Édition du 17 décembre 2024

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Amérique centrale et du sud et Caraïbes

Mexique : Une candidate indigène à la présidentielle ?

On l’oublie, mais le Mexique, vaste comme près de quatre fois la France, est aussi le pays du continent américain qui compte en son sein, en chiffres absolus, le plus grand nombre d’indigènes.

tire de : 2017 - 2 - 7 janvier : Notes de lecture, textes, annonces et petition

Entre treize et seize millions d’individus, appartenant à plus de cinquante ethnies différentes. Mayas, Otomis, Zapotèques, Totonaques, Huastèques, Mazatèques, Nahuas, Mixtèques… les plus militants d’entre eux forment les files du Congrès national indigène (CNI). Créé il y a vingt ans dans la foulée de la rébellion zapatiste du Chiapas, le CNI défraie de nouveau la chronique en cette fin d’année avec l’annonce des résultats de la consultation de ses « bases d’appui » visant à désigner une candidate indigène à l’élection présidentielle mexicaine de 2018 !

Si l’initiative en elle-même revient à l’EZLN (Armée zapatiste de libération nationale), voire à ses prolixes « sous-commandants », Moisés et Galeano (ex-Marcos), que l’on disait fâchés avec la voie électorale, les motifs exposés concernent bien l’ensemble des peuples indigènes du Mexique et, au-delà, les victimes d’un modèle de développement prédateur et les laissés-pour-compte de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). En cause, l’accaparement de leurs territoires – sans leur consentement donc – pour l’établissement de « mégaprojets modernisateurs », aux mains d’investisseurs extérieurs.

La liste est sans fin, aux quatre coins du Mexique : concessions minières, explorations pétrolières, exploitations forestières, élevages intensifs et extensifs, barrages hydroélectriques, parcs éoliens, monocultures de soja transgénique ou de palme africaine, constructions autoroutières ou aéroportuaires, centrales énergétiques, gazoducs et oléoducs, entreprises immobilières, implantations écotouristiques, privatisation de l’accès à l’eau et à d’autres ressources naturelles, fracturation hydraulique de gisements d’hydrocarbures, etc.

Dans chacune de ces situations épinglées par les communiqués du CNI et de l’EZLN, « l’hydre capitaliste » honnie procède par exploitation ou discrimination, dépossession et répression. Les territoires sont violés, déboisés, pollués ; les communautés et populations, harcelées ou déchirées ; les luttes et résistances, criminalisées et brutalisées. Pour le seul profit du « Mexique d’en haut », sourd aux griefs du « Mexique d’en bas ». C’est à cela que le Congrès national indigène et les rebelles du Chiapas entendent mettre un terme aujourd’hui. Comment ? La question divise.

Quelle stratégie suivre pour peser dans les rapports de force ? Quelle voie choisir pour, au-delà des dénonciations, passer à l’offensive ? Depuis leur soulèvement armé du 1er janvier 1994, les zapatistes ont multiplié les tentatives d’atterrissage pacifique sur la scène politique mexicaine – appels à voter, essais d’articulation aux forces de gauche, négociations avec le gouvernement, lancements d’une convention, d’un mouvement, puis d’un front de libération nationale… – pour, par la suite, échaudés par les revers, donner priorité à la construction d’une forme d’autogouvernement « radicalement démocratique », un régime d’« autonomie de fait » sur leurs propres zones d’influence chiapanèques. Glissement donc d’une inclination politique à une orientation plus sociale, d’une volonté classique de « changement par le haut » à une démarche expérimentale de « changement par le bas ».

Pour autant, le Mexique n’en a pas fini avec le zapatisme. Aujourd’hui, c’est au CNI que la direction zapatiste souffle l’idée de constituer, à l’échelle nationale, un « Conseil indigène de gouvernement » dont la porte-parole, « indienne de sang, de langue et de culture » à choisir « en dehors des rangs de l’EZLN », pourrait être candidate à la présidence du pays. Non pas pour prendre le pouvoir, mais pour rendre de la visibilité à la cause des oubliés, des dépossédés, des marginalisés, et mobiliser dès lors bien au-delà des peuples indigènes. Beaucoup s’enthousiasment. Un premier sondage indique que 20% déjà des Mexicains seraient prêts à voter pour elle. Mais d’aucuns, à gauche, se cabrent (« une candidature indigène ferait le jeu de la droite »), d’autres crient à la trahison de la prétendue essence autonomiste du zapatisme. Au-delà, des réflexes racistes moquent l’initiative.

Reste que la rébellion zapatiste signe là un nouveau coup d’éclat. Un ixième coup d’éclat. Pour débarquer où on ne l’attendait pas. Pour redonner du souffle à son rejet des dominations, à ses aspirations à l’émancipation, dans un Mexique bloqué politiquement, rompu et corrompu par la guerre des narcos. Chemin faisant, le zapatisme prend le risque de mesurer publiquement le poids des inimitiés que sa stratégie évolutive et sa communication évasive ont suscitées dans son propre camp. Le lot peut-être d’un mouvement dont on a dit à raison qu’il était « identitaire, révolutionnaire et démocrate ». Les trois à la fois. Il en tire son mérite et sa rareté.

Bernard Duterme

Directeur du CETRI – Centre tricontinental (Louvain-la-Neuve), coordinateur de Zapatisme : la rébellion qui dure (Paris, Syllepse, 2015).

Bernard Duterme

Auteur pour le site Reporterre (France).

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