30 août 2021 | tiré de Reporterre.net
La campagne présidentielle a déjà débuté pour la France insoumise. Durant le mois d’août, trois caravanes de L’Union populaire — le nouveau slogan de la campagne — ont sillonné le pays avec un objectif : convaincre les habitants des quartiers populaires de voter pour Jean-Luc Mélenchon les 10 et 24 avril 2022 plutôt que de s’abstenir. « Nous sommes parvenus à faire inscrire des centaines de personnes sur les listes électorales », se réjouit Clémence Guetté, coordinatrice du programme de Jean-Luc Mélenchon. Le trajet réalisé en 70 étapes a pris fin à Châteauneuf-sur-Isère (Drôme), près de Valence, où se sont tenues les universités d’été de la France insoumise, les « Amfis », du 26 au 29 août.
Sans devoir passer par la case des primaires, les parlementaires Insoumis ont tâché de démontrer qu’ils sont déjà en mesure de former un gouvernement. « Les années passées à l’Assemblée nationale sur les bancs de l’opposition, nous ont préparés », affirme Adrien Quatennens, député de la 1ʳᵉ circonscription du Nord. « Nous avons pu travailler à l’application du programme de l’Avenir en commun en élaborant des projets de loi et des plans d’actions concrets. Nous sommes prêts à gouverner le pays. »
Conférences et débats se sont tenus au bord du lac de l’Aiguille sous les tentes tourbillonnant au rythme du mistral. Étaient conviés des intervenants de la société civile (syndicats, associations, ONG, experts, scientifiques), toujours accompagnés par une personnalité du mouvement chargée de faire le lien avec le programme. Discriminations au travail, partage des richesses, lutte contre l’évasion fiscale, le groupe politique réaffirme son souhait de voir la puissance publique s’imposer face aux intérêts privés en promouvant l’instauration d’un véritable « État planificateur. Des mesures sociales ont déjà été annoncées : semaine à 32 heures, retraite à 60 ans, mise en place de la sixième semaine de congés payés ou encore la hausse du Smic. Pour consulter l’intégralité du programme, il faut débourser 2,5 euros pour chaque carnet thématique [1] et… patienter, car tous les livrets ne sont pas encore sortis.
Pour autant, celui concernant la planification écologique est paru en mars. Un signal de la place accordée à l’écologie dans ce programme « enrichi » par les travaux parlementaires réalisés pendant le mandat (entre autres sur l’eau, le nucléaire, la gestion de la forêt française ou encore sur l’alimentation industrielle). Le souhait de voir la « règle verte » inscrite dans la Constitution, à savoir l’interdiction de prélever sur la nature davantage que ce qu’elle peut reconstituer, ni produire plus que ce qu’elle peut supporter, est réaffirmé.
Une « économie des besoins » plutôt que du PIB
Pour Lucie Mendez, militante au sein de la Gauche révolutionnaire, le plus important est d’en finir avec l’impunité des multinationales. La jeune Rouennaise a raconté lors d’une conférence sur les accidents industriels, comment elle avait vécu l’explosion de l’usine Lubrizol, et sa colère envers l’État, qui n’a pas protégé les habitants. « Si l’écologie prend de plus en plus de place dans le programme des Insoumis, c’est parce que nous sommes de plus en plus nombreux à être touchés par les catastrophes et les pollutions industrielles mais aussi, parce que les jeunes ont beaucoup porté ces questions-là ces dernières années », dit-elle. Elle soutient la candidature de Jean-Luc Mélenchon, avant tout pour la « planification écologique » : « C’est selon moi la seule méthode qui prend en compte la situation matérielle dans laquelle nous nous trouvons et qui ne se contente pas uniquement de semer de l’espoir. »
La planification écologique, déjà inscrite dans le programme du parti en 2017, prend un poids plus important dans la version 2022. Avec un changement de paradigme qui structure la vision d’ensemble, sinon intellectuelle, du groupement politique. La France insoumise entend orienter sa politique autour de « l’économie des besoins » et laisser de côté l’indicateur du PIB. « On se dit que les causes communes qui peuvent fédérer le peuple, c’est l’air qu’on respire, l’eau que l’on boit, la terre qui nous nourrit, le droit d’avoir un emploi, le droit d’avoir un logement. On a l’air de dire des choses basiques et pourtant ce n’est plus du tout une évidence dans notre société », explique Mathilde Panot, députée du Val-de-Marne et vice-présidente du groupe Insoumis à l’Assemblée, assurant que ces besoins seront établis en concertation avec les citoyens et citoyennes.
« Le temps des forêts n’est pas le temps des humains. »
Partant du constat que les règles du marché, de la concurrence libre et non faussée, ne permettent pas de répondre à l’urgence écologique, les Insoumis se donnent des objectifs sur le long terme, comme la sortie du nucléaire ou encore l’utilisation d’énergies 100 % renouvelables. « La planification est une méthode qui se réapproprie le temps long. Le temps des forêts n’est pas le temps des humains », dit Mathilde Panot. Autre mesure prévue : la rénovation de 700 000 logements par an, la fin des niches fiscales sans contrepartie environnementale, la rénovation du réseau d’eau potable, le tout serait chapeauté par un ministère de la Planification écologique.
Dans les allées du village militant, où de nombreuses associations comme Attac, Anticor, ou encore L214 avaient installé leurs stands, les débats étaient animés. Gildas Venet, cofondateur de l’association Inventons nos vies bas carbone, qui sensibilise sur l’impact carbone de la vie quotidienne des Européens, a déjà déposé son barnum aux universités d’été du PS et d’EELV. S’il estime que le programme de la France insoumise est « fort et ambitieux », ce programme ne chiffre pas assez, selon lui, la façon dont il va falloir diminuer notre consommation énergétique. « Personne n’en parle, car c’est conflictuel. Pour moi, il faut vivre mieux, avec moins. Parler de décroissance. Seul François Ruffin est allé aussi loin en disant : "Moins de biens, plus de liens." »
Avec comme slogan l’Union populaire, le mouvement de Jean-Luc Mélenchon entend s’adresser à la classe laborieuse, pour qui écologie peut rimer avec fermeture d’usine, taxes supplémentaires et plus largement, injustice. Comment mener une véritable politique écologique qui s’adresse au plus grand nombre ? « Nous voulons montrer qu’il est possible de faire une écologie avec un souci de justice sociale », défend Clémence Guetté. « On nous bassine les oreilles avec les gestes individuels. Pour nous, la réponse est systémique. C’est le système capitaliste qui est à l’origine de la destruction de la planète. L’écologie populaire doit se faire avec les gens et surtout sans taper toujours sur les mêmes personnes », explique-t-elle, en référence à la révolte des Gilets jaunes, dont le point de départ a été l’annonce de la hausse de la taxe sur le diesel.
« Laissez-moi gagner la primaire ! »
Avec une telle place accordée à l’écologie, l’idée d’une alliance avec Europe Écologie — Les Verts, fait son chemin. Éric Piolle, maire de Grenoble et Sandrine Rousseau, économiste, tous deux candidats à la primaire du parti, ont fait le déplacement et n’ont pas caché leur proximité avec les Insoumis.
Lors de la conférence intitulée « Quelle stratégie européenne en 2022 pour appliquer un programme de rupture », Sandrine Rousseau a été ovationnée par l’auditoire. « Pourquoi sommes-nous si similaires et ne sommes-nous pas ensemble ? » l’interpelle une militante au micro. Rousseau rétorque : « Laissez-moi gagner la primaire ! » Avant de poursuivre : « La seule chose sur laquelle je peux m’engager c’est que je continuerai à discuter avec vous, comme je le fais aujourd’hui, parce que c’est comme cela que se forment des coalitions qui nous permettront d’aller vers une rupture. »
Une compatibilité assumée qui pousse certains militants à penser stratégie : « Il faut voter pour elle à la primaire des écologistes, c’est le seul moyen de former une alliance. Sandrine Rousseau est plus proche de nous que de Yannick Jadot », lance à sa voisine, Jean-Louis, militant de la France insoumise, venu du Lot-et-Garonne. Nicolas et Marion, respectivement 32 ans et 25 ans, comptent également voter à la primaire d’EELV pour Sandrine Rousseau. « C’est purement stratégique », lance Marion, venue assister au meeting de Jean-Luc Mélenchon, le dimanche 29 août.
Comédienne, elle n’est pas satisfaite des potentiels candidats de la gauche traditionnelle. « J’aurais aimé que Christiane Taubira se présente, mais elle n’y va pas. Après avoir lu le programme de la France insoumise, je suis donc venue écouter Jean-Luc Mélenchon. Après coup, je pense avoir trouvé mon candidat pour 2022 », déclare-t-elle.
« L’important c’est le programme. »
Convaincre n’est pas gagné d’avance. Y compris parmi les sympathisants de la gauche, perdus entre un PS malmené pendant le mandat de François Hollande et la figure tutélaire d’un Jean-Luc Mélenchon, incarnation malgré lui de la politique de carrière. « C’est vrai qu’il peut être clivant », dit Franck, dans la foule chantant « On est là », refrain des Gilets jaunes. « Mais s’il respecte ses engagements, il instaurera la VIᵉ République et il laissera la place. »
Lors de son allocution, Jean-Luc Mélenchon a affirmé avoir recueilli 240 signatures sur les 500 nécessaires à sa candidature officielle. « Je ne me présente pas tout seul pour une aventure personnelle […] je me présente avec une équipe de 23 parlementaires que vous connaissez désormais et qui sont les héros de vos luttes », a-t-il proclamé sur scène, les concernés étant assis en rang derrière lui. « Je suis comme je suis, l’important c’est le programme », tranche-t-il, en renvoyant les électeurs à faire abstraction de son tempérament. Après plus d’une heure de discours, le chef de file s’est éclipsé, laissant son équipe répondre aux journalistes. Ce sont bien eux qui devront, pendant huit mois, convaincre les désillusionnés de la politique.
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