Édition du 12 novembre 2024

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Québec solidaire

Marché du carbone : Que Québec solidaire veut-il donc faire dans cette galère ?

À son prochain congrès qui doit se tenir du 15 au 17 novembre, la commission politique et les Commissions thématiques Environnement et Économie proposent de modifier « la position de Québec solidaire sur l’écofiscalité, en retirant l’opposition de principe à la taxe carbone et à la Bourse du carbone, pour la remplacer par l’énoncé d’une série de principes qui devraient être respectés par un système d’écofiscalité avant que celui-ci soit approuvé ou mis sur pied par un gouvernement solidaire. » [1]Nous croyons que cette résolution ne justifie en rien le rejet de la position classique du parti et qu’elle ouvre un débat stratégique essentiel sur les perspectives à la lutte aux changements climatiques. Nous voulons apporter ici notre contribution à ce débat.

L’oligarchie dominante veut garder l’initiative sur la question des problèmes liés aux changements climatiques

La classe dominante est divisée face au réchauffement planétaire. Il existe encore des climatosceptiques comme Trump qui prétendent qui s’agit là de l’hystérie d’une partie des élites qui exagèrent la situation et qui jouent le jeu des ennemis de la libre entreprise. Au Canada, Maxime Bernier ou Andrew Scheer, partagent ce point de vue. Ces politiciens voient l’avenir du Canada sur la scène internationale comme celui d’une puissance pétrolière qui doit continuer à développer cette industrie, en n’hésitant pas à développer l’exploitation du pétrole sale tiré des sables bitumineux. Ils rejettent la taxe carbone et promettent son abolition s’ils prennent le pouvoir.

Mais, une partie de plus en plus importante du grand capital est convaincu de la nécessité d’élaborer une politique néolibérale sur la question du carbone et de ne pas laisser l’initiative aux environnementalistes sur cette question. Donner un prix au carbone est au cœur de leur proposition. Cela peut prend la forme d’une taxe carbone comme le propose Justin Trudeau ou d’une bourse du carbone qui existe déjà au Québec sous le nom de Système de plafonnement et d’échange de droits d’émission de gaz à effet de serre.

La taxe du carbone : conserver la direction de la lutte aux changements climatiques

Le premier ministre Trudeau a imposé aux provinces une taxe carbone de 10$ en 2018 et qui doit s’élever de 10$ par année pour atteindre 50$ par année en 2022. Il prévoit des remises de sommes récoltées à la population. L’objectif proclamé est de permettre l’augmentation de la taxe sans rencontrer une opposition grandissante.

Toutes les études ont démontré qu’un tel prix du carbone est tout à fait insuffisant pour forcer des investissements débouchant sur une baisse des émissions. Même le directeur parlementaire du budget du gouvernement libéral a jugé que la taxe pour pouvoir atteindre les cibles de réduction des gaz à effet de serre devrait dépasser les 100$. [2]. Et on se rappellera que le gouvernement Trudeau conserve les cibles fixées par le gouvernement Harper, cibles qui étaient jugées ridiculement basses et avaient mérité à ce gouvernement des prix fossiles. De plus, le gouvernement a assoupli les seuils d’émission de carbone pour les industries très énergivores, qui craignent de ne pouvoir affronter la concurrence internationale - et avant tout américaine. [3] . Les entreprises les plus polluantes sont les plus épargnées par la taxe carbone !

Et en même temps, Trudeau rachète un pipeline pour désenclaver la production de pétrole et permettre son exportation sur la scène internationale. Cette politique qui apparaît d’abord comme une totale hypocrisie trouve un sens à la lumière des objectifs stratégiques poursuivis par ce secteur de la classe dominante. Ces objectifs stratégiques expliquent les inconséquences de leurs politiques et le refus de tirer le bilan des échecs de leurs propositions.

Ce secteur vise les objectifs suivants : a. donner l’initiative aux entreprises et favoriser l’autoréglementation à ces dernières en matière de contrôle des émissions de GES ; b. réduire puis éliminer les mesures contraignantes qui pourraient être prises par les États et construire leur hégémonie sur la lutte aux changements climatiques ; c. arracher l’initiative au secteur public et au contrôle citoyen dans la mise en œuvre de mesures visant à contrer les changements climatiques.

Au Québec, la bourse du carbone, Système de plafonnement des droits d’émissions (SPEDE) - sa logique, son inefficacité

« Plusieurs gouvernements nationaux et sous-nationaux ont mis sur pied un marché du carbone.(…) Les entreprises doivent se procurer des « permis de polluer », que l’on appelle des droits d’émissions ou des unités d’émission sur un marché réglementé par l’État. On parle de marché du carbone parce que les droits d’émissions constituent une marchandise. Autrement dit, on peut acheter ou vendre le droit d’émettre du carbone dans l’atmosphère à peu près comme on le ferait pour des obligations ou des actions sur les marchés financiers. » [4] Une entreprise qui fait plus d’émissions de GES que les droits reçus doit abaisser ses émissions en deçà des quotas fixés. Au contraire, si une entreprise reçoit un surplus de droits, à cause d’une diminution précédente de ses émissions, elle peut vendre ses droits à une autre entreprise qui n’en aurait pas suffisamment. C’est ainsi que s’instaure un marché des droits de polluer et une bourse de carbone pour régulariser ce marché.

Les objections liées aux SPEDE sont nombreuses. Avec le SPEDE, les moyens de réduire les émissions de GES sont définis par les entreprises privées par le jeu de l’offre et de la demande plutôt que d’être le résultat de décisions collectives. Les déclarations sur les émissions relèvent des entreprises sans qu’il soit possible de mesurer avec exactitude les émissions de GES. Les décisions financières d’échanges des droits de polluer ne pourront pas provoquer les changements de structures requis dans les laps de temps souhaités et assurer le financement de la transition. En somme, plutôt que de favoriser les solutions collectives, le marché du carbone privilégie les solutions de marché et accorde l’initiative aux entreprises polluantes et au capital financier. [5] On pourrait ajouter, l’importance des allocations gratuites des droits d’émission : lire ce tableau [6]

Source : Calculs FTQ à partir de : MDDELCC, le marché du carbone – documentation, Québec, 2017, en ligne – www.mddelec.gouv.qc.ca/changements/carbone/documentation.htm - (Consulté le 3 mai 2017)

Le SPEDE a un caractère régressif, car il constitue une hausse indirecte de la taxe sur les carburants pour les consommateurs et les consommatrices. [7]

Pourtant les résultats du SPEDE en termes de réduction des émissions de GES parlent d’eux-mêmes. En fait, le marché du carbone ne permet pas d’atteindre les cibles fixées même si elles sont en deçà de ce que préconise le GIEC. Le Québec n’a réussi qu’à le réduire les émissions de GES de 9,1% de 90 à 2016. Les émissions de gaz à effet de serre ont continué d’augmenter. Elles ont même particulièrement bondi en 2016 et 2017 dans les 100 usines les plus polluantes du Québec et ce malgré les subventions fournies à ces entreprises par le Fonds vert. [8] Le gouvernement Legault a son arrivée au pouvoir a reconnu que les cibles de réduction de 20% par rapport à 90 pour 2020 étaient impossible à atteindre.

En somme, comme l’écrivent Louis Gaudreault et Éric Pineault : « Le recours à des mécanismes du marché pour lutter contre les changements climatiques ne peut donc que concourir à l’assujettissement de l’activité humaine à la finance qui résulte du processus de financiarisation. Il suppose en effet que toute solution éventuelle aux problèmes environnementaux soit d’abord approuvée par les marchés financiers et préalablement soumise à leurs critères de certification et de rentabilité. Il devient dans ce contexte difficile d’envisager qu’une société puisse prendre en main son devenir sans que ses actions soient auparavant rendues conformes aux modèles financiers qui transforment les produits de l’activité humaine en titres négociables. Pourtant, face aux nombreux problèmes que posent les marchés du carbone et à leur incapacité à offrir une issue durable à la crise écologique, la véritable solution à ce problème ne peut être que politique et résider dans une réappropriation par la société de sa capacité d’action face à la finance. » [9]

Ne pas plier devant les pressions du capitalisme vert - maintenir la position de Québec solidaire

La destruction de l’environnement et les basculements climatiques ne peuvent être combattus sans remettre en question les fondements de l’accumulation capitaliste, sans fixer des objectifs contraignants, sans donner la priorité aux pratiques collectives innovantes génératrices de valeurs culturelles nouvelles liées aux mobilisations populaires.

La transition implique de modifier radicalement le système énergétique par la sortie des énergies fossiles et le développement d’énergies renouvelables, de passer à un système de transport collectif gratuit permettant de mettre derrière nous la domination du complexe autopétrole, de passer d’une agriculture industrielle polluante à une agriculture de proximité visant la souveraineté alimentaire, de transformer notre système d’alimentation, d’éviter toutes les formes de pollution, d’en finir avec le pillage sans fin des ressources naturelles et de savoir protéger la biodiversité. Il faudra l’ensemble de l’épargne de la population et réformer radicalement la fiscalité pour opérer une distribution plus égalitaire de la richesse pour se donner les moyens d’opérer cette transition. Il faudra surtout que le mouvement populaire arrache l’initiative de la lutte aux changements climatiques des mains du capital financier.

« La crise écologique a pour cause principale la dynamique capitaliste d’accumulation. Celle-ci est inséparable d’une économie basée sur la concurrence pour la production de survaleur. Les dangers terribles que cette crise fait peser sur l’humanité ne peut être conjurés que par des mesures anticapitalistes radicales permettant, en résumé de produire moins, autrement, autre chose et de partager plus pour vivre mieux… de la vraie richesse que sont les relations humaines. » [10]

Québec solidaire doit défendre la position qu’il a toujours défendue jusqu’ici et rejeter (encore une fois) la perspective de réformer et promouvoir le marché du carbone comme instrument de lutte aux changements climatiques.


[1(Québec, solidaire, Cahier de résolution Prendre le pouvoir, transformer le Québec, 2019

[2Hélène Buzzetti, La taxe carbone ne serait pas assez élevée juge le directeur parlementaire du budget, Le Devoir, 14 juin 2019

[3Presse canadienne Le gouvernement Trudeau assouplit les seuils d’émissions de carbone, Le Soleil, 1er août 2018

[4FTQ, Regard syndical sur l’écofiscalité : emplois, environnement et justice sociale, 5 juin 2017, Montréal

[5idem, FTQ, pp. 25-28

[6idem, FTQ, p. p27.

[7Malgré ces analyses pertinentes, le document de la FTQ prétend adopter une position pragmatique et baliser le fonctionnement du marché du carbone pour le rendre plus acceptable balayant en fait les objections apportées par le document lui-même.

[8Les 100 usines les plus polluantes du Québec, Journal de Montréal, 18 mai 2019.

[9Les marchés du carbone : solution écologique ou bulle spéculative ? In La Bourse contre la vie, Dérive et excroissance des marchés financiers, Éditions Multimondes, 2010

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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