Édition du 19 novembre 2024

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Panama papers

Evasions panaméennes : le rôle méconnu d’accords de « libre-échange » made in USA

Les « Panama papers » semblent pour l’instant minorer l’évasion fiscale étatsunienne. Il y a à cela diverses raisons qui n’ont rien à voir avec un mythique complot de la CIA. L’une d’elles est que l’évasion fiscale, bel et bien pratiquée par les firmes et les riches citoyens américains, peut se faire… sans quitter le pays, en bénéficiant de paradis fiscaux internes comme les états du Delaware ou du Wyoming. D’autres bonnes explications sont fournies par Marina Walker Guevara, la directrice adjointe du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) qui a coordonné l’enquête journalistique sur cette fuite massive de documents (qui n’ont pas encore été tous épluchés, de sorte que de nouvelles révélations sont probables).

Tiré du site d’Alternatives économiques.

On peut toutefois déjà établir un lien entre cette affaire du Panama et l’influence des lobbies financiers étatsuniens. Presque personne n’en parle, et pourtant, depuis des années, ces lobbies ont obtenu des gouvernements américains successifs, en commençant par celui de Georges W. Bush (mais Barack Obama et Hillary Clinton, comme Secrétaire d’Etat de ce dernier, ont mis la touche finale sans sourciller), qu’ils fassent pression sur de petits états d’Amérique centrale amenés à signer deux accords dits de libre échange directement inspirés de l’ALENA (accord entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique, en vigueur depuis 1994).

Le premier est l’accord CAFTA, qui, contrairement à l’ALENA, n’est jamais cité dans les débats actuels autour du traité transatlantique ou TAFTA, de son cousin avec le Canada le CETA, ou encore celui sur la libéralisation des services ou TISA. Le second, encore plus inconnu, est justement un accord signé avec… le Panama.

Le CAFTA, ou pour l’écrire en entier le DR-CAFTA, est un accord signé entre les Etats-Unis et cinq « petits » pays d’Amérique centrale (Costa-Rica, Guatemala, Honduras, El Salvador, Nicaragua), plus la République dominicaine. Il est effectif depuis 2009. Son nom officiel est le « Central America-Dominican Republic Free Trade Agreement ». J’en reparlerai.

Libre-échange avec le Panama (TPA) = amplification organisée de l’évasion fiscale

Le second accord, effectif depuis octobre 2012, mais déjà négocié sous l’administration Bush, est plus directement lié au scandale des Panama papers. C’est, en anglais, le « United States/Panama Trade Promotion Agreement (TPA) », ainsi présenté par l’administration américaine : « un accord de large libre échange qui élimine les tarifs douaniers et supprime les barrières aux services des USA, Y COMPRIS LES SERVICES FINANCIERS ».

Pourquoi tant d’insistance américaine à signer un accord « commercial » avec un seul si petit pays (3,5 millions d’habitants, une économie à 80 % tertiaire et un PIB de 44 milliards de dollars en 2014 contre 18.290 milliards pour les Etats-Unis, soit plus de 400 fois plus !) ? Les explications ont été fournies par le collectif Public Citizen pendant le débat qui a précédé l’adoption de ce traité. Aucune bonne raison économique ou relative à l’emploi ne tenait la route, bien que les partisans du traité, bien entendu, n’aient eu que cela à la bouche.

La seule vraie raison : le Panama était déjà connu comme (je traduis un court extrait du texte anglais) « un des plus importants paradis fiscaux du monde, où 400.000 firmes étrangères et de nombreux individus fortunés utilisent son système fiscal dual, son secret bancaire et ses lois véreuses, pour éviter de payer leurs impôts. Panama fait aussi partie de la liste du Département d’Etat comme destination majeure des opérations de blanchiment d’argent pour les cartels mexicains et colombiens ». Et pourtant, cela ne suffisait pas à « sécuriser l’évasion » : cet accord fournissait une dose supplémentaire de « liberté ».

Le texte de Public Citizen mérite d’être consulté intégralement si on lit l’anglais, car on y trouve nombre d’arguments précis, y compris sur le fait que le Panama a accepté en 2011 de signer un accord (FTA) supposé réduire le secret fiscal (argument mis en avant par les partisans du traité). Or c’est une arnaque caractérisée vu qu’une des clauses stipule que le Panama peut refuser de fournir des informations fiscales qui seraient jugées « contraires à son intérêt national ». Formidable pour un pays dont l’essentiel des revenus provient justement de ses « atouts » de paradis fiscal !

Mieux : le FTA, dans son chapitre sur la finance et les investissements, offre aux amateurs d’évasion étatsuniens un immense avantage : il est interdit (à tout gouvernement des Etats-Unis) de limiter les montants d’argent pouvant être transférés des Etats-Unis vers des établissements financiers panaméens. Or cette technique de la limitation était l’outil le plus efficace aux mains du gouvernement pour freiner l’évasion fiscale.

J’ignore si, par la suite, l’adoption aux Etats-Unis du FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act), entré en vigueur en janvier 2014, et qui a sans nul doute été une avancée dans la lutte contre l’évasion fiscale des Américains, a contribué ou non à freiner les « évasions panaméennes » que le traité TPA avait nettement encouragées.

On peut conclure ceci : TOUS les accords dits de libre-échange, en projet ou déjà signés, ont parmi leurs objectifs la libéralisation des mouvements de capitaux, dont la libéralisation financière, laquelle se transforme à chaque fois en facilitation de l’évasion fiscale.

Ajout, quelques heures après la mise en ligne : il n’est pas sans intérêt de savoir que Bernie Sanders s’était très vivement opposé à l’accord de « libre-échange » avec le Panama, comme en témoignent des vidéos de ses interventions de l’époque, et bien entendu son vote au Congrès en octobre 2011, où il avait pu rallier 21 sénateurs démocrates. Il vient de le rappeler, le 5 avril dernier, en déclarant notamment ceci :

“I was opposed to the Panama Free Trade Agreement from day one. I predicted that the passage of this disastrous trade deal would make it easier, not harder, for the wealthy and large corporations to evade taxes by sheltering billions of dollars offshore. I wish I had been proven wrong about this, but it has now come to light that the extent of Panama’s tax avoidance scams is even worse than I had feared.

“My opponent [Hillary Clinton], on the other hand, opposed this trade agreement when she was running against Barack Obama for president in 2008. But when it really mattered she quickly reversed course and helped push the Panama Free Trade Agreement through Congress as Secretary of State. The results have been a disaster.”

Jean Gadrey

Jean Gadrey, né en 1943, est Professeur honoraire d’économie à l’Université Lille 1.
Il a publié au cours des dernières années : Socio-économie des services et (avec Florence Jany-Catrice) Les nouveaux indicateurs de richesse (La Découverte, coll. Repères).
S’y ajoutent En finir avec les inégalités (Mango, 2006) et, en 2010, Adieu à la croissance (Les petits matins/Alternatives économiques), réédité en 2012 avec une postface originale.
Il collabore régulièrement à Alternatives économiques.

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