Édition du 19 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Amérique centrale et du sud et Caraïbes

Après Matthew, l’ouragan Sweet Micky

Martelly ou la promotion de « spectacles d’obscénité » comme stratégie de répression politique

L’œuvre mortifère de Matthew dans le sud, malgré la dévastation et la désolation, semble insuffisante quant il s’agit de réduire à néant tout espoir de donner une nouvelle vie à une partie importante de la population haïtienne. Il a fallu ajouter un autre ouragan, certes causant moins de dégâts physiques que Matthew, mais tout aussi dévastateur parce que son terrain de bataille est celui de la politique et de l’idéologie : l’ouragan Sweet Micky.

L’État haïtien a fait preuve d’impuissance dans les opérations de secours après Mattew. Cela, on s’y attendait. Après des décennies de déstructuration, cet État n’est plus que l’ombre de lui-même. Et cette impuissance, bien qu’elle soit le résultat de la politique néolibérale dictée de l’étranger, est devenue une banalité, une normalité que l’on a appris à accepter comme une fatalité.

Dans toute la péninsule du sud, des milliers de gens démunis attendent jusqu’à présent l’aide promise. Le spectre de la famine hante une multitude d’enfants, de blessés, d’infirmes. Mais, face à cette sinistre réalité, le nouveau président Jovenel Moise ordonne l’organisation du carnaval traditionnel dans l’une des villes les plus touchées par l’ouragan Matthew. C’est sa façon, dit-il, de faire de l’investissement économique dans la région.

Prise à la lettre, cette manière de comprendre la réhabilitation d’une partie du pays après un désastre naturel serait risible. Imaginez le scandale que cela aurait provoqué, si le gouvernement étasunien, pour faire face aux dégâts causés par l’ouragan Katrina, avait organisé un carnaval à la Nouvelle Orléans !

Mais pour notre État néocolonial, là n’est précisément pas la question. La logique derrière ce carnaval est toute autre. Elle correspond plutôt à cette croyance historique, ancrée et promue par l’oligarchie, qui consiste à considérer le peuple haïtien comme un peuple qui peut souffrir sans se plaindre, pourvu, bien sûr, qu’on le fasse danser, qu’on lui procure du Kleren et si nécessaire qu’on le bastonne.

La souffrance du peuple est perçue comme celle de l’esclave : dans l’esprit du colon, le système esclavagiste était une bénédiction pour le « nègre » puisque ce dernier était livré à une activité qui correspondait à sa « nature », puisque le système lui-même était un moyen pour lui d’échapper à la jungle et à la « barbarie » africaines : c’est le syndrome du happy Negro. Après plus de deux cents ans d’indépendance, cette conception, à peine transformée, est reproduite par nos classes dominantes pendant que celles-ci clament, haut et fort, à la face du monde leur fierté d’appartenir à la première République noire de la planète.

Cette conception était visiblement à l’œuvre dans ce carnaval de la ville des Cayes. À sa façon, Sweet Micky l’a incarnée. À sa façon, il a symbolisé ce carnaval puisque toutes les attentions étaient centrées sur lui : ses gestes, ses paroles, sa « musique », d’une vulgarité nauséeuse, tombaient à point pour faire oublier les vrais problèmes causés par l’ouragan Matthew.

Mais le personnage, c’est surtout l’incarnation même du sexisme. Et pas n’importe quel sexisme : celui de l’extrême violence contre la femme, de sa soumission par le viol, par le contrôle de son sexe et de son corps. C’est ce message que Sweet Micky veut faire passer par son obsession à vouloir avilir la sexualité de la journaliste Liliane Pierre-Paul. C’est la femme en général qu’il entend remettre à sa place en tant qu’objet sexuel, personnage soumis et muet, conçu pour le plaisir de l’homme.

Néanmoins, par ces « spectacles d’obscénité », dont on assiste à la banalisation croissante, se dessine toute une politique de répression : le droit à la liberté d’expression étant chèrement acquis depuis l’écroulement de la dictature, d’autres moyens que l’emprisonnement et les arrestations arbitraires doivent être mis en place pour faire taire toute voix discordante, toute critique du programme du nouveau gouvernement de « l’homme-banane » et, au-delà, toute remise en question du statu quo.

C’est en ce sens que ces « spectacles » sont éminemment politiques. Les grivoiseries de Joseph Michel Martelly cautionnées par son disciple, Jovenel Moise, sont loin d’être gratuites. Elles révèlent une pièce importante de la gouvernance politique du Parti Haïtien Tèt Kale et de l’oligarchie. C’est la nouvelle voie à suivre pour continuer la mise à sac du pays. Les personnalités de la presse ciblées par Sweet Micky ne sont que des boucs émissaires.

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