Édition du 17 décembre 2024

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Opinion

Lettre ouverte à Stephen Harper

Nos impôts pour la paix

Monsieur le premier ministre, je m’adresse à vous puisque, au-delà de vos divers ministres, vous semblez être vraiment celui qui impose la direction de votre gouvernement minoritaire. Et à ce titre, vous êtes celui qui aura le dernier mot quant aux orientations de votre gouvernement, particulièrement en matière de politique étrangère.

Mais j’envoie évidemment aussi une copie de cette lettre aux principaux ministres concernés : celui des Finances, celui du Revenu, celui de la Défense et celui des Affaires étrangères.

Je reconnais les défis considérables auquel votre nouveau gouvernement est confronté. Et je dois dire que même si je ne partage pas un grand nombre de vos orientations politiques, j’apprécie néanmoins la clarté avec laquelle vous avez choisi de gouverner. Et je reconnais la qualité de la réflexion intellectuelle et de la stratégie politique qui sous-tendent vos choix.

C’est d’ailleurs pour cela que je prends la peine de vous écrire pour demander une réévaluation de votre politique étrangère, particulièrement en ce qui concerne la paix et la sécurité et le rôle de notre pays à ce sujet.

La protection du territoire canadien contre une éventuelle attaque (de la part de qui ?) est tout simplement impossible sur le plan militaire, à cause de la longueur démesurée de nos frontières, de notre faible démographie et de notre armée qui restera toujours infiniment trop peu nombreuse et sous-équipée pour assurer une telle défense. Notre armée ne peut donc pas exister dans ce but.

De plus, les autres tâches de sécurité et de protection canadiennes qu’on attribue généralement à l’armée canadienne (protection civile et intervention en cas de catastrophes, garde côtière, etc.) et qui sont bien sûr nécessaires pourraient tout aussi bien (et probablement mieux et à meilleur coût) être assurées par des instances civiles entraînées spécifiquement dans ce but.

Finalement, la responsabilité internationale canadienne dans la prévention et la résolution des conflits, de même que dans la construction et le maintien de la paix, aurait tout intérêt à prendre une forme différente des moyens militaires qu’on lui a généralement donnée jusqu’ici : l’armée canadienne, toute généreuse et courageuse qu’elle soit, ne pourra jamais être autre chose qu’un « joueur » mineur et complémentaire sur les terrains militaires internationaux, dont les heures de gloire sont davantage liées aux opérations onusiennes qu’à celles entreprises sous la direction des États-Unis ou de l’OTAN.

D’ailleurs, le sentiment de la population canadienne est à cet égard sans équivoque : les Canadiens et Canadiennes ont toujours appuyé leur armée infiniment plus dans les opérations de maintien de la paix engagées sous le drapeau des casques bleus de l’ONU que dans les opérations militaires offensives menées à l’instigation de l’OTAN ou à la remorque de la politique étrangère américaine.

Mais même dans cette dimension internationale de l’armée canadienne, notre tradition canadienne, la réputation de notre pays à l’étranger et nos modestes moyens financiers et démographiques devraient nous inciter à revoir complètement notre rôle dans la sécurité et la paix internationales. Car il est toujours beaucoup plus facile de « gagner une guerre » que de « construire la paix » comme la tragique expérience de nos voisins en Irak le démontre on ne peut plus clairement.

En ce sens, le Canada aurait tout avantage à jouer un rôle de leadership international dans les nouvelles manières alternatives de prévenir les conflits et de construire la paix. Et ces manières alternatives passent nécessairement par le chemin exigeant mais prometteur de la non violence plutôt que par les routes déjà bien balisées et non concluantes de la force militaire.

La guerre n’a jamais conduit à une paix véritable et durable. Les armes et la violence n’ont jamais désarmé vraiment les adversaires et réconcilié les ennemis. Nos soldats de la guerre, hommes et femmes, sont dévoués et courageux, et plusieurs ont récemment risqué et perdu leur vie dans leur mission. Mais ce sont des « soldats de la paix », hommes et femmes, dont nous avons de plus en plus besoin, et qui ne seront pas moins dévoués et courageux, au contraire, et qui risqueront aussi leur vie au service de leur pays et de leurs frères et sœurs humains de l’étranger. Les membres des « Christian Peacemaker Teams », comme ceux qui ont été récemment détenus en otages en Irak, en sont des exemples éloquents et d’ailleurs pas les seuls.

Ce sont de telles formes alternatives de prévention et de résolution des conflits qu’il nous faudrait, comme pays, développer bien davantage. Et la contribution canadienne en ce sens serait certainement accueillie très favorablement et par les autorités des Nations Unies, et par de très nombreux autres pays aussi bien au Nord qu’au Sud.

C’est la raison pour laquelle je refuse en conscience, depuis plusieurs années, de contribuer par mes impôts à la défense et à la sécurité violente et militaire proposée par l’armée canadienne, et que je consacre chaque année cette part militaire de mes impôts fédéraux aux Fonds des impôts pour la paix, mis sur pied par Conscience Canada au niveau pan canadien et par Nos impôts pour la paix au niveau québécois. Ces Fonds détiennent ces impôts en fiducie en notre nom, jusqu’à ce que le gouvernement fédéral accepte de nous fournir un mécanisme par lequel il s’engagera à ne pas utiliser ces impôts à des fins militaires.

Mais de façon beaucoup plus directe et efficace, nous sommes nombreux à souhaiter que l’argent de nos impôts militaires serve désormais à financer précisément ces formes alternatives et non militaires de sécurité et de construction de la paix dont notre monde a si urgemment besoin. Je suis convaincu qu’une foule de Canadiens et de Canadiennes paierait dorénavant cette part militaire de leurs impôts fédéraux avec beaucoup plus d’enthousiasme s’ils savaient qu’elle servira à explorer et à développer ces nouveaux outils non militaires pour assurer plus efficacement et durablement la paix et la sécurité dans le monde.

Je n’ai pas, monsieur le premier ministre, d’impôts fédéraux à payer cette année, ayant travaillé surtout bénévolement et ayant gagné trop peu de revenus pour avoir des impôts à payer. Mais je tenais néanmoins à vous faire savoir que si j’en avais eus, j’aurais à nouveau refusé, comme par le passé, de payer la part militaire de mes impôts et que j’ai de toutes manières choisi de financer personnellement, à travers mes dons de bienfaisance, certaines de ces formes alternatives de paix et de sécurité pendant l’année fiscale 2005.

J’espère que votre gouvernement acceptera, davantage que le précédent, d’écouter la demande répétée par les objecteurs de conscience fiscaux depuis maintenant plus de 25 ans : celle de mettre sur pied un mécanisme gouvernemental permettant à ces objecteurs de conscience de respecter à la fois la loi de leur conscience et celle de leur pays, en consacrant la part militaire de leurs impôts à financer des moyens non militaires et non violents d’assurer la paix et la sécurité au Canada et dans le monde.

Veuillez agréer, monsieur le premier ministre, l’expression de mes sentiments distingués.

Dominique Boisvert

Mots-clés : Canada Opinion

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