Tiré du site multinationales.org.
Mais si l’on regarde du côté du Congrès, elles affichent une nette préférence pour le Parti républicain. Les « comités d’action politique » créés dans leur giron continuent de financer des candidats climato-sceptiques.
Il y a un presque an, les grandes entreprises françaises proclamaient, dans un bel élan unanime, leur attachement à la cause du climat et la conclusion d’un accord international contraignant dans le cadre de la COP21. Aujourd’hui, alors que la campagne présidentielle bat son plein aux États-Unis et que se profilent d’autres échéances électorales en France, ces engagements apparaissent-ils toujours aussi solides ? Pas si sûr, si l’on se fie aux chiffres disponibles sur le financement de la campagne américaine. Certes, les firmes tricolores présentes de l’autre côté de l’Atlantique se tiennent soigneusement à l’écart de la campagne de Donald Trump. Mais en ce qui concerne les chambres législatives, la plupart d’entre elles continuent à privilégier les Républicains, y compris des climato-sceptiques notoires qui ont promis, comme Trump, de revenir sur l’Accord de Paris.
À l’occasion des présidentielles de 2012 puis du scrutin de mi-mandat de 2014, nous avions montré comment les entreprises françaises participent, à leur échelle, à la grande foire électorale américaine, par le biais de leurs political action committees (PACs). Depuis la décision Citizens United rendue par la Cour suprême en 2010, il n’y a plus beaucoup de limites au financement privé des campagnes électorales aux États-Unis. Milliardaires, entreprises et associations professionnelles (mais aussi, à une échelle moindre, syndicats) peuvent s’en donner à cœur joie pour faire élire les candidats les plus favorables à leurs intérêts. C’est-à-dire majoritairement des candidats républicains, fervents partisans de la dérégulation, des baisses d’impôts et du retrait de l’État. Et qui défendent souvent des positions extrêmement rétrogrades en matière d’immigration, de religion, de sexualité, d’armes à feu, mais aussi d’environnement et de climat.
En 2012 (lire notre enquête), le soutien financier des multinationales françaises s’était porté majoritairement et parfois massivement vers Mitt Romney et les candidats républicains à la Chambre des représentants et au Sénat, particulièrement dans certains secteurs comme la finance (Axa, BNP Paribas, Société générale), l’énergie (GDF Suez, Areva), l’industrie (Lafarge, Airbus, ArcelorMittal) et la pharmacie (Sanofi) [1]. Même constat en 2014. Et cette année ? En termes purement quantitatifs, on observe le même afflux d’argent qui avait permis aux Républicains de prendre le contrôle de la Chambre des représentants en 2010, puis du Sénat en 2014, ainsi que de la grande majorité des États. Mais avec une différence de taille : Donald Trump.
Clinton, Trump, Bush, Sanders : pour qui votent les entreprises françaises ?
Le sulfureux candidat républicain à l’élection présidentielle, aujourd’hui distancé dans les sondages, a refroidi certains donateurs traditionnels des Républicains, ou du moins en a dissuadé beaucoup de s’afficher ouvertement à ses côtés [2]. D’autant qu’en plus de ses diatribes contre les immigrés et les musulmans et des accusations de harcèlement sexuel, il s’avère que le candidat Trump n’est pas des plus orthodoxes du point de vue économique. Ses prises de positions contre les accords de libre-échange, les rémunérations stratosphériques des patrons et autres dogmes néolibéraux l’ont entraîné une guerre ouverte avec l’US Chamber of Commerce, principal lobby des multinationales américaines.
Rien d’étonnant donc à ce que les entreprises françaises – à l’image de leurs homologues américaines – plébiscitent plutôt la candidature de Hillary Clinton. Selon les derniers chiffres disponibles [3], le political action committee d’Axa a versé 75 000 dollars à la campagne de la candidate démocrate, ceux de Sanofi et de Vivendi environ 35 000 dollars, celui de BNP Paribas près de 30 000 dollars. Tous, sauf Vivendi, privilégiaient en 2012 le candidat républicain. Du côté de la campagne de Donald Trump, les sommes reçues des firmes françaises sont beaucoup plus modestes, mais pas pour autant inexistantes (voir le tableau ci-dessous). Le candidat de choix de nos multinationales tricolores du côté républicain était clairement Jeb Bush, représentant de l’establishment républicain, qui s’est très rapidement fait sortir de la primaire de son parti.
NOTE
* Cette somme a été versée non à la campagne électorale de Jeb Bush directement mais à son PAC « Right to Rise USA ».
Curiosité : on observe un soutien non négligeable, de la part d’entreprises comme Sanofi ou BNP Paribas, à Bernie Sanders, le rival de Hillary Clinton à la primaire démocrate, étiqueté à gauche. Des chiffres a priori étonnants, car apparemment en contradiction avec la prédilection de ces mêmes firmes pour les candidats républicains. Ils peuvent s’expliquer de deux manières. Ou bien on peut considérer que de par leur métier, les employés de ces entreprises sont les mieux placés pour apprécier l’importance de la volonté de régulation portée par Sanders. Ou bien, de manière plus dérangeante, leur soutien à Sanders était une manière de nuire, indirectement, à Hillary Clinton. Durant la primaire démocrate, certains groupes pro-républicains n’ont pas hésité à soutenir activement le premier contre sa rivale, de manière à affaiblir celle-ci.
Un penchant prononcé pour les Républicains
Si la campagne présidentielle focalise l’essentiel de l’attention de ce côté de l’Atlantique, d’autres scrutins locaux et nationaux non moins décisifs auront lieu en même temps en ce mardi 8 novembre. De nombreux sièges au Sénat et à la Chambre des représentants sont à renouveler, et les Démocrates semblent désormais favoris pour reconquérir la majorité sénatoriale qu’ils avaient perdu en 2014 (la Chambre des représentants, elle, resta très probablement républicaine). Dans le cadre des campagnes pour le Congrès, nos champions français n’ont pas les mêmes inhibitions que pour la campagne présidentielle. Sanofi, Airbus, Areva, LafargeHolcim, Solvay, Louis Dreyfus ou Michelin financent toutes à plus de 70% des candidats républicains. Axa, Safran ou Engie ne sont pas loin derrière. À l’autre opposé du spectre se distinguent Publicis et Danone, avec respectivement 8 et 0% de financement à des candidats républicains (voir le tableau ci-dessous).
Globalement, les sommes versées par les PACs des entreprises françaises restent modestes, à quelques exceptions près, par rapport à l’argent mobilisé par les firmes américaines. Les political action committees ne représentent de toute façon qu’une toute petite proportion de l’argent circulant dans les campagnes de 2016. Des groupes plus opaques, comme ceux dits « 501(c)(4) » (du nom de l’article du code des impôts dont ils relèvent), occupent une place de plus en plus importante, sans avoir à révéler le nom de leurs contributeurs comme c’est le cas pour les PACs. Les associations professionnelles – dont sont membres les firmes françaises – jouent également un rôle très important. Des structures comme l’American Bankers Association (finance), PhRMA (médicament) ou l’American Petroleum Institute (pétrole et gaz) sont toutes des financeurs majeurs des candidats républicains, sans que la source exacte de leur argent soit rendu publique. Un moyen commode pour les entreprises de soutenir des candidats sans trop se faire remarquer.
L’American Petroleum Institute a ainsi donné plus d’un million de dollars à la Convention républicaine de Cleveland, c’est-à-dire au candidat Trump, alors que la plupart des sponsors traditionnels avaient déserté l’événement. Au conseil d’administration de ce groupe siège un cadre dirigeant de Total, Jean-Michel Lavergne. Il faut dire que la firme pétrolière française (autrement très discrète dans les campagnes électorales américaines) est intéressée à la poursuite du développement du gaz de schiste et des sables bitumineux en Amérique du nord, ainsi que des oléoducs et des terminaux méthaniers qui vont avec [4]. Une option stratégique pour laquelle il vaut mieux avoir le maximum de Républicains au Congrès, si ce n’est à la Maison blanche. Le Grand Old Party continue en effet à refuser massivement toute action ambitieuse en matière climatique, et nombre de ses candidats sont des climato-sceptiques revendiqués.
Le climato-scepticisme, une option encore d’actualité
Certes, le soutien apporté par les PACs des entreprises françaises à certains candidats a des causes plus complexes qu’un simple choix partisan. Elles privilégieront par exemple les candidats des États où elles sont implantées, ou bien ceux qui siègent dans des comités stratégiques de la Chambre ou du Sénat. Il n’en reste pas moins que nos firmes tricolores sont amenées à financer de nombreux candidats qui défendent des valeurs totalement opposées à celles qu’elles affichent dans leur communication publique et dans leurs politiques de « responsabilité sociale ». La preuve avec le climat.
Si l’on regarde de près les candidats soutenus par les firmes françaises, on retrouve une proportion minoritaire mais significative de candidats climato-sceptiques [5], particulièrement pour les groupes industriels (voir le tableau ci-dessous). Si Sanofi, Axa et Airbus occupent la tête du classement, c’est parce que ce sont aussi les entreprises françaises qui dépensent le plus, de manière générale, dans le cadre de la campagne 2016. En termes de proportion de leur financement, ce sont Engie (ex GDF Suez) et Solvay (ex Rhodia) qui se distinguent, avec presque la moitié de leurs financements versés au profit de négateurs du changement climatique ! Parmi ces derniers, Joe Barton, congressiste du Texas, (14 500 dollars d’Engie), qui a qualifié les déclarations d’Al Gore sur le climat de « non pas un peu à côté de la plaque, mais totalement fausses ». Ou encore Marsha Blackburn, du Tennessee (10 000 dollars de Sanofi) pour laquelle les travaux du GIEC sont une tentative « d’intimider les citoyens et les législateurs pour qu’ils soutiennent des taxes sur l’énergie destructrices d’emploi ».
Le phénomène n’est pas, loin de là, l’apanage des firmes françaises. Une analyse de Reuters a montré de manière similaire que nombre de grandes firmes américaines qui avaient soutenu publiquement l’action du président Obama en matière de climat, comme PepsiCo ou Google, continuaient elles aussi à financer des climato-sceptiques. Au niveau français, les entreprises concernées ne sont pas n’importe lesquelles. Engie (dont l’État français détient 33% des actions) n’a pas cessé depuis un an de promouvoir sa conversion à la transition énergétique. Quant à Solvay, elle est dirigée par Jean-Pierre Clamadieu, présenté comme l’un des patrons les plus « avancés » sur la question du climat… sauf en ce qui concerne le gaz de schiste, dont il n’a cessé de faire la promotion.
L’époque de la COP21 et des beaux discours sur le climat semble bien éloignée. Rien qui soit de très bon augure pour les campagnes électorales qui se profilent en France, déjà marquées par une surenchère à droite. Nicolas Sarkozy – celui-là même qui a changé le nom de son parti en « Les Républicains » - a déjà choisi de franchir le pas en minimisant ouvertement la responsabilité humaine en matière de réchauffement climatique. Une intervention qu’il a faite, ce n’est nullement un hasard, devant un parterre de patrons et d’hommes d’affaires réunis par l’Institut de l’entreprise, un think-tank néolibéral financé par tous les grands noms du CAC40.
Olivier Petitjean
Notes
[1] Par opposition, des secteurs comme les médias et la culture (Vivendi) ou les services (Suez, Sodexo) apparaissent traditionnellement plus favorables aux démocrates.
[2] Il y a des exceptions, notamment du côté des milliardaires, moins attachés à leur réputation que les entreprises. Par exemple Peter Thiel, un milliardaire de la Silicon Valley siégeant au conseil d’administration de Facebook. Bizarrement, pour un candidat aussi ouvertement raciste que Trump, Mark Zuckerberg a défendu cette prise de position au nom de la « diversité ».
[3] Nous nous basons comme pour nos enquêtes précédentes sur les données compilées par le site OpenSecrets.org, consulté le 24 octobre 2016. Ce ne sont pas les chiffres définitifs de la campagne, qui ne seront connus qu’en fin d’année. Rappelons que dans le système des political action committes, ce sont les employés des firmes, et non directement les firmes elles-mêmes, qui apportent les contributions financières qui sont ensuite redistribuées. Certaines entreprises essaient de se justifier de leurs financements en arguant qu’ils ne sont que de la responsabilité de leurs employés. En réalité, ce sont principalement les cadres dirigeants qui alimentent les PACs, et ces derniers sont étroitement alignés avec les intérêts des firmes.
[4] Total vient tout juste de le confirmer en faisant l’acquisition des 75% de parts restantes du gisement de gaz de schiste texan dont elle détenait jusqu’à présent 25%.
[5] Selon la liste établie par le groupe Organizing for Action, créé par des assistants de Barack Obama.