Édition du 12 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Canada

M. Poilievre ne dira pas où il en est concernant la hausse de l’impôt sur les gains en capital

Les conservateurs adorent leur slogan vide de sens « Ax the taxe », mais quelle est la position de Pierre Poilievre sur une taxe potentiellement populaire sur les super-riches ?

30 mai 2024 | tiré de Rabble.ca | Photo : Pierre Poilievre au congrès du Parti conservateur de 2023 avec un grand drapeau canadien en arrière-plan.

par Karl Nerenberg

Le chef conservateur Pierre Poilievre est peut-être en tête des sondages et fait des gains avec des promesses simplistes de « supprimer la taxe » et de « se débarrasser des gardiens de la réglementation », mais il déçoit certains qui pourraient autrement favoriser les Conservateurs.

Qui sont ces malheureux ? Ils représentent un segment important de la communauté d’affaires canadienne – et leurs acolytes bruyants, les médias grand public.

Et pourquoi sont-ils malheureux ?

C’est parce que si Poilievre est farouchement opposé aux taxes, en principe, et surtout à la taxe carbone, il y a une hausse de taxes sur laquelle le chef conservateur a maintenu une position résolument évasive.

Il s’agit de l’augmentation de l’impôt sur les gains en capital que les Libéraux ont incluse dans leur dernier budget.

En avril dernier, la ministre des Finances, Chrystia Freeland, a annoncé une hausse d’impôt sur les gains en capital de plus de 250 000 $ pour les particuliers et sur tous les gains en capital pour les sociétés. Ces augmentations entreront en vigueur le 24 juin.

Les gains en capital sont des bénéfices tirés de la vente d’actifs. Il peut s’agir de biens (à l’exception d’une résidence principale, dont la vente n’est pas imposée) et d’actions des sociétés.

À l’heure actuelle, les particuliers et les sociétés canadiennes ne paient de l’impôt que sur 50 p. 100, soit la moitié, de ces gains.

Les nouvelles règles signifient que les sociétés paieront de l’impôt sur les deux tiers de leurs gains en capital.

Les particuliers paieront de l’impôt sur les deux tiers des gains en capital supérieurs à 250 000 $. Jusqu’à 250 000 $, le taux d’inclusion des gains en capital, pour les particuliers, restera de 50 %.

De nombreux Canadiens, même modestes, réalisent des gains en capital au cours d’une année donnée, le plus souvent par la vente d’actifs dans leur portefeuille de placements de retraite ou par la vente d’une maison de vacances ou d’une autre propriété.

Cependant, seule une infime proportion réalise plus d’un quart de million de dollars de gains en capital en une seule année.

Le gouvernement Trudeau estime que moins d’un pour cent des Canadien-ne-s seront touchés par l’augmentation du taux sur le gain en capital. Mais les recettes pour le gouvernement seront importantes, de l’ordre de 7 milliards de dollars.

C’est un changement important. Pour ne citer qu’un exemple de ce que 7 milliards de dollars signifieraient en termes de dépenses gouvernementales : cette somme représente environ cinq fois l’allocation fédérale annuelle pour Radio-Canada.

Forte résistance des grandes entreprises

La communauté d’affaires et autres critiques de l’augmentation de l’impôt sur les gains en capital contestent les chiffres du gouvernement Trudeau.

Une équipe de six groupes d’affairistes, allant de la Chambre de commerce du Canada à l’Association canadienne des producteurs de canola, a envoyé une lettre ouverte à la ministre des Finances. Ils affirment qu’un-e Canadien-ne sur cinq sera « directement touché » par les nouvelles règles sur les gains en capital au cours de la prochaine décennie.

Ces groupes ne disent pas comment ils sont arrivés à ce chiffre, mais mentionnent que les nouvelles mesures fiscales « menacent les plans de retraite de millions de Canadiens qui ont basé leurs plans sur le produit de la vente d’un chalet familial ou d’une petite entreprise ».

En lisant cet argument, on pourrait imaginer que le gouvernement prévoyait confisquer 100 % des revenus de ces ventes.

La vérité, bien sûr, c’est qu’après le 24 juin, les Canadien-ne-s qui vendent leur chalet ne paieront encore de la taxe que sur la moitié du premier quart de million qu’ils réaliseront en sus du prix d’achat initial. Je le répète, ils devront payer des impôts sur les deux tiers de leurs bénéfices uniquement sur la partie excédant 250 000 $.

Pas si mal.

Si vous avez un chalet à vendre, vous pouvez toujours faire un bon profit, dont une bonne partie sera à l’abri de l’impôt. En revanche, si vous subvenez à vos besoins et à ceux de votre famille en travaillant pour gagner votre vie, plutôt que de vendre des actifs, vous devez payer des impôts sur 100 % de vos revenus.

La lettre des entreprises commerciales à la ministre des Finances semble exagérer considérablement le risque financier pour les propriétaires de chalets de la classe moyenne. Mais c’est de bonne guerre.

Il est plus facile de se peindre comme des gens ordinaires qui ont des maisons de campagne à vendre que comme membres de la classe des investisseurs, pour qui 250 000 $ de gains en capital serait un montant dérisoire.

Les auteurs de la lettre utilisent un argument différent pour convaincre le gouvernement d’épargner ces investisseurs aux poches profondes.

Ils disent que la question centrale n’est pas les profits de certaines personnes (très riches). Ce qui est en jeu, disent-ils, est beaucoup plus grand et plus important.

La question centrale est – et on le comprend – l’économie.

Le Canada ne peut pas se permettre ces taxes supplémentaires, écrivent les gens d’affaires dans leur lettre, parce qu’elles rendront ce pays « moins compétitif et moins innovant ».

Puis la lettre va plus loin et devient dramatique, voire mélodramatique.

Elle prévient qu’« à un moment où nous luttons déjà de toute urgence pour relancer la productivité à la traîne de notre pays, l’augmentation des impôts sur les investissements productifs et l’étranglement du potentiel canadien auront des répercussions profondes, durables et potentiellement irréversibles ».

Comprenez cela, vous qui taxez et dépensez, les Libéraux et les Néo-démocrates.

Vous pensez que vous introduisez une modeste mesure fiscale qui fera pencher la balance un tout petit peu plus loin des riches et des ayants droit vers les gens qui travaillent pour gagner leur vie.

Eh bien, pas si vite.

Cette modeste augmentation d’impôt causera des dommages irréversibles et permanents à l’économie canadienne – c’est du moins ce que nous disent les lobbyistes des milieux d’affaires, bien qu’ils ne nous fournissent ni faits ni chiffres pour étayer leur affirmation.

Où est Pierre ?

Certains commentateurs, comme John Ivison du National Post, ont exhorté Pierre Poilievre à rester fidèle à son identité anti-fiscale. Le chef conservateur devrait sortir de son silence et critiquer sans ambiguïté l’augmentation de l’impôt sur les gains en capital.

Et si, par hasard, Poilievre craignait que la nouvelle mesure fiscale visant les plus riches des riches soit populaire auprès de la plupart des Canadien-ne-s, Ivison souligne que certains sondages « indiquent que les électeurs n’ont pas été dupés par l’argument sur l’équité du gouvernement » – un argument qu’Ivison décrit comme « un flagrant vol d’argent destiné à financer des dépenses effrénées ».

Poilievre pourrait voir d’autres données des sondages qui racontent une histoire différente – ou il ne veut pas diluer son image populiste soigneusement conçue de défenseur du petit peuple.

Tôt ou tard, Poilievre devra montrer ses couleurs sur la question des gains en capital. Les Libéraux ont habilement retiré cette mesure du budget de 2024. Il y aura un vote autonome sur l’impôt sur les gains en capital, peut-être avant l’ajournement de la Chambre pour l’été.

Mais même si les Conservateurs se bouchent le nez et votent pour l’augmentation d’impôt – comme ils l’ont fait pour l’initiative du NPD visant à interdire les briseurs de grève dans les lieux de travail sous réglementation fédérale – beaucoup craignent ce que l’équipe de Poilievre fera si elle prend le pouvoir après les prochaines élections.

Parmi ceux-ci se trouvent les Conservateurs de l’Ontario de Doug Ford.

Selon certaines informations, le premier ministre Ford et ses collègues envisagent sérieusement la tenue d’élections anticipées, qui auraient lieu avant les élections fédérales, maintenant prévues pour l’automne 2025. La dernière élection ontarienne a eu lieu en 2022, et la prochaine n’est pas officiellement prévue avant 2026.

Il semble que les Conservateurs de l’Ontario soient tentés de déclencher un vote dans les mois à venir parce qu’ils craignent qu’un gouvernement Poilievre n’amorce des coupes profondes et impopulaires dans les transferts fédéraux pour la santé, les services sociaux et l’éducation.

Ford et son équipe craignent également qu’un gouvernement conservateur fédéral n’annule des milliards de dollars de subventions que le gouvernement fédéral et celui de l’Ontario ont promis pour de grands projets d’énergie verte, comme une usine de batteries pour véhicules électriques à Windsor.

Il semble qu’un bon nombre de Canadien-ne-s – même certain-e-s qui, aujourd’hui, disent aux sondeurs qu’ils voteront Conservateur – partagent les appréhensions de Ford quant aux véritables intentions de Poilievre.

La société de sondage Abacus montre une grande avance l’avance de l’équipe Poilievre dans les intentions mais, paradoxalement, également qu’il y a beaucoup d’inquiétude, voire de crainte, sur ce que les Conservateurs pourraient réellement faire une fois élus.

Les électeurs, malheureusement, semblent être d’accord avec l’élimination de la taxe sur le carbone. Et ils ont une vague impression que les Conservateurs feront quelque chose pour augmenter l’offre de logements. (Les Conservateurs n’ont pas encore dit avec précision comment ils feront construire plus de maisons.)

Mais d’autres initiatives politiques potentielles – qui pourraient motiver la base conservatrice – ne sont généralement pas populaires auprès de l’ensemble des Canadiens.

Il s’agit notamment de la réduction des budgets de la partie canadienne-anglaise de Radio-Canada, de la fin des régimes d’assurance-médicaments et de soins dentaires, de la réduction du programme national de garde d’enfants et de la restriction de l’accès à l’avortement et aux services de santé reproductive.

De plus, même si les Canadien-ne-s n’aiment pas la taxe sur le carbone, ils disent aux sondeurs qu’ils veulent que leurs gouvernements prennent des mesures concrètes et efficaces pour lutter contre les changements climatiques. Les Conservateurs n’ont pas encore présenté quoi que ce soit qui ressemble à un plan de lutte aux changements climatiques.

Poilievre s’en tire avec des slogans simplistes et des promesses sans substance depuis plusieurs mois maintenant.

Le vote à venir sur les gains en capital sera une occasion où il ne pourra pas s’appuyer sur la rhétorique et devra dire définitivement où il se situe.

*****

Abonnez-vous à notre lettre hebdomadaire - pour recevoir tous les liens permettant d’avoir accès aux articles publiés chaque semaine.

Chaque semaine, PTAG publie de nouveaux articles dans ses différentes rubriques (économie, environnement, politique, mouvements sociaux, actualités internationales ...). La lettre hebdomadaire vous fait parvenir par courriel les liens qui vous permettent d’avoir accès à ces articles.

Remplir le formulaire ci-dessous et cliquez sur ce bouton pour vous abonner à la lettre de PTAG :

Abonnez-vous à la lettre

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par les responsables.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Sur le même thème : Canada

Sections

redaction @ pressegauche.org

Québec (Québec) Canada

Presse-toi à gauche ! propose à tous ceux et celles qui aspirent à voir grandir l’influence de la gauche au Québec un espace régulier d’échange et de débat, d’interprétation et de lecture de l’actualité de gauche au Québec...