Édition du 29 octobre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Arts culture et société

La priorité pour l'UNEQ : rallier son monde

Je crois qu’il faut revenir encore une fois sur la question de l’évolution de l’Uneq, une question qui débouche forcément sur celle du statut social et professionnel de l’écrivain.

C’est ce qu’il importe d’examiner pour se retrouver dans ce dossier confus et épineux. Les récents déboires de l’Uneq, de sa direction surtout, lors de l’assemblée générale chaotique du 29 mars ont remis ce thème dans l’actualité.

Tout d’abord, posons la question suivante : qu’est-ce qu’un écrivain ? Comment peut-on le définir du point de vue social et culturel ? La réponse ne s’impose pas d’emblée. Pour faire simple, c’est quelqu’un qui participe de près (intimement, pourrions-nous dire) à l’élaboration d’une culture nationale par le biais de l’écriture, ce qui n’est pas donné à tout le monde.
Le paradoxe réside en ceci que le plus souvent, il travaille seul mais la publication de ses oeuvres touche un public plus ou moins vaste. Il est une sorte de relais, il transmet autant qu’il contribue à former une manière d’être collective. Il a été façonné par une famille qui elle-même évolue au sein d’une société, d’une classe sociale. Le travail de l’écrivain est plutôt solitaire (toutes choses étant très relatives par ailleurs), mais il reconstruit à sa façon un état culturel et social à une époque donnée. Ces facteurs entrent en ligne de compte si on veut comprendre son parcours, c’est-à-dire sa personnalité, son intégration sociale (formation scolaire et emploi) et la perception que lui inspire son entourage.

Ce qui nous intéresse ici, c’est l’intégration sociale et les circonstances dans lesquelles il poursuit ses activités littéraires. Qu’il participe ou non aux débats qui agitent une société, il en est souvent inconsciemment plus ou moins la réverbération diffractée. Il pourra de son vivant assister à des évolutions littéraires et culturelles qu’il approuvera ou rejettera mais qui le dépassent. Les écrivains forment quand même des groupes (ou des "grappes") à la situation économique très diverse. Il existe des courants littéraires reliés directement ou indirectement aux idéologies qui circulent dans sa société d’origine ou d’accueil.

Comme on l’a déjà fait remarquer, on y trouve de tout comme dans une salade aux fruits : des gens détenant un emploi ou encore sans emploi, des travailleurs autonomes, des riches (romanciers gros vendeurs), des pauvres (les inégalités de revenu sont considérables dans ce milieu fragile), des individualistes, d’autres avec une mentalité plutôt syndicale, certains liés depuis longtemps à une maison d’édition bien établie et d’autres qui se publient à leur propre compte, que ce soit seuls ou dans une entreprise à compte d’auteur, etc. Tout ceci sans oublier les liens d’amitié qui lient des éditeurs à certains auteurs ou au contraire les brouilles qui les séparent.

Bref, il s’agit de gens très difficiles à rassembler. Le modèle syndical conventionnel, tel que l’ancienne direction la concevait s’applique mal à ce milieu dispersé. Les écrivains et écrivaines ne sont pas des salariés ni même des travailleurs et travailleuses autonomes puisqu’aucun éditeur ne donne de rémunération aux auteurs dont il consent à publier le manuscrit (une infime minorité parmi la masse de manuscrits qu’il reçoit).

L’écrivain offre un produit fini (ou à peaufiner parfois) mais pas ses services comme le font un travailleur ou travailleuse autonome auprès d’un ou d’une donneuse d’ouvrage.
Il serait plutôt un "marchand de textes" ou un démarcheur de ses propres produits, une sorte de colporteur quoi. D’ailleurs, une maison d’édition québécoise se nomme : "marchand de feuilles", ce qui me paraît correspondre assez bien à la situation des deux parties en présence : l’éditeur et l’écrivain. Les deux négocient un contrat de publication selon des normes établies. L’écrivain en cas de problèmes peut toujours avoir recours aux services de l’Uneq, qu’il en soit membre ou non.

L’ancienne direction a voulu changer cet état de choses en transformant l’association plus ou moins en syndicat avec cotisation obligatoire à la clé, ce qui a visiblement heurté et inquiété bon nombre d’écrivains, à tort ou à raison. Elle a pris pour acquis trop vite l’adhésion de la majorité des écrivains et écrivaines à ses propositions "syndicales" sans les avoir consultés suffisamment au préalable. Le dynamisme syndical indéniable du directeur général Laurent Dubois, qui a procédé à marches forcées s’est retourné contre le projet qu’il défendait.
La nouvelle direction, élue le 31 mai prochain, devra reprendre ce dossier plus épineux que prévu et le mener à terme avec doigté, peut-être avec des objectifs plus modestes, du moins au départ.

Elle devra en premier lieu mieux consulter la base et tenir compte de ses légitimes préoccupations, en particulier financières. Il lui faudra se fixer des objectifs pertinents mais dont les contours sont encore flous.

L’organisation collective des écrivains et écrivaines est possible et même souhaitable face à la puissante Anel (Association nationale des éditeurs de livres) mais ils ne tiennent pas le gros bout du bâton en termes contractuels, seulement celui de la plume...

Jean-François Delisle

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