19 avril 2023 | tiré de l’Aut’journal
Je fus un des premiers à mener ce que nous avons appelé « la guerre des cochons ». Le nouveau président de l’Union des producteurs agricoles (UPA) d’alors, Laurent Pellerin, lui-même producteur de porcs, qui succédait à Jacques Proulx, se fit le promoteur du virage que proposait le gouvernement libéral de l’heure vers ce qu’on appelait alors « la conquête des marchés » et le choix de l’exportation plutôt que de l’autosuffisance alimentaire, longtemps privilégiée par Jean Garon.
Et la production porcine, étant de bonne qualité et n’étant pas sous gestion de l’offre, allait devenir le fer de lance de cette politique d’exportation. En quelques années, on a atteint plus de neuf millions de porcs par année, dont sept millions exportés aux États-Unis, en Chine, en Russie, au Japon, etc. Ces marchés, aujourd’hui, se ferment les uns après les autres.
Mais, surtout, ces élevages intensifs de porcs en confinement introduisaient un modèle agricole qui a rapidement détruit notre modèle d’agriculture diversifiée de proximité : le modèle d’intégration et d’exportation. Les éleveurs de porcs vont devenir rapidement de simples « gardiens de cochons » à forfait pour des intégrateurs qui possèdent les porcs, les meuneries pour les alimenter et les abattoirs pour les transformer et les mettre en marché.
Ces intégrateurs ont été progressivement achetés par Olymel, désormais le plus gros intégrateur, presque un monopole. Le paradoxe, ou plutôt le scandale, est de taille : une coopérative de producteurs soumet désormais la majorité des éleveurs de porcs à son régime d’intégration forfaitaire, dans lequel ceux-ci sont réduits au statut de « serfs », et les congédie aujourd’hui sans même les prévenir.
Ajoutons au tableau le fait que le ministère de l’Environnement se soit empressé d’autoriser la gestion liquide des fumiers, pour faciliter l’élevage sur grillages de ciment, avec comme conséquence que le lisier de porc, fort en phosphore, a rapidement provoqué l’eutrophisation de pratiquement tous les cours d’eau dans les régions concernées.
Et comble de vice, ce sont ces mêmes intégrateurs (Olymel principalement), en tant que propriétaires des bêtes, et non les éleveurs, qui encaissent la majeure partie des 400 millions en moyenne que verse l’assurance stabilisation du revenu agricole, payée aux deux tiers par le gouvernement, pour combler l’écart entre les prix de production (gonflés) et les prix obtenus sur le marché. Une magouille incestueuse.
Ce système a détruit l’agriculture québécoise et l’a livrée pieds et poings liés à une poignée d’intégrateurs-exportateurs. Car ces porcs, il faut les nourrir. Et du même coup, nos prairies et nos champs diversifiés ont été transformés en déserts toxiques de maïs et de soja OGM, où les sols sont désormais pratiquement morts.
Avec un tel bilan, il n’y a pas de quoi pleurer le déclin de cette industrie, si ce n’est ses conséquences, qui n’ont pas fini d’affecter notre agriculture et les milliers de travailleurs qui ont été asservis et détruits dans ces porcheries et ces abattoirs abrutissants. La transition risque d’être longue, pénible et coûteuse.
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