Mobilisation antiraciste positive
Au Carré d’Youville, la foule devient de plus en plus dense. Au son d’un orchestre de musicienNEs volontaires, les gens échangent sur les enjeux de la mobilisation. Ils et elles dénoncent la démagogie des discours de l’extrême-droite sur « l’illégalité » des migrants. La manifestation voulait mettre de l’avant un contre-discours aux mensonges et demi-vérités colportées par La Meute et ses associés et plus généralement contre la montée du racisme, de la haine et de la xénophobie.
« L’objectif de la manifestation est de démontrer une forme importante de résistance contre l’intolérance. Nous souhaitons être visibles, nous faire entendre et faire savoir que ce genre de discours n’a tout simplement pas lieu d’être » a affirmé Pablo Roy-Rojas devant une délégation de journalistes de la grande presse de masse (TVA, Radio-Canada, Global, etc.). Puis la foule présente a pris le pavé et s’est rendue devant l’Assemblée nationale.
Nous nous attendions à y croiser La Meute, mais arrivés sur place, l’endroit est plutôt désert, seuls quelques touristes s’y promènent en plus des centaines de manifestantEs. Une rumeur se propage : des affrontements qui mettraient aux prises des antifascistes et des militants de La Meute auraient lieu derrière l’édifice du Parlement tout près du Complexe G. Une grosse partie de la foule présente se déplace vers l’endroit en empruntant le boulevard René-Lévesque et se retrouve à bloquer la voie aux membres de La Meute qui s’étaient donné rendez-vous dans le stationnement souterrain de l’édifice Marie-Guyart. Bref, sur le moment, des chants de victoire résonnent parmi les manifestantEs. Le militant altermondialiste Jaggi Singh anime la foule avec des chansons et quelques informations confirmant que La Meute est prise au piège dans le stationnement de l’édifice gouvernemental. Des membres des Blacks Bloc observent la situation sans toutefois intervenir. On demande aux personnes présentes de se déplacer de façon à obstruer tous les accès au stationnement souterrain. C’est à ce moment que les choses semblent se gâter.
L’intervention des Blacks Bloc justifient l’intervention policière
Un groupe d’antifascistes s’est déplacé vers l’arrière de l’édifice G sur la rue Jacques-Parizeau et les lancers d’objets pyrotechniques se multiplient. Rien de bien menaçant, mais les forces policières utilisent cet événement pour justifier une intervention plus musclée. La présence du groupe sur Jacques-Parizeau est déclarée illégale. Un peu plus tard, c’est la foule présente sur la rue Louis-Alexandre-Tachereau qui sera mise en situation d’illégalité. On procède à l’arrestation de Jaggi Singh et l’antiémeute se déploie.
Jaggi Singh fut libéré quelques instants après son arrestation. Sur un message publié sur sa page Facebook, il indique que les forces policières s’est identifié comme « Michel Goulet, un ex-joueur de hockey des Nordiques de Québec logeant au Colisée. » Il a été relâché dans le stationnement d’une station d’essence, ce qui en dit long sur le sérieux de cette arrestation qui tient davantage de l’intimidation que de la justice.
La majorité des médias applaudissent la sobriété de La Meute et jettent le blâme sur l’ensemble des antiracistes
« Des centaines de pacifistes dans l’ombre des casseurs » et « Le rassemblement de La Meute se termine sans accros » titre Le Soleil. « Chaos en pleine ville » et « Jour de violence à Québec » affirme le Journal de Québec, photos explicites à l’appui. On souligne que des journalistes ont été agressés. Le porte-parole de La Meute a eu beau jeu de faire porter le blâme des violences à la gauche. Il semble que des gestes de vandalisme sur des commerces ont été commis. Des passants ont été ciblés comme fascistes. Le premier ministre Couillard a dénoncé la violence tout comme les chefs du PQ et de la CAQ. Les médias n’ont guère brillé pour leur pertinence. Des journalistes de Radio-Québec ont mis beaucoup de zèle à donner la parole aux dirigeants de La Meute. Le chef de La Meute a eu droit à une entrevue de plus de sept minutes à la télévision de Radio-Québec où il a expliqué que la Meute était une organisation respectueuse de l’ordre établi. Il a promis de revenir manifester à Québec et d’occuper les rues. Aucune question ne lui a été posée sur les discours racistes et xénophobes répétés à satiété par cette organisation. La couverture médiatique a atteint le niveau zéro de l’esprit critique face à l’apparition d’une organisation paramilitaire qui a été reconnu jusqu’ici par ses discours islamophobes et anti-immigrés.
La réalité et les enjeux de l’immigration ont été passés sous silence par les partis politiques
Contrairement aux politiciens américains qui ont dénoncé les propos haineux, des racistes américains à Charlottesville, la manifestation antiraciste qui a regroupé près d’un millier de personnes dans les rues de Québec, n’ont pas reçu le moindre soutien des politiciens. Le danger représenté par la société québécoise par le développement d’une extrême droite raciste n’a pas été un objet important de leurs déclarations. Les dirigeants politiques ont suggéré que la lutte contre le racisme et contre les préjugés et la haine semés par un groupe paramilitaire comme la Meute pour se faire par le dialogue comme si on se situait dans un débat d’idées. Les demandeurs d’asile d’Haïti et d’ailleurs font face à une organisation qui appelle à leur expulsion et à la fermeture des frontières. La société québécoise doit composer avec une organisation qui promeut un discours de haine, particulièrement contre les personnes en provenance d’autres pays. Les dirigeants des partis politiques ont refusé de mettre l’emphase sur l’essentiel en stigmatisant les porteurs d’une idéologie raciste dans la société québécoise.
À l’heure où la situation internationale (crise économique, développement inégal, guerres, réchauffement climatique) a créé les conditions de migrations de plus en plus importantes, la réponse des responsables politiques est de multiplier les obstacles à l’immigration au prix des souffrances multipliées pour les personnes qui essaient d’améliorer leur sort. Alors que la simple logique, serait de penser la généralisation et l’organisation de processus d’accueil dans une perspective d’un devoir humaniste pleinement assumé, les classes dominantes et les gouvernements à leur service s’arcboutent sur un système de droits et des politiques sécuritaires qui constituent autant d’obstacles à la prise en charge des migrations… Les chefs du PQ et de la CAQ appellent à en finir avec la porosité des frontières parlent d’excès du nombre de demandeurs d’asile et exhortent le gouvernement fédéral d’accélérer les procédures qui permettront d’expulser les personnes qui n’ont pas d’être accueillis comme réfugiés. Le gouvernement Trudeau, prétends maintenant rassurer la population, en insistant que c’est plus de la moitié, si on se fie aux années antérieures, des demandeurs d’asile qui ne pourront rester au Canada. Ces politiques enhardissent les extrémistes qui s’organisent pour pousser encore plus loin ces politiques d’exclusion et de repli sur soi et pour cuirasser ainsi les pires penchants de l’ordre oligarchique qui règne au Canada comme au Québec.
Et maintenant
S’il faut saluer l’initiative de l’Action citoyenne contre la discrimination, plusieurs participantEs ont eu l’impression que l’implication du Black Bloc et de ceux et celles que l’on désigne comme antifascistes a permis à l’extrême-droite de se donner le beau rôle. L’utilisation de certaines formes de harcèlement et la confrontation systématique contre les forces de l’ordre ouvrent la porte à la répression sans que la base populaire de notre mouvement soit consultée. Le fonds substitutiste de cette stratégie ébranle les fondements de la démocratie nécessaire à cette mobilisation. On décide et on fait les choses à la place des gens, pas avec les gens comme ce devrait être le cas. Des personnes ont eu l’impression d’être dépossédées de leur mouvement lorsque les antifascistes prenaient l’initiative. Nous avons même été témoins de confrontations verbales entre des citoyenNEs participant à la contre-manifestation et des militantEs cagouléEs. Si le mouvement contre l’extrême-droite doit se développer, s’élargir pour contrer le danger fasciste et raciste, il devra le faire dans un cadre démocratique et inclusif, y compris dans les mobilisations. Trouver les moyens d’impliquer tout le monde et partir de l’état de conscience des gens, éviter les tendances à agir comme une avant-garde « éclairée » semblent être les principes qui devraient guider un tel développement.
Ce qu’a révélé l’expérience de la contre-manifestation de Québec le 20 août dernier, c’est que seule une organisation démocratique permettra la définition collective du message qu’on veut véhiculer et le choix des actions qu’on veut mener, des porte-parole du mouvement. Ce n’est qu’à ses conditins que l’on pourra élargir le mouvement et lui donner un caractère massif et militant.
Un tel type d’organisation démocratique suppose qu’on ne peut accepter la privatisation des actions, faite au nom de la diversité des tactiques. Sinon, il y a risque de rupture avec la logique démocratique d’une véritable action collective et de masse. L’organisation démocratique de la lutte contre le racisme n’est pas un luxe, mais la condition essentielle de l’élargissement et du renforcement du mouvement contre les mouvements qui défendent une idéologie haineuse et raciste.
Naturellement, cette organisation et la nature des actions qu’elle sera appelée à mener doit se faire au fur et à mesure des défis posés par la défense de différents secteurs de la majorité populaire, objets d’attaques de la part d’éléments racistes, islamophobes ou anti-immigrés. L’objectif doit être de donner le caractère le plus massif possible à notre riposte à l’extrême droite et aux fascistes et adopter des modalités d’action qui tiennent compte de l’ampleur des attaques, mais également des temps nécessaires à construire la détermination rendant possible de remporter des victoires qui seront à même de démoraliser ces groupes et de déconstruire leur rhétorique chauvine auprès de la population.
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