Édition du 19 novembre 2024

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Panama papers

Une synthèse des réactions aux révélations des panama papers

Panama papers – indignation hypocrite et... feindre l'action

Les révélations entourant la publication des Panama papers ont créé la commotion dans la population et au sein de l’oligarchie. Ces révélations ouvrent un peu la porte sur l’opacité des secrets bancaires, commerciaux et autres, et des trucs utilisés par le 1% pour éviter de contribuer leur « juste part » dans les budgets publics et s’enrichir encore davantage. Comment les grands médias, les organismes internationaux et les défenseurs de cette élite réagissent-ils ? Voyons voir...

Le gouvernement canadien a annoncé par le biais de la ministre du Revenu national, Diane Lebouthillier a annoncé [1] son intérêt à « consulter » les Panama papers. Elle souhaite « consacrer près de 800 millions de dollars additionnels sur cinq ans pour lutter contre l’évasion fiscale. Plus de la moitié de cet argent – soit 444,4 millions de dollars – a été mis de côté pour embaucher plus de vérificateurs et de spécialistes en plus d’améliorer les travaux d’enquête de l’ARC. » Le gouvernement fédéral prétend ainsi récupérer plus de 2,6 milliards $ au cours des 5 prochaines années. La ministre s’est engagée à « maîtriser l’évitement fiscal » et « casser l’évasion fiscale », tel que promis en campagne électorale. Devant tant de détermination, on sent déjà la frayeur au sein de l’oligarchie...

Le ministre fédéral des finances Bill Morneau a admis [2] que les paradis fiscaux fut l’un des thèmes discutés lors de la plus récente réunion du G20. Le communiqué émis à la clôture de cette réunion [3] n’évoque aucune sanction économique contre les pays qui font preuve de laxisme fiscal. Le même communiqué cible les pays comme le Canada qui ne font aucun effort pour identifier les intérêts derrière les sociétés-écrans qui contribuent à l’opacité de l’évasion fiscale. Un récent rapport du groupe Transparency International reproche au Canada de ne pas tenir compte de nombreuses normes internationales établies par le G20. Il affirme que la loi canadienne ne définit pas de façon appropriée le concept de propriété effective, qui concerne la véritable identité des personnes retirant des bénéfices d’une entreprise. Il ajoute que les autorités canadiennes ne sont pas obligées de retracer l’identité de ces gens [4] et ne peuvent pas y avoir accès facilement. Selon les Canadiens pour une fiscalité équitable [5], un organisme en faveur d’une plus grande transparence sur le plan fiscal. Les paradis fiscaux coûtent environ huit milliards de dollars par année à Ottawa et aux provinces, soit deux pour cent de leurs revenus annuels.

Il est donc admis que le Canada offre une complaisance sans bornes lorsque vient le temps de créer une société-écran anonyme. Que le gouvernement fédéral a créé les conditions pour une telle complaisance, même le premier ministre d’alors Paul Martin avait contribué au phénomène [6] en faisant inscrire la flotte de Canadian Steamship Line dont il était propriétaire au Liberia puis à la Barbade. Plus globalement, Alain Denault a fait la démonstration de la complaisance du Canada pour l’industrie minière. Comment peut-on prendre au sérieux un pays au passé aussi peu reluisant lorsque vient le temps de s’engager à contrecarrer le phénomène ?

Comble du hasard (?), dès les premiers jours des révélations sur les activités du cabinet Mossack Fonseca, l’Union européenne avait la solution toute trouvée pour faire obstacle à l’évasion fiscale. En effet, à l’initiative du Parti populaire européen (droite), le parlement européen a adopté le 14 avril dernier une mesure que renforce le secret commercial-> [7] !!! Les pays membres de l’UE auront 2 années pour introduire cette disposition dans leurs législations nationales, bouclant ainsi à double tour le verrou les dessous des tractations des entreprises privées. Une pétition initiée par des journalistes réunis autour du collectif « Informer n’est pas un délit » a obtenu plus de 310 000 signatures-> [8] l’année dernière. Ceux-ci craignent avec raison d’être l’objet de poursuites dans les cas d’enquêtes qui révéleraient des manœuvres illégales d’entreprises qui pourraient ainsi évoquer la défense du secret commercial comme protection contre les enquêtes journalistiques.

Reprenant la fable de la transparence des comptes, la Commission européenne entend forcer les entreprises à publier leurs résultats financiers et leurs profits pays par pays [9] afin de réduire les transferts de profits vers des pays dotés d’une fiscalité plus complaisante. Une telle disposition existe toutefois en ce qui concerne les banques et les sociétés minières sans que ces secteurs ne soient à l’abri de pratiques d’évasion fiscales. Et à ce jour, il n’existe aucune liste de paradis fiscaux en Europe [10].

L’OCDE menace [11] quant à elle d’inscrire le Panama, le Liban et le Vanatu sur la liste des pays « non coopératifs ». Cette simple menace serait suffisante pour ramener ces pays à de meilleures pratiques. Sauf que dans les cas de pays déjà inscrits à cette liste, le Bahrein ou le Bruneï par exemple, on ne peut dire que ces mesures pèsent lourd dans la balance des décisions fiscales de ces juridictions. Il suffit de consulter cette liste noire [12] pour constater que les pays qui y figurent n’ont pas de soucis avec les autorités et pratiquent le « business as usual » comme si de rien n’était.

Le président Obama s’est engagé pour présenter un plan de lutte contre l’opacité des société-écrans [13]. Les Etats-Unis érigent l’hypocrisie en vertu alors que le pays possède ses propres paradis fiscaux domestiques que sont le Delaware ou Wyoming. Ce qui n’empêche pas les entreprises américaines de faire appel à des pays à la fiscalité complaisante [14] autant qu’il le faut. D’après le document publié par Oxfam, les cinquante plus grands groupes américains détiennent ainsi plus de 1 600 filiales dans des paradis fiscaux, qui totalisent des avoirs de 1 400 milliards de dollars. « Il ne s’agit que de la partie émergée de l’iceberg », souligne toutefois l’organisation, qui rappelle que la Securities and Exchange Commission (SEC), le gendarme de la Bourse américaine, n’oblige à déclarer que les filiales où les investissements représentent plus de 10 % des actifs consolidés d’un groupe ou bien celles dont les revenus sont supérieurs à 10 % de ces mêmes actifs. Les mesures proposées par Obama forceraient entre autres les banques à exiger de leurs clients qu’ils identifient le réel bénéficiaire d’une société nouvellement formée avant d’ouvrir un compte. Cette mesure donne cependant suffisamment de latitude pour contourner ce processus d’identification. On y opposera par exemple le principe du secret commercial et/ou industriel et le tour sera joué. Par ailleurs, Bernie Sanders a accusé Hillary Clinton [15] d’être en partie responsable du scandale des Panama papers car l’accord de libre-échange des États-Unis avec le Panama, soutenu selon lui par l’ancienne secrétaire d’État, avait « rendu plus facile, pour les personnes fortunées et les sociétés partout dans le monde, d’éviter de payer des impôts dus à leur pays », comme l’ont révélé les « Panama Papers ».

Les dirigeants de la Banque mondiale font quant à eux face aux effets des révélations des Panama papers [16]. En effet, les documents publiés par le consortium des médias montrent que 51 entreprises sur les 60 qui ont obtenu des prêts de la Banque mondiale destinés au financement de projets de développement en Afrique subsaharienne ont fait transiter cet argent par des places financières considérées comme des paradis fiscaux, à l’instar de l’île Maurice. Oxfam explique que ces entreprises ont reçu plus de 80 % des 2,87 milliards de dollars octroyés pour l’Afrique subsaharienne en 2015 par la Société financière internationale (SFI), la branche de la Banque mondiale qui accorde des prêts aux compagnies privées. Selon le rapport de l’ONG, ces entreprises auraient ensuite utilisé des « intermédiaires financiers opaques » afin de transformer les prêts reçus en investissement étranger direct, de manière à pouvoir bénéficier d’allègements fiscaux dans les pays où elles sont censées investir. Un porte-parole de la Banque mondiale a répliqué que « l’utilisation appropriée des centres financiers offshore peut permettre de mobiliser davantage de capitaux privés pour des investissements qui aident les personnes les plus pauvres ». Rien pour contredire les informations contenues dans le rapport d’Oxfam à la source de ces révélations. D’ailleurs l’orientation de l’aide de la Banque mondiale à la lutte à la pauvreté est aussi clairement mise en doute par plusieurs ONG [17].

Même le Panama, au centre des révélations sur le cabinet Mossack Fonseca, se défend dans une lettre de la ministre des affaires étrangères Isabel de Saint Malo de Alvarado [18] d’occuper la place qu’on lui attribue dans ce scandale. Elle souhaite un renforcement du système financier de Panama « afin de minimiser le risque de détournement. » Comme si l’évasion fiscale était le résultat de mollesse des banquiers.

Plusieurs dirigeants de pays sont montrés du doigt parce qu’ils sont personnellement impliqués ou que des membres de leur entourage immédiat y sont associés. Le premier ministre David Cameron (Grande-Bretagne), Vladimir Poutine (Russie), José Manuel Soria (ministre espagnol de l’industrie). Joseph Muscat (premier ministre de l’Île de Malte), Arseni Iatseniouk (premier ministre ukrainien) et bien sûr Sigmundur David Gunnlaugsson (premier ministre d’Islande) ont ainsi dû admettre leur implication et démissionner, sauf Poutine qui y voit un complot pour nuire à sa présidence.

Mais au-delà de cette agitation qui s’explique par l’appréhension des dirigeants face à leurs propres peuples choqués par les révélations entourant les Panama papers, les politiciens au service de l’oligarchie et les membres du 1% n’ont pas l’intention de baisser les bras. Bien malin celui ou celle qui prévoit le prochain geste des conseillers de cette couche privilégiée mais parions que les cabinets conseils et les stratèges de la magouille trouveront de nouveaux trucs pour contourner les lois et règlements érigés suite à ces révélations. Seule une mobilisation populaire pourrait permettre d’imposer un nettoyage du secteur bancaire, des entreprises de service qui se font une spécialité de mettre à l’abri des regards la fortune des riches et des puissants. Et à terme, le dépassement du capitalisme permettrait d’éviter les repousses du phénomènes. Mais ça, ça ne viendra pas du FMI et autres OCDE.


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