de rejoindre des électorats que nous avons sans doute du mal à atteindre. Ily a là quelque chose d’anormal.
L’analyse de long terme confirme qu’il y a une large partie de la population qui est désenchantée et qui décroche des élections. Les « orphelin-e-s politiques » existent bel et bien, sauf que ce ne sont pas celles et ceux que Plamondon imagine.
De 1970 à 1998, pendant près de 30 ans, PQ et PLQ ont mobilisé jusqu’à 70 à 80 % des électrices et électeurs inscrit.es. Ces dix dernières années, ces deux partis ensemble déplacent moins de 50 % de l’électorat inscrit. Chacun a connu une baisse de longue durée de ses appuis bruts, perdant la moitié de son pourcentage de l’électorat inscrit (donc de son inscription dans la société) sur une durée de 20 ans pour le PQ, de 30 ans pour le PLQ.
Le PLQ a pu se ressaisir en 2014, mais surtout grâce aux erreurs de son adversaire. Sur le long terme, il semble que le néolibéralisme ne soit pas un projet qui suscite un grand enthousiasme dans les urnes. C’est toutefois le discours populiste et libertarien de l’ADQ qui a profité de l’espace ainsi dégagé.
Dans le même temps, le taux de participation a baissé de 11 % en moyenne aux élections générales, dans la période 2000-2014, si on le compare aux trente années précédentes, dominées par le débat constitutionnel.
On a vu plus haut qu’on peut situer l’origine de ce désenchantement dans les « succès » désastreux du néolibéralisme. Mais aussi dans un projet indépendantiste dévoyé (le PQ perd des voix en masse depuis 2003, et encore en 2014 sa valse-hésitation sur le référendum, et la Charte des valeurs, ont fait fuir une partie de l’électorat péquiste dans l’abstention).
Une formation qui saurait porter les rêves non assouvis d’une bonne partie de la population pourrait avoir un grand avenir. Nous pourrions être cette formation, à condition de parvenir à sortir de notre périmètre de parti militant. C’est pourquoi il faut transformer notre discours et nous placer tout entier dans la société.
2. La transformation du discours
La difficulté est de dépasser notre électorat naturel, de gauche, pour rejoindre des personnes qui sont moins familières avec nos idées ou moins convaincues par notre approche.
Ce qui pèse sur nous ici, c’est tout l’appareil de propagande que la droite a su déployer au cours des décennies passées, et qui modèle la pensée et le débat public dans la plupart des pays occidentaux. Nos idées ont du mal à passer. Mais ce qu’on critique le plus souvent, ce n’est pas la valeur intrinsèque de nos idées, c’est leur valeur subjective.
Il faut donc s’attaquer à cette perception défavorable de nos idées et de notre parti. En particulier, en montrant ce que nos solutions peuvent apporter à la population. En occupant des terrains où on ne nous attend pas. En cherchant à prendre le leadership sur certains enjeux. Il s’agit de placer nos idées au centre du débat.
Mais il ne s’agit pas seulement de discours, il s’agit aussi de méthode : les grands médias ne nous laisserons pas expliquer en détails nos propositions, et ce qu’elles pourraient apporter de positif à 80 ou 90 % de la population. C’est donc sur nous-mêmes que nous devons compter pour atteindre directement un maximum de personnes, sur le terrain, via nos membres, nos militant-e-s et nos sympathisant-e-s.
3. Le parti comme outil de transformation
Pour faire grandir un projet politique qui va radicalement à contre-courant des intérêts dominants dans la société, il faut réussir à implanter ces idées, à promouvoir ce projet dans la population et dans la société.
Cette réussite dépend de tou.te.s nos membres et de tou.te.s nos militant.es, et de la façon dont nous conjuguons le parti des urnes et le parti de la rue. Non seulement la politique est un jeu collectif. Mais la réussite d’un projet politique comme le nôtre ne dépend pas non plus uniquement d’une stratégie électorale et parlementaire.
Le travail de conviction passera par la conversation, le dialogue patient, à travers des milliers et des milliers de militant-e-s, de porte-paroles locaux et de simples membres. Toutes ces personnes, il faut les équiper et les soutenir, et nous savons que cette demande est très pressante dans QS. Nous devrons peut-être réorienter une partie de nos moyens nationaux vers le travail politique de terrain, à l’échelle locale. En plus d’une stratégie électorale, il faut donc (re)penser l’organisation de notre parti.
Très pragmatiquement, cette emphase sur l’implantation locale aura aussi pour effet de faire émerger nos leaders, nos porte-paroles de demain. Françoise et Amir ont exprimé quelques fois le souhait, très légitime et très sain, de voir d’autres personnes prendre leur relève prochainement. Or on ne voit pas de réponse évidente à ce souhait, alors même que nous ne manquons pas de personnes talentueuses dans QS ! Nous tardons sans doute à faire émerger nos leaders et porte-paroles de demain, et à leur donner les moyens de se faire connaître.
Ceci est particulièrement vrai dans les régions, car pour établir Québec solidaire comme un grand parti, il faut l’implanter dans tout le Québec. Il faut donc accorder une attention particulière à la façon dont notre parti peut s’implanter en dehors de Montréal. Ceci peut nécessiter des adaptations locales de notre stratégie de communication comme de nos liens avec les mouvements sociaux. Les nécessités peuvent varier au niveau local. Mais quoi qu’il en soit, ce doit être une priorité. Nous gagnerons à l’échelle de tout le Québec, et tou-te-s ensemble.
C’est ce que j’appelle « se placer dans la société ». C’est-à-dire quitter le giron du parti militant pour placer ce parti proche des gens, proche de leurs préoccupations, capable de parler un langage compréhensible au plus grand nombre. Et ensemble, plus nombreuses et plus nombreux, lutter pour changer les choses.
C’est ainsi que nous pourrons gagner. En 2018, et après.
Jean-Marie Coen, 25 mai 2016