Des beaux discours à la réalité
De 2015 à aujourd’hui, la gestion publique néolibérale du PLC s’est un peu détachée de celle des longues années de Stephen Harper, mais en réalité, peu de changements se sont concrétisés. On a plutôt observé une gestion managériale répondant aux attentes de l’axe Toronto-Calgary autour de la haute finance et de l’extractivisme, une politique étrangère fidèle au rôle traditionnel du Canada comme le « plus meilleur » allié subalterne des États-Unis, la ligne dure face au Québec, tout cela enrobé dans le miel de la « réconciliation avec les Autochtones » et du « féminisme ». Depuis l’arrivée du trumpiste Doug Ford à la tête de la province ontarienne, une nouvelle alliance entre l’élite canadienne et une masse de mécontents a pris forme dans le cœur démographique et économique du pays autour d’un programme à saveur réactionnaire. La marge de manœuvre du PLC devient mince. Peut-il refaire le coup de 2015 et doubler un NPD encore mal remis de la désastreuse orientation droitière des dernières années ? Peut-il tirer profit de l’image sulfureuse des conservateurs que Scheer cherche à masquer ?
Quels enjeux pour le Québec ?
S’ils gagnent leur pari, Scheer et son noyau néoconservateur n’hésiteront pas une minute à relancer le projet de pipeline Énergie Est. Ils reviendront à une politique austéritaire sans nuance en sabrant les dépenses, à part le militaire. Ils reprendront la dynamique raciste et exclusiviste à l’encontre du Québec – sous la forme du Québec bashing, des Autochtones et des immigrants. Scheer tentera cependant d’être plus accommodant avec le gouvernement de la Coalition Avenir Québec (CAQ), afin de se débarrasser vers les provinces de certaines fonctions sociales de l’État fédéral. Un mélange de conservatisme avec une dose de populisme pourrait servir la cause conservatrice, si on ajoute un peu de nationalisme à la sauce identitaire. Des syndicats, au Canada et au Québec, disent qu’il faut tout faire pour empêcher une victoire conservatrice. En pratique, compte tenu de l’alignement actuel, cela veut probablement dire un appui « tactique » au PLC et peut-être, dans certains cas, au NPD, surtout si certains éléments de ce parti (Alexandre Boulerice, Nima Machouf) réussissent à faire oublier la désastreuse performance du parti quand Thomas Mulcair a essayé de doubler les libéraux sur la droite ! Selon certaines projections, le NPD pourrait gagner quelques circonscriptions (sur les 16 qu’il détient au Québec). Reste le Bloc québécois. À la fois plutôt de centre gauche et répondant du Parti québécois (PQ) à Ottawa, le Bloc cherche à remonter sa cote. Mais dans le sillon de la dégringolade du PQ, ce n’est pas évident. En se disant le « défenseur des intérêts du Québec », le chef Yves-François Blanchet, ex-ministre péquiste, se retrouve souvent dans les mêmes eaux que la CAQ, notamment avec les manœuvres pour cibler les immigrants et les immigrantes.
Des alternatives, il y en a, mais ce n’est pas pour demain
Depuis la montée de Québec solidaire, des secteurs progressistes au Canada dit anglais ont compris qu’il y avait peut-être quelque chose à faire pour sortir de la fausse alternance. Si on a réussi à le faire à l’échelle québécoise, en sortant du bipartisme encrassé qui dominait depuis si longtemps, pourquoi une telle convergence ne pourrait-elle pas se mettre en place à l’échelle canadienne ? Des secteurs progressistes canadiens pourraient-ils s’avancer sur de nouvelles pistes sur la nécessité d’une « grande transition » sociale, économique, écologique ? Quels seraient les secteurs populaires prêts à embarquer dans l’aventure ? Pourraient-ils parallèlement apporter un appui explicite et actif au droit à l’autodétermination, et donc franchir la ligne rouge qui les a toujours coupés du Québec ? Tout cela pourrait-il aboutir à une sorte de rapprochement entre QS et un éventuel « Canada solidaire » ? Ne nous comptons pas trop d’histoires, ce n’est pas pour demain. Ce serait une (très) longue marche, mais comme le disait un certain révolutionnaire chinois, il faut au moins faire le premier pas pour espérer monter jusqu’en haut de la montagne.
Pierre Beaudet
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