Édition du 17 décembre 2024

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Panama papers

Panama papers : voyage dans le ventre du dragon

Une importante fuite de documents vient d’être publiée dans les principaux médias de la planète. Cette fuite concerne le cabinet panaméen Mossack Fonseca, une entreprise appartenant au top 5 des agences actives dans la création d’entreprises offshore (donc des sociétés qui s’implantent dans les paradis fiscaux pour éviter le fisc, contourner les lois ou encore blanchir de l’argent). Ces Panama papers révèlent une liste de 140 personnalités publiques pris la main dans le sac (gens d’affaires, politiciens, sportifs, etc.), dont quelques chefs d’État (pour une liste plus complète des personnalités impliquées, c’est ici). 

Tiré du site de l’IRIS.

Mossack Fonseca : de qui parlons-nous ?

Le cabinet d’où émane le scandale est donc panaméen. Voyons en rafale quelques-unes de ses principales caractéristiques.

· Depuis 40 ans, Mossack Fonseca a aidé à créer plus de 210 000 entreprises offshores, dont 54 % sont situées dans les Îles Vierges britanniques.

· Ce cabinet a collaboré avec 14 000 partenaires (banques, cabinet d’avocats, intermédiaires, fondations, multinationales, etc.) pour les aider à mettre en place des sociétés-écrans.

· Selon les données recueillies, les quatre principaux pays d’origine de ces partenaires sont Hong Kong, le Royaume-Uni, la Suisse et les États-Unis. Ce qui, disons-le, nous rappelle que par-delà le scandale entourant les proches de Vladimir Poutine, la haute finance et ses procédés douteux demeurent encore une affaire principalement liée au capital anglo-américain.

· Mossack Fonseca se spécialise dans « actions au porteur », un type d’action anonyme qui permet de dissimuler les propriétaires réels des sociétés offshore.

Ce type de révélation vient malheureusement confirmer les soupçons au sujet de la généralisation des pratiques d’évasion fiscale parmi les membres de l’élite économique et politique. Bien que l’attention soit actuellement portée sur le cas de Vladimir Poutine et ses proches, il ne faudrait pas en conclure que le phénomène demeure limité aux cercles de pouvoir étrangers.

Au Canada, bien qu’aucune personnalité d’avant-plan ne soit directement identifiée pour l’instant, on constate tout de même la présence notable de la Banque Royale du Canada (RBC), qui aurait créé plus de 370 sociétés-écrans, ainsi que plusieurs dirigeants de sociétés minières et pétrolières, des avocats, des entrepreneurs, etc). Si les personnalités politiques d’ici et les figures plus connues du monde des affaires sont pour l’instant épargnées, c’est certainement une question de hasard. En effet, rappelons que les documents dévoilés concernent les activités d’un seul cabinet. Il suffit donc que le Canada ne soit pas le principal marché de ce dernier pour nous donner une fausse impression de la réalité des placements offshore canadiens.  

Plus que des pommes pourries

Les documents de Mossack Fonseca révèlent l’ampleur du phénomène. Les paradis fiscaux ne sont pas seulement des lieux un peu secondaires de l’économie ; ils sont plutôt au centre des dispositifs de la finance internationale. Et tout le monde y participe : des leaders politiques, en passant par des sportifs ou des vedettes rock, des banquiers ou des trafiquants de drogues.

Ces « paradis » sont à bien des égards des lieux à partir desquels la finance s’organise et qui accueillent, sans distinction ni question, tous les portefeuilles. Que les fonds impliqués proviennent d’un commerce légitime, d’une tendance d’évasion fiscale ou du crime organisé, personne, au final, ne semble vraiment s’en préoccuper. L’important c’est de permettre à tous ceux qui en ont les moyens de mettre leur fortune à l’abri. Il s’agit là d’une pratique normale et routinière des membres du 1 %.

Un groupe comme Mossack Fonseca servant de relais bien pratique se spécialisait dans la formation de sociétés-écrans, soit des entreprises qui n’existent que pour masquer le propriétaire véritable d’un avoir. Dans ce domaine, rappelons que le Panama n’est est pas à ses premiers pas, le pays comptant en effet quelques 350 000 société-écrans ce qui le place au 3e rang mondial en la matière tout juste derrière Hong Kong et les îles Vierges britanniques.

Ce qu’il faut retenir certainement, c’est que ce genre d’entreprise n’est pas qu’une pomme pourrie, elle est l’incarnation la plus parfaite d’un système qui se structure en utilisant les zones floues des lois pour les contourner systématiquement.

Il ne s’agit que de la pointe de l’iceberg. La vie financière offshore abolit complètement la distinction entre argent propre et argent sale en normalisant des comportements répréhensibles. C’est donc la structure globale – autant aux niveaux national qu’international - qui permet ces comportements qu’il faut remettre en question et ne pas se contenter d’organiser une chasse aux sorcières contre ceux qui ont eu la mauvaise idée de se faire prendre en flagrant délit.

Philippe Hurteau

Chercheur à l’IRIS

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