tiré de CADTM-INFO BULLETIN ÉLECTRONIQUE - Jeudi 12 octobre 2017
Certaines villes sont encore sous les eaux et un barrage s’est déjà partiellement effondré, ce qui a forcé le déplacement de dizaines de milliers de personnes et en menace encore beaucoup d’autres s’il venait à céder complètement.
La réaction du gouvernement américain est loin d’être à la hauteur de l’enjeu
Puerto Rico vient de vivre une catastrophe naturelle majeure, due au réchauffement climatique, ainsi que le reconnaissent nombre de spécialistes et de commentateurs |1|, et traverse désormais une crise humanitaire dont l’ampleur est à prendre très au sérieux. Déjà 34 personnes sont décédées |2|, mais l’aggravation du bilan dépendra largement de la réaction du gouvernement portoricain et du gouvernement fédéral étasunien face à cette situation.
Ce dernier, représenté par Trump et son administration, a encore fait la démonstration de son désintérêt le plus total pour la population portoricaine, s’empressant de souligner, dans un tweet (voir ci-dessous), l’importance de respecter l’engagement du remboursement de la dette, coupant court à tout débat sur une éventuelle suspension de paiement pour accélérer – ou tout du moins permettre – le processus de reconstruction.
En visite le 3 octobre à Puerto Rico, le président étasunien s’est encore fait remarqué dans une distribution organisée de vivres et matériel aux sinistrés, où il s’est mis à lancer des rouleaux d’essuie-tout comme s’il était sur un terrain de basket. L’opération, qui devait servir avant tout à redorer son image suite aux critiques sur la gestion de la situation d’urgence, a finalement prouvé au monde son manque d’intérêt et d’empathie pour la population portoricaine. Et ça ne s’est pas arrêté là : dans une table ronde rassemblant des responsables locaux, il a ouvertement critiqué leur gestion de la crise : « Ça m’embête de vous dire ça, Porto Rico, mais vous avez mis notre budget sens dessus dessous ». Et il a poursuivi en minimisant la situation, la comparant avec l’ouragan Katrina, « une vraie catastrophe » selon ses dires |3|.
Néanmoins, une remarque que Donald Trump a faite à son retour de Puerto Rico lors d’une interview accordée à Fox News et rapportée par un journaliste de Reuters, ouvre la voie à un début de solution prometteur : « They owe a lot of money to your friends on Wall Street and we’re going to have to wipe that out. You’re going to say goodbye to that, I don’t know if it’s Goldman Sachs, but whoever it is you can wave goodbye to that » (« Ils doivent beaucoup d’argent à vos amis de Wall Street et nous allons devoir effacer tout cela.
Vous allez dire au revoir à cela, je ne sais pas si c’est Goldman Sachs, mais qui que ce soit, vous pouvez dire au revoir à cela »). Trump mesure-t’il ses mots lorsqu’il déclare cela, ou est-ce encore une de ces envolées lyriques dont il a le secret ? Nous pencherions évidemment plutôt pour la seconde solution. Mais ce qui est certain, c’est qu’une partie de la solution se trouve dans l’effacement de la dette de Puerto Rico – et Trump le sait. Maintenant, il est temps d’en venir aux actes et de mettre fin aux postures médiatiques, d’autant que les mots de Trump ont déjà eu un impact sur la dette de Puerto Rico : le prix des obligations a chuté, passant de 44 cents pour un dollar à 32,25 en une nuit et les taux de ces mêmes obligations se sont envolés, passant de 18,475 % à 35,44 % dans le même temps |4|.
Pendant ce temps, la machine du capitalisme du désastre se met en branle
Les pouvoirs politiques étasuniens, secondés par les entreprises privées, ont déjà largement profité de la crise de la dette – montée de toute pièce – pour mettre en place ce que Naomi Klein a qualifié de « stratégie du choc » dans son livre du même nom. L’objectif : imposer les mesures politiques et économiques néolibérales qui permettront de tirer le maximum de profit de l’île et de sa population, en faisant main basse sur les entreprises publiques, en créant une main-d’œuvre bon marché toujours plus nombreuse ou encore en imposant des autorités de contrôle financier qui veilleront à ce que le remboursement de la dette demeure une priorité que rien ne puisse remettre en cause. La dévastation de l’île provoquée par les ouragans Irma et Maria va à coup sûr créer les conditions, pour ces charognards de la finance, d’une intensification de cette même stratégie du choc.
Aujourd’hui, l’île entière se retrouve sans électricité pour une période qui pourrait durer de 4 à 6 mois. La manière dont la compagnie publique de distribution d’électricité est pointée du doigt est assez révélatrice des stratégies employées, alors que sa détérioration et son endettement massif sont les conséquences directes des plans d’austérité successifs. Les employé-e-s de la Puerto Rico Electric Power Authority (PREPA) dénoncent depuis plusieurs mois la façon dont la direction gère l’entreprise : les membres du conseil d’administration préparent la privatisation de l’entreprise en l’affaiblissant, afin de mieux en justifier la nécessité |5|.
Et c’est la population qui paie les pots cassés : outre les prix excessifs de l’électricité sur l’île avant l’ouragan, désormais le manque d’électricité affecte également la distribution d’eau potable, alimentée par des pompes électriques. Si aujourd’hui les habitant-e-s de Puerto Rico se retrouvent sans eau et sans électricité, ce n’est pas à cause de l’ouragan Maria, mais bien à cause des politiques néolibérales, de la dette et de l’austérité, responsables de la dégradation des infrastructures essentielles de l’île.
Les créanciers de Puerto Rico, de leur côté, ne laissent subsister aucun doute sur leur niveau d’altruisme : un groupe d’entre eux, détenant une partie des 9 milliards de dollars de dette de la PREPA ont proposé un allègement exceptionnel, sous la forme d’un nouveau prêt. Ils proposent « d’aider » Puerto Rico en augmentant le poids de sa dette, tout en affirmant que cela permettra d’accélérer la remise en état du réseau électrique. Le détail de la proposition ne manque pas d’audace : le groupe de créditeurs offre 1 milliard de dollars sous la forme d’un nouveau prêt et l’échange d’1 milliard de dollars d’obligations juniors en cours contre 850 millions de dollars d’obligations seniors.
Donc un allègement de dette d’un montant nominal de 150 millions de dollars, contre des obligations prioritaires en matière de remboursement : une manière de couper la file d’attente. Il faut savoir qu’à l’heure actuelle, les obligations sur la PREPA s’échangent sur le marché secondaire à 43,4 cents le dollar. L’offre est tellement énorme que même l’autorité financière instaurée par la loi PROMESA, qui a tout pouvoir sur les finances de l’île |6|, a déclaré qu’il s’agissait d’une offre intéressée, dont le seul objectif était la recherche de profit.
À une autre échelle, mais tout aussi révélatrice des considérations économiques des multinationales, le capitalisme du désastre désigne tous les moyens possibles de tirer profit d’une situation catastrophique. Ainsi Air France a proposé des billets d’avion allant jusqu’à 3 000 € en classe économique pour quitter l’île de St Martin (une île voisine de Puerto Rico) et rejoindre le continent. Le prix des denrées alimentaires de base se met lui aussi à flamber : sur Amazon, on a pu trouver des packs de 24 bouteilles d’eau frôlant les 100 $ ! Mais ce ne sont là que pures broutilles, comparé aux sociétés de construction qui doivent déjà affûter leurs offres et commencer à stocker le matériel nécessaire pour le revendre à prix d’or le moment venu…
Le FMI refuse de suspendre la dette de Barbuda
Environ 90 % des infrastructures de l’île de Barbuda ont été dévastées par l’ouragan Irma. Le montant des réparations est estimé à environ 150 millions $ |7|. Selon le gouverneur d’Antigua-et-Barbuda, plus de la moitié de la population de l’île de Barbuda se retrouve sans abri. Jubilee USA Network a demandé un moratoire au FMI, à qui ces îles doivent près de 16 millions de de dollars, dont 3 millions dès aujourd’hui. Le FMI n’a pas simplement refusé, mais a enfoncé le clou en déclarant qu’il préférerait accorder un nouveau prêt à Antigua-et-Barbuda plutôt que de mettre en place un moratoire, qui pourrait aider le gouvernement à lancer la première phase de reconstruction.
Les ravages causés par les ouragans Irma et Maria ouvrent la voie à une thérapie de choc néolibérale bien plus efficace que celle qui était déjà à l’œuvre depuis l’instauration du décret PROMESA, sensée régler le problème de l’endettement portoricain à grands coups de privatisations et de coupes dans les dépenses sociales. Désormais l’île est détruite, sans électricité, sa population fragilisée est en proie à de graves dangers sanitaires. Le gouvernement de Puerto Rico doit le plus rapidement possible inverser la stratégie du choc et s’appuyer sur ce même choc pour suspendre immédiatement et pour un délai indéfini le paiement de la dette, libérer tous les fonds possibles pour porter assistance à sa population et reconstruire l’île – tout en prenant en compte les considérations écologiques et climatiques que le désastre en cours ne manque pas de soulever. Et encore, face au désastre actuel, cela semble encore bien insuffisant si une solidarité internationale massive ne se met pas en place rapidement...
Notes
|1| Voir par exemple : Libération, Changement climatique : les îles dévastées par les ouragans demandent des comptes aux grandes puissances
Ouragan Maria : Haïti pointe la responsabilité du changement climatique
|2| CNBC, Puerto Rico’s death toll from Hurricane Maria more than doubles to 34, 4 octobre 2017
|3| BFM TV, A Porto Rico, Trump jette de l’essuie-tout aux sinistrés de l’ouragan Maria
|4| Le Figaro, Trump évoque un effacement partiel de la dette de Porto Rico, 5/10/2017
|5| The Intercept, Hurricane Irma Unleashes the Forces of Privatization in Puerto Rico
|6| Voir CADTM, La dette néocoloniale de Puerto Rico
|7| The Indenpendent, Hurricane Irma : IMF is resisting a moratorium on Barbuda’s sovereign debt repayments
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