Tiré de Courrier international. Légende de la photo : Le poète Gazaoui Mosab Abu Toha (à gauche) et son ami Shafi Salem en train de monter une bibliothèque anglophone à Gaza, en février 2017. Photo Mohamed Abed/AFP.
Il est l’un des porte-voix et des témoins de la souffrance des Gazaouis depuis le 7 octobre. Le poète Mosab Abu Toha, qui a fui en décembre 2023 l’enclave palestinienne bombardée par Israël, est l’auteur d’un recueil en anglais salué par la critique lors de sa sortie, en 2022. Publié en français aux éditions Julliard, ce 3 octobre, Ce que vous trouverez caché dans mon oreille “est inspiré par une profonde humanité” et par le fait de grandir dans un “isolement constant”, souligne Al-Ayyam, le quotidien de Ramallah.
Ce recueil s’inscrit dans une riche tradition littéraire palestinienne, particulièrement orientée vers la poésie, et qui pour beaucoup de médias arabes est aujourd’hui précieuse pour mieux saisir l’identité et l’histoire des Palestiniens, au-delà des guerres.
Petit survol en trois étapes.
1. Mosab Abu Toha : des poèmes pleins de décombres
Al-Ayyam décrit ainsi l’ouvrage de Mosab Abu Toha : “Comme la bande de Gaza elle-même, les poèmes sont pleins de décombres et du danger omniprésent de drones surveillant des gens qui ne sont pas les bienvenus sur leur terre, et ils sont aussi pleins de l’odeur du thé, des rosiers en fleurs, et de la vue sur la mer au coucher du soleil. Des enfants naissent, les familles perpétuent leurs traditions, les étudiants vont à l’université et les bibliothèques sortent des décombres, tandis que les Palestiniens continuent de vivre, créant de la beauté et trouvant de nouvelles façons de survivre.”
Écrit avant le début de la guerre qu’Israël mène contre la bande de Gaza, Ce que vous trouverez caché dans mon oreille avait remporté l’American Book Award et le Palestinian Book Award et fait émerger son auteur comme une voix importante de la littérature palestinienne.
Après avoir été arrêté durant les premiers mois de l’offensive israélienne sur Gaza, Mosab Abu Toha a fui l’enclave. Depuis, il ne cesse de raconter l’exil et la douleur qui l’habite dans des poèmes et articles publiés par la presse américaine ou arabe. Une douleur qui s’inscrit dans une longue histoire de l’occupation israélienne, depuis la Nakba, en 1948, note Felesteen.
Le journal de la bande de Gaza cite un extrait de l’un de ses poèmes, écrit en hommage à son ami Raafat Al-Tanani, tué avec sa famille lors de bombardements qu’Israël a menés sur le territoire en mai 2021 :
- “La maison a été bombardée. Tout le monde est mort. Les enfants, les parents, les jouets, les acteurs à la télévision, les personnages dans les romans et les poèmes, le ‘je’, le ‘il’, le ‘elle’.”
Les poèmes de Mosab Abu Toha “évoquent la vie à Gaza sous l’occupation, le siège et la guerre qui lui a enlevé son enfance et ses amis, ainsi que sa relation avec le camp de réfugiés, son grand-père et Jaffa, d’où sa famille a été déplacée” durant la Nakba, résume Felesteen. Le poète explique au journal écrire pour retracer son histoire :
- “Je réimagine un passé dans lequel je n’étais pas présent, non seulement le passé de la Palestine, mais aussi des familles et des enfants qui ont été enterrés sous les décombres de leurs maisons lors de bombardements israéliens brutaux.”
2. Karim Kattan : de la guerre à l’amour
Autre auteur palestinien contemporain à avoir été remarqué ces derniers mois, Karim Kattan écrit pour sa part en français. Son deuxième roman, L’Éden à l’aube, publié en septembre par la maison d’édition tunisienne Elyzad, a enthousiasmé L’Orient-Le Jour. Le réel s’y mêle au fantasmagorique pour raconter une histoire d’amour entre deux hommes palestiniens aux accents poétiques.
Ainsi, il dresse “l’architecture politique de l’amour” entre Gabriel et Isaac entravé par l’occupation israélienne, qui régit leurs déplacements en leur imposant des statuts administratifs différents. “Ne se contentant pas d’administrer les corps, elle s’immisce dans les fantasmes et dans les imaginaires. Mais même sous l’occupation demeure la possibilité d’un bonheur foudroyant, que l’on atteint par une dévotion extatique à l’autre, confinant au mysticisme”, écrit le quotidien libanais. Et d’applaudir un auteur qui accomplit, “avec ce magnifique second roman, l’acte le plus puissant dont la littérature soit capable : affirmer l’humanité pleine et entière de ceux à qui le monde ne concède qu’une humanité partielle et conditionnelle”.
“Chez Karim Kattan, on s’aime en se racontant des histoires”, et Isaac charme Gabriel par son art du conte. “Ces histoires ont un aspect folklorique, palestinien, mais elles font aussi partie d’un récit planétaire”, explique l’écrivain originaire de Jérusalem, qui s’inscrit lui aussi dans une tradition poétique.
Une poésie palestinienne que beaucoup de médias arabes voient comme un remède face à l’absurdité des massacres et des violences que subissent les Palestiniens, mais aussi comme une clé de compréhension de la lutte des Palestiniens pour préserver leur héritage, leur identité et leur culture.
3. Darwich, Kanafani et Saïd : les classiques
Depuis le 7 octobre, les grands noms de la littérature palestinienne sont régulièrement convoqués dans la presse, mais aussi sur les réseaux sociaux arabes.
Disparu en 2008, le poète Mahmoud Darwich, qui était membre de l’Organisation de libération de la Palestine, continue ainsi d’irriguer les débats sur la cause palestinienne. Al-Jazeera lui rendait hommage en rappelant qu’il “est honoré en Palestine comme le poète national, célébré pour ses vers qui disent la douleur de ce peuple privé de ses terres”. D’autres voient en lui un aède qui, très tôt, a su retranscrire la portée historique de ce que subissaient les Palestiniens. L’Orient-Le Jour a ainsi republié un poème de 1973 du jeune Darwich pleurant la perte de Gaza, six ans après le début de son occupation par Israël, et qui fait particulièrement écho aux événements actuels.
Son contemporain Ghassan Kanafani (1936-1972) est l’autre figure de proue de cette littérature palestinienne du XXe siècle ancrée dans l’histoire, avec des recueils de nouvelles comme Des hommes dans le soleil (aux éditions Sindbad). Assassiné à 36 ans par le Mossad, à Beyrouth, où il était réfugié, il était aussi connu pour son activisme que pour ses talents d’orateur et d’écrivain. Dithyrambique, le site New Arab célèbre “l’un des génies de la culture palestinienne et arabe”, dont l’œuvre “dangereuse” pour Israël a été interrompue prématurément. “Ce qu’il a apporté à la cause palestinienne est similaire à ce qu’a fait Edward Saïd”, estime toutefois le site.
L’Américano-Palestinien Edward Saïd (1935-2003) a, en effet, marqué durablement les débats sur la Palestine et inspiré des écrivains comme Mosab Abu Toha, qui a ouvert la première bibliothèque anglophone de Gaza en lui donnant le nom d’Edward Saïd. Pionnier des études postcoloniales, l’auteur de L’Orientalisme est régulièrement convoqué, notamment pour penser le rapport à l’Occident dans le contexte actuel. Al-Quds Al-Arabi lui a consacré plusieurs articles ces derniers mois. L’un se demandait “comment lire Edward Saïd à Gaza”, et un autre décrivait son immense influence sur les jeunes générations jusqu’à aujourd’hui.
Oumeïma Nechi
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