Édition du 17 décembre 2024

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Environnement

Pipelines au Québec : choc, stupeur et résistance

Choc et stupeur : doctrine basée sur l’écrasement de l’adversaire à travers l’emploi d’une très grande puissance de feu, la domination du champ de bataille et des manœuvres, et des démonstrations de force spectaculaires pour paralyser la perception du champ de bataille par l’adversaire et annihiler sa volonté de combattre. (Source, Wikipedia)

L’auteur est directeur général pour le Québec de la Fondation David
Suzuki et président du Projet de la Réalité Climatique d’Al Gore pour le Canada.

Par un beau soir de juillet, les Québécois ont découvert avec consternation que le Québec était devenu l’une des nouvelles voies privilégiées d’exportation du pétrole de schiste américain et du pétrole albertain issu des sables bitumineux. Ils ont aussi découvert que le passage de pétrole en sol québécois n’était pas sans risques. Depuis cette date, ils ont vu se déployer la stratégie de choc et stupeur de l’industrie pétrolière pour occuper le territoire québécois. Le Québec est devenu une pièce clé sur l’échiquier géostratégique du pétrole, une pièce qui doit être prise. Chronique d’une occupation annoncée.

Acte 1 : Ground Zero

La tragédie de Lac-Mégantic est le Ground Zero de la question pétrolière au Québec. Une ville paisible détruite. Près de 50 décès. La catastrophe industrielle la plus grave au canada en plus d’une génération. Le plus grand déversement de pétrole terrestre de l’histoire nord-américaine. L’idée que ce pétrole extrait au Dakota du Nord, et destiné au Nouveau-Brunswick ait détruit une ville québécoise a frappé l’imaginaire de beaucoup de Québécois. Le Québec subit déjà les risques du transit sur son territoire d’un pétrole destiné à d’autres marchés. Le réveil est brutal. Ce qui paraissait lointain frappe maintenant le cœur même du Québec.

Acte 2 : la propagande

Alors que les pompiers combattaient toujours le brasier de Lac-Mégantic au péril de leur santé, la propagande pétrolière s’est déployée sur le Québec. Saisissant l’occasion, le lobby pétrolier s’est servi de la catastrophe pour promouvoir le transport de pétrole par pipeline. Des efforts ont aussi été faits pour éviter un post mortem qui permettrait de faire la lumière sur l’ensemble des risques liés au transport de pétrole en sol québécois. On a allégué que Lac-Mégantic était un accident isolé causé par une seule entreprise, que le rail devait être seul au banc des accusés, que les déversements étaient inévitables et qu’ils faisaient partie des risques que nous devons accepter pour assouvir notre soif de pétrole, et que les pipelines étaient plus sécuritaires. Peu de journalistes ont abordé de front la nécessaire diminution de notre dépendance au pétrole ou l’acceptabilité sociale des risques liés à son transport.

Acte 3 : l’offensive

Quelques semaines plus tard, fin juillet, Transcanada annonce en direct de l’Alberta qu’elle a l’intention d’acheminer 1,1 million de barils de pétrole à travers le Québec pour l’exporter à l’étranger. Une annonce irrespectueuse alors que le deuil des victimes de Lac-Mégantic n’est même pas terminé. Mais les marchés financiers ne peuvent plus attendre. Les intérêts chinois, néerlandais, américains et coréens qui détiennent aujourd’hui 71% des sables bitumineux n’attendront pas. Une petite ville, cinquante victimes et quelques arpents de neige ne les ralentiront pas.

Acte 4 : la capitulation

Dès l’annonce du projet par Transcanada, les élites économiques, politiques et médiatiques québécoises se sont empressées d’endosser le projet, sans exiger aucune contrepartie de la part de l’entreprise. Alors que le président Obama rejette le projet Keystone XL de Transcanada qui ne créera que 50 à 100 emplois en période d’opération, et que la Colombie-Britannique a exigé une part plus importante des retombées économiques, pour Northern Gateway, le gouvernement du Québec, les partis d’opposition, La Presse et plusieurs autres ont béatement annoncé leur soutien au projet.

Il y a 40 ans, le Québec avait négocié à fort prix le passage de l’électricité de Terre-Neuve sur son territoire. Aujourd’hui, il offre un passe-droit à Transcanada sans même négocier les conditions de ce passage. Le Québec se contentera de regarder couler des centaines de milliards de profits vers la mer. C’est Churchill Falls à l’envers, ou la capitulation économique : « Messieurs les Albertains, passez les premiers ».

Prologue : la pacification

L’offensive pétrolière était planifiée de longue date. Dans ses budgets de 2012 et 2013, le gouvernement fédéral avait levé la plupart des obstacles à l’approbation de projets d’oléoducs. De nombreuses lois et réglementations qui protégeaient les cours d’eau, les écosystèmes et la santé humaine ont été démantelées. Les évaluations environnementales ne sont plus que formalités, et des obstacles administratifs ont été introduits pour limiter la participation des citoyens et des groupes de défense de l’environnement. Le gouvernement fédéral a aussi lancé l’Agence du Revenu aux trousses des groupes écologistes, en plus de les qualifier de radicaux sous influence étrangère. Les oléoducs peuvent maintenant traverser nos rivières et nos communautés sans évaluation scientifique rigoureuse et sans consentement informé des populations.

Épilogue : la résistance

Devant une telle offensive, nombreux sont les Québécois qui sont aujourd’hui résignés à voir passer chez eux, dans les pipelines d’Enbridge et de Transcanada, 1,4 million de barils de pétrole par jour, soit l’équivalent de la production actuelle de pétrole des sables bitumineux, ou trois fois et demie la consommation journalière du Québec. La stratégie de choc et stupeur a fonctionné et plusieurs ont perdu la volonté de s’opposer avant même que le projet soit débattu démocratiquement.

Mais la résistance s’organise, dans l’Outaouais, en Mauricie, dans Portneuf, Bellechasse, ou à Kamouraska où 150 personnes ont assisté la semaine dernière à une rencontre d’information citoyenne. Les Québécois ont le droit de déterminer démocratiquement s’ils accordent ou non la permission à l’industrie pétrolière - et à quelles conditions - d’utiliser leur territoire, de traverser leurs rivières pour accéder aux marchés mondiaux. C’est à eux de décider s’ils souhaitent être exposés au risque de transport de pétrole dans leurs villes et leurs villages. C’est aux Québécois aussi d’accepter ou non que passe sur leur territoire un projet qui pourrait doubler la production des sables bitumineux de l’Alberta, au moment même où la communauté scientifique sonne l’alarme sur les seuils de non-retour que nous sommes sur le point de dépasser et qui mèneront au dérèglement irréversible du climat.

Après le choc et la stupeur, il est temps de relever la garde pour faire savoir à l’industrie pétrolière que les Québécois sont maîtres chez eux.

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