Édition du 17 décembre 2024

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Pas de contribution commune sans participation commune

tiré de : Entre les lignes et les mots 2018 - 21 - 9 juin : Notes de lecture, textes, pétition, appel et annonce

Publié le 8 juin 2018

Réforme fiscale ou contre-révolution fiscale, les baisse d’impôts contenues dans les récentes lois de finance garantissent une hausse de revenus pour celles et ceux qui possèdent déjà le plus de richesses. De nouveaux privilèges fiscaux pour les privilégié·es, une redistribution à l’envers…

« L’objectif de ce livre est de montrer en quoi la justice fiscale, qui serait fondée sur un système fiscal véritablement consenti par la population, car équitablement réparti en proportion des facultés de chacun, et assurerait un bien-être collectif et individuel, est non seulement possible à mettre en œuvre mais absolument nécessaire ». Il faut donc privilégier les impôts directs et leur progressivité, lutter contre l’évitement de l’impôt « c’est à dire la fraude et l’optimisation fiscales ».

Je souligne en proportion des facultés de chacun·e, ce qui implique l’imposition individuelle des personnes, et la rupture à la fois avec la notion de foyer fiscal, les quotients conjugal et familial (voir les chapitres « Le quotient conjugal au détriment des femmes », « Le principe d’égalité entre les femmes et les hommes bafoué », « Un frein identifié à l’emploi des femmes »). L’impôt basé sur le revenu du foyer est bien « une discrimination indirecte envers les femmes ».

Les auteur·es présentent l’impôt comme « une contribution commune ». (Elles et ils) Iels discutent, entre autres, de la proportionnalité, de l’assiette de calcul, des liens indissociables entre consentir à l’impôt et droit de répartition de l’impôt, du commun, « Tous les citoyens ont le droit de concourir à l’établissement des contributions, d’en surveiller l’emploi, et de s’en faire rendre compte » (juin 1793).

Je n’aborde que certains éléments.

Les injustices fiscales, la place minoritaire des impôts progressifs, la fiscalité sur les revenus (IR) marginalisée, le patrimoine peu imposé, l’impôt sur les sociétés (IS) à base restreinte et grevé de multiples dérogations fiscales (dont le régime d’intégration fiscale,) les taux de l’IS en forte baisse au sein de l’Union européenne… « En matière d’IS comme d’IR, la réalité du « poids » de ces impôts directs dans le PIB est faible ». Les auteur·es insistent à juste titre sur la TVA, principal impôt en France, impôt globalement régressif.

Les entreprises et leurs actionnaires sont particulièrement assistée grâce aux règles comptables et fiscales, aux allégements nichés (voir le chapitre « Profusion de niches pour les entreprises les plus riches »), au CICE et au CIR « Cadeaux fiscaux chers et inefficaces », à l’assiette de calcul restreinte, aux durées d’amortissements des biens (sans oublier les amortissements dégressifs ou les régimes d’amortissements exceptionnels), aux diverses provisions, aux frais généraux déductibles comptablement et fiscalement. Il convient d’ajouter le recours au crédit-bail et aux locations financières ou aux chaines de sous-traitance, encore plus avantageuses en termes de comptabilité et de minimisation des résultats. Les auteur·es soulignent aussi, le développement de « zones franches » (zones franches internationales et zones franches urbaines), véritables zones de « non-droit » fiscal, la concurrence menée par les collectivités locales pour attirer les implantations, les aides distribuées, le rôle de collecteur d’impôt des entreprises « nouveaux fermiers généraux », les « fraudes légales » grâce à l’« optimisation fiscale » et la complexité des montages financiers (ingénierie financière et utilisation des prix de cession ou de transferts)…

Iels traitent, entre autres, les reports de gestion de l’Etat sur les collectivités locales (sans report de toutes les ressources), la limitation des dépenses publiques, la non-révision des bases de la taxe d’habitation (qui va être supprimée pour celles et ceux qui y sont assujetti·es) et des impôts fonciers, le développement de l’autonomie fiscale des grandes métropoles (l’autre face d’un certain fédéralisme et d’une certaine décentralisation), la concurrence fiscale au niveau européen, l’interaction des intérêts publics et privés…

Mais l’assistanat ne suffit pas aux entreprises et aux actionnaires, les montages financiers visant à éviter l’impôt non plus. Des groupes recourent aussi à l’évasion fiscale ou à la fraude directe. Des cabinets (d’ingénierie financière et fiscale) travaillent à exploiter toutes les failles des conventions fiscales bilatérales, à localiser des opérations dans les différents paradis fiscaux, à user et abuser des prix de transfert, à négocier à l’avance « Tax ruling » le traitement fiscal dans certains pays. Du grand banditisme en « bande organisée » à l’ombre du « secret bancaire »…

Tout cela s’accompagne d’une propagande sur le trop d’impôts, de refus des écotaxes, d’activité de lobbying auprès de l’administration de l’Union européenne, du développement du « secret des affaires » (en complément possible : La loi sur le secret des affaires est un danger pour nos libertés fondamentales, la-loi-sur-le-secret-des-affaires-est-un-danger-pour-nos-libertes-fondamentales/ ; Appel contre la directive européenne sur le « secret des affaires », appel-contre-la-directive-europeenne-sur-le-secret-des-affaires/), de la mainmise de quatre grands cabinets internationaux… sans oublier la baisse des moyens et des effectifs de la Direction générale des Fiances publiques (DGFiP).

L’injustice fiscale est bien un choix politique. Les déficits publics ne sont pas dûs à une augmentation des dépenses (elles sont plutôt stagnantes depuis 25 ans en termes de pourcentage de la richesse produite) mais bien de la baisse organisée des impôts, des ressources, au profit des plus riches.

Baisse des ressources, dégradation des services publics, aggravation des inégalités, report des activités sur les femmes dans la sphère dite privée. Et les contre-réformes du gouvernement Macron ne vont qu’aggraver la situation du plus grand nombre au seul profit des ménages les plus riches et des entreprises (donc à leurs actionnaires).

La seconde partie du livre est consacrée à des mesures concrètes pour un impôt plus juste, à la rupture avec une particularité française faite de taux nominalement élevés et d’assiettes de calcul faibles. « Engager une réforme fiscale suppose donc de réunir plusieurs conditions : définir une orientation claire, mener une large campagne d’information publique concentrée sur ses effets dans les domaines budgétaire, économique, social et environnemental, établir un calendrier précis ». C’est autour de ces propositions ou d’autres que le débat public devrait s’engager. Les auteur·es versent à la discussion de nombreuses formules. J’en énonce quelques-unes, progressivité d’ensemble du système fiscal, barème rénové avec une dizaine de tranches (je pense qu’il ne devrait y avoir qu’une seule tranche pour les revenus inférieurs au salaire minimum revendiqué et une imposition à un taux symbolique) à progressivité régulière, suppression ou réforme du quotient familial, paiement direct aux services fiscaux, articulation des fiscalités du patrimoine et des revenus, baisse de la TVA immédiate pour les produits de première nécessité, inclusion de l’ensemble des actifs (immobiliers, mobiliers et financiers) pour l’assiette d’imposition du patrimoine, réduction des écarts d’imposition entre PME et grandes entreprises, imposition des bénéfices là où ils sont réalisés, autonomie fiscale des collectivités locales et renforcement de la péréquation, fiscalité écologique en vue de réorienter l’appareil productif, harmonisation européenne, création d’impôts européens, coopération fiscale mondiale et mise à l’index des paradis fiscaux (et pourquoi pas retrait des licences pour les banques qui y ont des établissements), cadastre financier mondial, taxation des transactions financières, renchérissement des coûts des kilomètres parcourus par les marchandises et des kilobytes pour les transactions numériques, levée de l’anonymat pour combattre la fraude, protection des lanceurs et des lanceuses d’alertes, sanction des délits fiscaux, abrogation du « verrou » de Bercy (en complément possible, Verrou de Bercy : Stop à l’impunité pénale pour les fraudeurs fiscaux, verrou-de-bercy-stop-a-limpunite-penale-pour-les-fraudeurs-fiscaux/) et placement du contentieux fiscal dans la compétence première de la justice, divulgation des identités des délinquant·es… soutien aux actions citoyennes et de désobéissance civile.

L’impôt est l’affaire de toustes les citoyen·nes, la réforme du système fiscal doit permettre à ce que chacun·e contribue en raison de ses facultés pour financer l’« action publique » pour toustes, cette action relevant elle-même des débats et des choix démocratiques.

D’autres éléments me semblent devoir aussi être plus frontalement abordés. Premièrement la suppression du droit de transmission (héritage) au delà d’un certain montant, dont le(s) barème(s) devrai(en)t être fixé(s) après un large débat démocratique, la transmission de patrimoine contribuant au renforcement des inégalités.

Un point particulier concerne les droits de la « propriété intellectuelle » et leur transmission. Au nom de quoi quelqu’un·e qui n’a contribué en rien à la création d’une œuvre, d’un procès de production, d’une découverte, pourrait individuellement en retirer des avantages ?

Si les barèmes des impositions relèvent du débat et de choix démocratiques, il en va de même de l’usage des sommes recueillies. Au delà des débats et des votes des budgets, chacun·es pourrait, a minima, indiquer sur sa déclaration, les postes à supprimer, à réduire ou à augmenter. Et ces choix devraient être statistiquement rendus public, « ce n’est pas uniquement le paiement de l’impôt qui fait le citoyen, mais aussi la répartition directe à son établissement et à sa répartition, au contrôle de son recouvrement et de son affectation ».

Il faudrait aussi interroger la citoyenneté et les droits y afférents de celles et ceux qui choisissent de se faire imposer dans un autre pays.

Reste une question, que je pose maintenant à toustes les auteurs et autrices, pourquoi ne pas utiliser une écriture plus inclusive ? – le point médian, l’accord de proximité, les citoyen·nes, pour rendre visibles les unes et les autres, les iels et toustes et interroger aussi, au prisme du genre, la fiscalité.

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Attac : Toujours plus pour les riches

Manifeste pour une fiscalité juste

Coordonné par Isabelle Bourboulon, Vincent Drezet et Dominique Plihon.

LLL – Les liens libèrent, Paris 2018, 288 pages, 13,80 euros

Didier Epsztajn

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