7 novembre 2016 | tiré du site Reporterre.
Rêvons un peu. Imaginons qu’au lendemain de la présidentielle 2017, un gouvernement désireux de lutter efficacement contre le changement climatique soit nommé. Imaginons que les associations, les ONG, les groupes de citoyens en lutte, les syndicats du pays aient décidé de porter tous ensemble l’exigence de sortir de l’âge des énergies fossiles, reprenant à leur compte les recommandations scientifiques consistant à geler au moins deux tiers des réserves fossiles pour conserver une chance raisonnable de rester en deçà des 2°C de réchauffement climatique, et 1,5°C idéalement, comme le fixe l’article 2 de l’Accord de Paris.
Résilients et solidaires autour d’alternatives concrètes, mobilisés comme jamais contre les multinationales de l’énergie, ancrés dans leurs territoires pour empêcher les projets climaticides, impliqués dans un vaste mouvement pour la transition, ces associations, ONG, groupes de citoyens et syndicats mettraient une telle pression dans le débat public que les lobbies économiques et leurs affidés seraient marginalisés.
S’appuyant sur une telle mobilisation citoyenne, ce gouvernement inédit commencerait par décider d’un moratoire sur toute nouvelle exploration d’énergies fossiles sur le territoire (outre-mer compris) et sur toute nouvelle filière d’importation : à défaut de pouvoir décréter la sortie immédiate des fossiles, il s’agirait de ne pas s’enferrer un peu plus dans une dépendance insoutenable à leur égard.
Ce gouvernement singulier déciderait ensuite d’intégrer l’ensemble des opérateurs d’exploitation et de distribution de l’énergie dans le giron d’une gestion publique réinventée, fortement décentralisée, associant les salariés et le reste de la population : une décision utile pour faciliter la reconversion du secteur, tout en assurant la qualité des emplois et sécurité professionnelle des salariés du secteur.
Il mettrait sur pied un programme garantissant un prix d’achat préférentiel du kilowattheure d’électricité renouvelable aux entreprises utilisant de la main-d’œuvre et des matériaux locaux. Objectif ? Assurer des emplois de qualité non délocalisables et un fort déploiement d’énergies renouvelables appropriées aux besoins. Plus largement les investissements étrangers seraient conditionnés au respect de normes visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES).
Un gouvernement si bien intentionné réserverait enfin ses marchés publics (fournitures, construction d’infrastructures, restauration collective etc.) aux entreprises et filières agricoles pouvant fournir exclusivement des produits locaux et peu émetteurs de GES, afin d’inciter l’ensemble du secteur productif à devenir climato-compatible.
Les mesures nécessaires pour le climat se heurtent aux règles du commerce intarnational
Bien-entendu la situation politique française actuelle, ainsi que le poids des lobbies, ne rend guère optimiste sur la possibilité d’un tel gouvernement. Mais ce n’est pas le seul écueil. Chacune de ces mesures se heurte de plein fouet aux règles du commerce international qui en interdirait, ou limiterait, la mise en œuvre et/ou la portée [1]. L’accord UE-Canada, qui vient d’être signé par les 28 pays membres de l’UE, en apporte d’ailleurs, une nouvelle fois, s’il en était besoin, la preuve.
A l’heure de l’entrée en vigueur de l’Accord de Paris, une seule donnée devrait suffire pour disqualifier le CETA : selon la propre étude d’impact publiée par la Commission européenne en juin 2011, le CETA va accroître les émissions de GES. Ce n’est pas surprenant : la littérature économique montre que les accords de libéralisation du commerce ne permettent pas de réduire les émissions. Aucune raison pour que le CETA, qui doit notamment permettre au Canada d’exporter des hydrocarbures vers les pays européens, fasse exception.
A la demande de la société civile, Ségolène Royal, ministre de l’Environnement, de l’énergie et de la mer, s’était récemment saisie de la question en annonçant qu’elle voulait « vérifier que le CETA est parfaitement climato-compatible avec l’Accord de Paris » et qu’il « contribue bien à l’objectif de maintenir le réchauffement climatique en-dessous de 2 °C ». Depuis, c’est malheureusement silence radio et les résultats de ces « vérifications » n’ont pas été rendus publics.
En signant l’accord UE-Canada le 30 octobre dernier, l’exécutif français a donc pris une décision qui n’est pas climato-compatible. Lors de la conférence environnementale d’avril 2016, François Hollande s’était pourtant engagé à ce que « les accords commerciaux ne remettent pas en cause, de manière subreptice, les avancées qui ont été décidées lors de la COP 21 ».
Le président de la République avait ajouté que la France ne « pourrait signer des traités commerciaux si les chapitres relatifs au développement durable ne sont pas contraignants ». Nous pouvons être catégoriques à ce sujet : le CETA, pas plus que les multiples instruments interprétatifs rédigés suite au Non wallon, ne donne aucune force « contraignante » aux dispositions du traité portant sur l’environnement (chapitre 24) et le développement durable (chap. 22).
Aucune clause ne protège, de façon explicite et juridiquement contraignante, le droit des États et des collectivités publiques à décider de mesure qui nécessiterait de s’affranchir des règles qui protègent les investisseurs. Par contre, les dispositions de protection des investisseurs (chap. 8) peuvent être utilisées par les entreprises qui verraient des mesures de transition énergétique comme contraires à leurs intérêts. L’accord ne comporte ainsi aucune clause de « sauvegarde » qui permettrait de se soustraire à certains engagements commerciaux au nom de l’impératif climatique.
Le CETA maintient donc le caractère secondaire de l’urgence climatique face aux règles commerciales. C’est d’ailleurs une constante du droit international : aux déclarations de principe et instruments optionnels en matière de développement durable font face des règles commerciales contraignantes et de puissants mécanismes de sanction. Tout l’enjeu est d’inverser cet état de fait. En commençant par bloquer le CETA au Parlement européen ?
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